Publié le Lundi 26 décembre 2011 à 10h13.

« Portrait du colonialiste. L'effet boomerang de sa violence et de ses destructions Jérémie Piolat. »

Sorte d'écho au Portrait du Colonisé, Portrait du Colonisateur, le classique d'Albert Memmi, ce livre de Jérémie Piolat se lit avec plaisir et intérêt. Intelligent, caustique, cynique, émouvant, toujours juste.

20 récits d'apparence parfois anecdotique, inscrits dans l'histoire, analysés dans un esprit et une langue philosophique simple et évidente.

C'est dans le sous titre qu'est contenue la substance de l'ouvrage, qui dit l'état clinique du colonisateur.

Aller-retour permanent entre Europe et anciennes colonies, entre espace public et espace privé, jusqu'à l'intimité. Constat de la persistance des ravages et des pratiques de la colonisation.

Tou-te-s héritier-e-s de la colonisation en tant que négation de toute humanité et de toute valeur à celles et ceux qu'elle va détruire.

L'intention de Jérémie Piolat semble être le décryptage de l'expression quotidienne, banalisée des victimes de la colonisation.

Ces essais-reportages sont autant d'interpellations, de mises en situation auxquelles nous confronte l'auteur. «Il nous appartient de décider si nous voulons ou non être héritiers de ce ravage.»

Succession d'expériences, celles des autres et celles de l'auteur lui même, qui s'attache à démasquer les victimes inconscientes du colonialisme.

Il démontre que paradoxalement, la modernité est perte, dépossession, falsification du rapport au corps, des corps analphabètes. La présence coloniale inscrite dans les corps entretient l'amnésie de la mutilation. Absence des arts populaires en Europe de l'Ouest, tendance des Occidentaux à minimiser la complexité, la technicité des pratiques artistiques des Africains. Il faut absolument lire l'histoire ironico-pathétique de la danse des canards!

Et d'autres encore, qui donnent à entendre combien l'Européen, dans ses gestes, ses mots, ses non-dits, manifeste une idéologie coloniale latente dont il ne sait pas (encore?) se débarrasser. Le chapitre sur l'existence inconsciente de pratiques néo colonialistes à peine larvées dans certains cours d' alphabétisation est bouleversant.

L' Occidental est mystifié par l'image qu'il a construite de lui même, conditionné malgré lui par son passé de dominant. Perception qui traverse toutes les couches de la société. La question du rapport dominant/dominé transcende la question de classe.

Violent constat parfois intériorisé et restitué par les descendants de colonisés: «Vos savoirs, vos vies, vos cultures et donc vos corps n'ont aucune valeur puisqu'ils n'ont pas pu empêcher notre conquête.»

Oeuvre complexe, transversale, qui touche à la philosophie, aux sciences humaines, à l'histoire, à l'ethnomusicologie. Recherche des fondements de l'histoire de la domination. Piolat redéfinit l'acte colonial comme précédant et englobant le capitalisme, dont enclosures et chasse aux sorcières sont deux des principes fondateurs, ainsi que confiscation des terres, soumission des cultivateurs à la valeur d'échange et destruction systématique des cultures paysannes.

Une réflexion qui nous concerne, à la fois acteurs et spectateurs, tous et toutes victimes du fait colonial.

Gisèle Felhendler

Édition La Découverte Collection «Les empêcheurs de penser en rond». 2011.