Publié le Samedi 16 novembre 2019 à 10h54.

Podemos. Sánchez et Iglesias l’ont tuer !

Pour Pedro Sánchez le “oui” de Pablo Iglesias au PSOE doit supplanter définitivement le “Oui, nous pouvons” qui a été, un temps et toujours aujourd'hui chez certains, tout sauf un “oui au PSOE”, en fait un “non au PSOE”. Un Podemos de co-gouvernement avec un parti contre lequel les Indigné.e.s de 2011 s'étaient levé.e.s, voilà l'une des cartes maîtresses d'un régime en quête de sortie de crise ! 

J'ai évoqué, dans mon dernier billet Espagne, Catalogne. Les mots du terrorisme contre les choses de la démocratie, "l'historique tropisme de parti du régime que partage le PSOE avec, par-delà le simulacre du bruit et de la fureur électoralistes, le PP" et je jugeais qu'il y avait là les prémices de "retrouvailles avec le modèle bipartiste, si efficient jusqu'à l'irruption des Indigné-es, nécessitant seulement, aujourd'hui, d'intégrer l'inédit, faute d'acquérir une majorité absolue en solo, d'avoir à en passer par l'abstention du second pour que le premier gouverne ?" Je voudrais ici préciser cette question de "l'inédit" en l'éclairant et en l'approfondissant à partir de ce qui advient du côté de Podemos.

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Inédit, inédit...  On n'oubliera pas que Mariano Rajoy (PP) ne dut, en 2016, qu'à l'abstention parlementaire du PSOE d'être investi président du Gouvernement. L'inédit dont je parle ici concernerait le PSOE dans l'hypothèse où, ayant obtenu de "suicider" Podemos, comme je vais l'analyser ci-après, il se présenterait comme participant de la nouvelle formule systémique du bipartisme, inaugurée en 2016 par le PP avec l'appui socialiste : l'abstention parlementaire du PP suppléerait, en bon rendu de la pareille, l'absence de cette majorité absolue, qui prévalut jusqu'en 2016 et qui fait défaut aujourd'hui, à son tour, au PSOE. Second pas pour tenter de remettre en selle le schéma de stabilité mis en place en 1978 par la Transition démocratique.

La pire droite, celle qui se déguise en gauche 

L'ironie de l'histoire est que la première session d'investiture de Mariano Rajoy en 2016 déboucha sur un échec par la volonté ferme de Pedro Sánchez, alors secrétaire général du PSOE, de refuser l'abstention contre l'avis de l'appareil de son parti. Celui-ci prit alors la décision de provoquer la démission dudit Pedro Sánchez et d'appeler les députés socialistes à s'abstenir, ce qu'ils firent majoritairement permettant ainsi l'intronisation du gouvernement du PP.

Ce rappel permet de mettre en évidence le tropisme institutionnaliste caractérisant le PSOE, son inscription structurelle dans la défense du régime capitaliste néolibéral espagnol. L'avanie destituante que subit Pedro Sánchez de la part des siens est la preuve par 9 de ce qu'il en coûte dans le PSOE de prétendre s'écarter par la gauche de la ligne directrice historique instituant un parti du régime. Enfin, tout ceci permet de comprendre le positionnement actuel de Pedro Sánchez dans son rapport à Podemos, à savoir, sur la base de la leçon cuisante reçue, son choix de retrouver sa position à la tête de son parti en entérinant, sans plus de fioritures "gauchistes", l'orientation prosystème de celui-ci mais en lui apportant cependant ce supplément d'âme "de gauche" comme moyen de stériliser celui qui parvenait à se poser comme l'incarnation de la nouvelle gauche, Podemos ! Opération qui ne pouvait aboutir qu'avec le consentement de Podemos, de par son propre tropisme institutionnaliste, à son suicide politique d'héritier indirect de la radicalité indignée.

Deux formules d'alliance proposées par Iglesias et Sánchez...

... devant ou derrière, qui est le chef ?

Là est le pari, en voie de réussite, de Pedro Sánchez, qui en a dérouté et déroute encore certains, d'utiliser de façon aussi paradoxale une rhétorique de gauche et d'adopter in fine une démarche de constitution de gouvernement de gauche, faisant oublier, essentiellement par l'intox anticatalaniste, ses pratiques de droite, pour tuer la gauche, étant entendu que, selon moi, d'une part, le PSOE n'est pas un parti de gauche (tout comme le PS français du tandem Hollande-Valls, d'où est sorti le troisième larron, Macron est un parti de droite), et que, d'autre part, ladite victime de gauche reconduit, dans une myopie sidérante, l'historique suicide institutionnaliste du Parti Communiste Espagnol des années 70. Avec la seule différence que, les actuels temps de crise politique n'autorisant plus que le système maintienne sans plus, comme il a fait avec le PC et ensuite Izquierda Unida,  la "gauche radicale" en dehors de l'espace de la gouvernabilité, il l'y intègre par un pacte de gouvernement la liant au choix régimiesque de fond du PSOE : refus de toucher à la loi Travail du PP, refus de céder sur l'autodétermination de la Catalogne, choix d'appliquer les restrictions budgétaires (re)commandées par la Commission Européenne. Culmination de ce que l'on peut appeler un processus d'izquierdaunización/marginalisation1, initié par l'iglésisme, de Podemos.  Celui-ci serait une IU réussissant à décrocher l'unité de gauche, ardemment désirée mais toujours refusée, par les socialistes. Une réussite préfigurant un retentissant et désastreux échec de la gauche et une victoire du PSOE et du régime.

Mais le sanchisme a deux fers tactiques au feu, en trois, voire quatre, temps : son objectif de se soumettre Podemos, on le sait, a manié, en phase une, une ouverture politique, au sortir de la législative d'avril dernier, tellement... fermée, si évidemment marginalisante pour un Podemos déjà bien en perte de vitesse, qu'elle a été refusée par Pablo Iglesias. Lors de la deuxième phase, jusqu'à la récente législative, c'est à une violente campagne de décrédibilisation du parti violet que s'est adonné le PSOE, tellement violente que, provoquant la panique chez les podémites à la perspective d'être obligés d'entériner la rupture définitive et l'enterrement de toute perspective de cogouverner qui est devenue leur raison d’être, ils ont envoyé le signal, espéré par les socialistes, de leur quasi total aplatissement politique : le test par la Catalogne, posé par Pedro Sánchez comme déterminant pour « coaliser », a été ... positif, Podemos s'alignerait, en toute loyauté, sur les choix de celui-ci dont on n’oublie pas qu’il a appuyé le « putsch du 155 » du PP, qu’il n’a eu de cesse de promettre d’y recourir lui-même si nécessaire et qu’il mène une guerre politique, policière et judiciaire impitoyable contre l’indépendantisme catalan ! Posons la question qui tue : où était Podemos (où étaient ses camarades catalans des Communs) lors de la semaine de soulèvement populaire contre les condamnations du maxiprocès et des violences policières que lui ont été opposées ? Réponse : aux basques du PSOE pour l’exhorter à gouverner ensemble ! Enfin, troisième phase, les résultats électoraux de novembre s’avérant décevants pour le PSOE mais accentuant surtout la dynamique d'échec de Podemos, le premier revient, tout compte fait, dans de meilleures conditions qu'en avril pour « tenir » le second se donnant à voir prêt à mettre le prix de tant de reniements pour gouverner, à son ouverture. Sur la base d'un pacte enfilant les perles des bonnes intentions sans un minimum de mesures concrètes, certaines posant en filigrane une volonté de rester dans les clous gestionnaires chers à l’UE, le projet sanchesque de désactiver le risque de dérapage « indigné » que, malgré lui, Podemos pouvait porter, est au point.

Le plan C d'Iglesias

 

Sur le tableau :

A - Prendre d'assaut le ciel

B- Prendre des ministères

C -

Pablo Iglesias au centre : Mais si, au bout du compte, Sánchez convoque des élections, ce serait bien d'avoir en tête un plan C

La militante à droite : Eh bien... Euh..."C- Le temps que ça a duré, ça a été super"

La lettre éclairante (lire ici) adressée aujourd’hui, 15 novembre, par Pablo Iglesias aux militant.e.s est à interpréter surtout comme un acte d’allégeance à Pedro Sánchez consacrant sa victoire politique. Relevons ce passage particulièrement signifiant : « Cinq ans seulement après la création de Podemos, nous allons pouvoir commencer à concrétiser l’objectif pour lequel nous sommes nés : améliorer la vie des gens, en participant au gouvernement de notre pays. […] Nous allons gouverner en minorité au sein d’un exécutif partagé avec le PSOE, dans lequel nous rencontrerons des limites et des contradictions, dans lequel il nous faudra céder sur beaucoup de choses. ». Et ceci encore : « Rappelez-vous qu’il faut se montrer persévérants pour prendre le ciel » qui fait référence à la grande envolée iglésiste des premiers temps, encore imprégnés de quelque « indignation » : « On ne prend pas le ciel par consensus, on le prend d’assaut !». Persévérants pour ne plus prendre d’assaut le ciel, arrimage oblige au vaisseau (de la gauche) fantôme !

Quant à la quatrième phase, elle est virtuelle : si l’on peut en effet parler de victoire de Pedro Sánchez pour sa capacité à mener Podemos à se renier et à sombrer, avant même d’avoir mis le pied sur la coquille de noix socialiste, comme parti du changement radical (qu’il n’a, soyons clairs, à quelques semaines, quelques mois près, jamais été), il n’en reste pas moins que la partie politique de la gouvernabilité n’est pas encore gagnée. Une alliance de gouvernement PSOE-Podemos n’a, à l’heure actuelle, aucune chance d’obtenir l’investiture du Congrès des députés. Il lui sera difficile, sinon impossible, d’y arriver sans l’appui d’au moins une partie des indépendantistes, en particulier, autre ironie de l’histoire, des catalanistes ! Certains voient là le signe de la fragilité de l’opération politique menée par Pedro Sánchez avec Podemos : ce qui n’est vrai que si l’on se laisse gagner par le leurre que le PSOE n’a d’autre carte à jouer que celle d’une union des gauches, mieux par le leurre que cette carte est sa carte stratégique ! La réalité est pourtant bien plus simple et plus complexe : il existe aujourd'hui, pour un parti comme le PSOE, un double risque, celui d’une grave déstabilisation que porte en soi une mobilisation catalane radicalement autodéterminatrice/indépendantiste démentant tous les pronostics qu’elle ait été mise à mort en 2017, et celui d’une connexion de cette mobilisation nationale avec des mobilisations (sociales et/ou nationales) hors Catalogne, dans le contexte de la récession qui s’annonce et qui pourrait mettre à l’épreuve les réponses politiques et économiques du gouvernement en place. Il importe donc pour le PSOE de neutraliser toute option, même réduite à l’état résiduel comme l’est aujourd’hui Podemos, pouvant cristalliser, malgré lui, une politisation radicale du social qui se combinerait au national-territorial et donnerait enfin du sens à un « Sí podemos » (Oui, nous pouvons) aujourd’hui devenu incantatoire. Cela étant en passe d’être l’acquis fondamental du sanchisme, peu importe, au vu des enjeux de renforcement du système, que l’investiture des gauches échoue. L’important, je l’ai dit, pour la fausse gauche, c’est conformément au programme historique du PSOE de la Transition, plus précisément de sa matrice felipiste (du nom de celui qui pendant 14 ans a loyalement géré les intérêts du capital espagnol, Felipe González), de tuer la gauche en ce qu’elle pouvait et pourrait apporter comme carburant politique aux éventuels incendies antisystème. Le « sí » de Podemos au PSOE doit, aux yeux de celui-ci, supplanter définitivement ledit « Sí Podemos » qui était, et est encore pour certains, tout sauf un "Sí al PSOE", autrement dit un "non au PSOE" !

Table de négociation du PSOE

 

Le grand Maître Pedro Sánchez

Par où l’on en revient, mais sous l’éclairage de l’opération Podemos de Pedro Sánchez, à ce qui ouvre ce billet : Podemos enchaîné, en voie de subordination accélérée au système préfigurant sa totale marginalisation politique (en écho, pour d’autres raisons, entre autres, sa concurrence suicidaire avec l’extrême droite, à celle, acquise, du « Podemos de droite », Ciudadanos), le PSOE pense avoir les mains libres, en cas de non-investiture parlementaire avec Podemos, pour gouverner "bipartitement", « avec » le PP, ce « avec » pouvant signifier y compris la mise en place d’une coalition de droite (droite de droite et gauche de droite), pour le coup totalement inédite de ce côté des Pyrénées.

Par où aussi, pour conclure, il devrait se comprendre que les peuples de l’Etat espagnol ont tout à craindre de ces manœuvres politiciennes, visant à extirper des esprits l’idée de l’alternative de gauche, qui, par ailleurs, s’appuient sur un appareil étatique en voie d’une refranquisation accélérée qui reconfigure la démocratie néolibérale issue de la Transition en une démocratie, plus que jamais néolibérale, s’extrême-droitisant … sous l’aiguillon d’un Vox qui tire les marrons du feu qu’allume, funeste apprenti sorcier, le sanchisme.

Antoine Rabadan

  • 1. J'utilise ce néologisme d'izquierdaunización dans mon article de juillet 2016 L’échec de Podemos et de ses alliés : de l’urgence d’une réorientation : "S’allier avec IU, c’était, dans les conditions où cette alliance a été voulue par le secrétaire général, accrocher Podemos à ce qui a toujours été l’axe politique d’IU, une politique d’union avec le PSOE avec des velléités de le dépasser. Volonté d’union que celui-ci, dans sa complicité prosystème d’alternance au gouvernement avec le PP, a le plus souvent ignorée ou méprisée et qui, cependant, il y a quelques années, avait débouché sur un pacte de gouvernement, très gestionnaire de l’austérité, en Andalousie, avec ce que le « socialisme » y compte de plus social-libéralisé et…clientéliste (il est, entre autres choses, impliqué dans d’importantes affaires de corruption toujours en cours d’instruction judiciaire). On peut à bon droit affirmer que l’alliance conclue par Podemos avec IU signe paradoxalement l’alignement stratégique du premier, parti pourtant le plus fort, sur la seconde, partie la plus faible (largement fragilisée par son nouveau partenaire !), pour ce qui est du rapprochement avec le PSOE ! Autrement dit Podemos, dans sa réorientation politique, a renoncé à polariser sur son identité première antisystème et s’est retrouvé à assumer d’être polarisé par ce qui, dans le champ politique espagnol, constituait une option historique stérile. Osons le néologisme izquierdaunisation de Podemos pour pointer le risque tendanciel guettant ce parti malgré l’atout qu’il a encore d’apparaître lui, à la différence de ce qu’a représenté IU et en dépit des récents aléas électoraux, comme un défi au régime. Le parti de Iglesias s’est littéralement échiné depuis le 20D, à jeter des ponts vers une social-démocratie devenue social-libéralisme et abonnée à gérer, pour le plus grand profit du capital, une sortie de crise au détriment du monde du travail, toujours plus précarisé, des exclus du travail et plus généralement de l’ensemble des couches populaires."