Le Parti awami des travailleurs (Awami Workers Party, AWP) est la principale organisation de la gauche radicale au Pakistan. Il est profondément engagé dans les mouvements sociaux. Le 25 septembre dernier, un dirigeant de l’AWP, Baba Jan et onze autres personnes ont été condamnés à la prison à vie par un tribunal antiterroriste du Gilgit-Baltistan, un territoire semi-autonome au nord du Pakistan, à la frontière chinoise.
La répression use au Pakistan de deux atouts maîtres : la loi contre le blasphème (passible de la peine de mort) et les tribunaux antiterroristes. La première autorise tous les règlements de compte, les seconds permettent aux services spéciaux et aux pouvoirs établis de s’attaquer de la façon la plus arbitraire aux mouvements sociaux et à la gauche militante (en revanche, les vrais terroristes sont bien rarement condamnés.) Ainsi, 27 personnes considérées proches de l’AWP sont actuellement en détention, dont des dirigeants syndicaux du secteur textile de Faisalabad (avec pour six d’entre eux des peines de 81 ans !) ou des militants paysans d’Okara. Des dizaines de syndicalistes sont emprisonnés ou en procès sous l’accusation de terrorisme.
Le crime des condamnés du 25 septembre : avoir défendu en 2010 les victimes d’une catastrophe climatique, un glissement de terrain avait provoqué la formation d’un lac artificiel engloutissant plusieurs villages. En 2011, la police a tué par balles un fils et son père alors que des victimes de la catastrophe manifestaient pour recevoir les indemnisations promises par l’Etat, ce qui a soulevé la colère des habitants de la vallée de Hunza qui ont incendié quelques bâtiments publics. Outre la peine de prison, Baba Jan et ses camarades doivent payer un million de roupies d’amende et leurs biens seront saisis pour payer la reconstruction de ces bâtiments.
Problème : Baba Jan était loin des lieux de l’incident quand ils se sont produits ; il ne s’y est rendu que le lendemain, après avoir entendu les nouvelles. Il est donc condamné pour des actes qu’il n’a physiquement pas pu commettre. Il n’en est pas moins dénoncé par les autorités comme le principal « instigateur » des troubles. Le jugement est évidemment avant tout politique. Baba Jan est une figure de la gauche au Gilgit-Baltistan. Il était en 2010-2011 un dirigeant du Labour Party Pakistan (LPP). Au moment de sa condamnation, il était vice-président de l’AWP, issu en 2013 du regroupement du LPP et de deux autres organisations.
Déjà incarcéré en 2011 avec quatre de ses camarades, Baba Jan avait été torturé et sa vie était menacée. Il avait été libéré sous caution après une intense campagne de solidarité au Pakistan et sur le plan international, à laquelle nous avions participé. Aujourd’hui, un comité de solidarité avec les « 12 de Hunza » a été constitué au Pakistan, où des manifestations de protestations ont eu lieu dans la vallée de Hunza, à Gilgit, au Cachemire (côté Pakistan) et ailleurs dans le pays. La Commission asiatique des droits humains (AHRC), basée à Hongkong, a lancé un appel urgent en leur faveur. Asma Jehangir s’engage à leur côté : avocate renommée, elle fut la présidente de l’Association du Barreau de la Cour suprême. De nombreuses organisations et partis politiques ont dénoncé un jugement politique, sans fondements juridiques.
En 2011 déjà et aujourd’hui encore, Baba Jan aurait pu choisir l’exil, n’étant pas détenu au moment de sa condamnation. Il a préféré se faire arrêter pour pouvoir faire appel du jugement inique prononcé par le tribunal antiterroriste de Gilgit. Le combat légal dans lequel lui et ses camarades s’engagent sera très difficile. Les « 12 de Hunza » auront besoin de toute notre solidarité.o
Pierre Rousset
Une information complète sur la question est disponible sur ESSF.