Publié le Mardi 13 février 2018 à 18h18.

Quelques notes sur le Portugal

Dans le NPA et autour de nous, beaucoup s’interrogent sur la position prise par le Bloco de Esquerda au Portugal, permettant par leur vote à l’Assemblée, la mise en place fin 2015 et le maintien depuis deux ans maintenant d’un gouvernement minoritaire du Parti socialiste. De même, certains s’interrogent aussi sur la présence au Conseil d’Etat de Francisco Louçà, dirigeant du Bloco et membre de la IVème Internationale.

1/ Pour commencer par le plus court, Francisco Louça fait bien partie du Conseil d’Etat depuis les élections d’octobre 2015 pour la bonne raison que le Bloco a mécaniquement droit à un siège dans le Conseil d’Etat en tant que groupe parlementaire.

Le Conseil d’Etat portugais est une structure de 19 membres, dont la composition est, en gros, le président de la République, le 1er ministre, le président de l’Assemblée, des anciens présidents et  5 membres nommés par le président de la République plus 5 membres nommés par les députés à la proportionnelle. 

Francisco Louça fait donc partie pour le Bloco des 5 membres du Conseil d’Etat désignés par l’Assemblée. C’est ainsi que sur les 5 membres pour cette législature, il y a un membre du Bloco, un du Parti communiste, un du Parti socialiste et un pour chacun des deux partis de la coalition de droite (PSD et CDS). Cela n’a donc aucun rapport avec une quelconque « nomination » par le gouvernement.

 

2/ Quelle est la position du Bloco vis-à-vis du gouvernement ?

De 2011 à 2015, le Portugal a eu un gouvernement de droite, celui de Coelho, appliquant dans la foulée du gouvernement socialiste précédent ( Socrates) , une politique d’austérité, satisfaisant pleinement les créanciers capitalistes européens : privatisations, baisse des salaires, suppression de 80% des postes de fonctionnaires partant à la retraite, augmentation des impôts, attaques contre le droit du travail. De 2011 à 2015, les mobilisations populaires se sont multipliées, avec notamment des centaines de milliers de manifestants en 2013, pour exiger la fin des mesures d’austérité et des diktats de l’Union européenne, la démission de Coelho. 

Pour les élections d’octobre 2015,  les deux partis de droite ne font que promettre la continuation de  leur politique. Le PSP, après les scandales financiers frappant Socrates, renouvelle son image avec Antonio Costa, l’ancien maire de Lisbonne.  Même s’il critique l’austérité de droite, son programme comprend le respect des engagements européens et le remboursement de la dette. Il va même plus loin que la droite dans le domaine de la libéralisation du marché du travail pour faciliter davantage les licenciements. Les économistes du PS insistaient encore plus que la droite sur la nécessité d’individualiser le contrat de travail entre patrons et employés ; contre le principe du contrat collectif. 

Le Bloco a mené une campagne contre l’austérité, centrée contre la dette et les diktats de l’Union européenne. Tirant le bilan de la capitulation de Syriza, le Bloco se prononçait dans cette élection contre toute soumission à  l’euro expliquant que l’on ne peut pas mener de politique anti-austérité dans le cadre de l’euro, car L’eurozone est une sorte de dictature qui n’admet pas les choix démocratiques des pays européens. 

Avec une participation un peu plus faible (2% de moins)qu’en 2011, les deux partis de droite subissent un échec total, passant de 50,37% à 36,86%. Le PS gagne 4% de 28.04 à 32.31%, le Bloco de 5.17 à 10,19%, repassant devant le PCP qui gagne néanmoins 0.35% à 8.25%.

 

La droite est donc minoritaire, mais le Président Anibal Cavalco Silva demande à Coelho de former un gouvernement. C'est le Bloco qui le soir même des élections prend l'initiative : la droite ultra-néolibérale est minoritaire, elle ne peut faire le gouvernement, c'est au PS de gouverner. Mais le Bloco ne soutiendra pas le gouvernement du PS si le PS ne modifie pas son programme néolibéral sur lequel il a fait les élections. Il est prêt à discuter avec le PS un consensus minimum qui permettra d'améliorer les conditions des travailleurs et de faire un pas en rupture avec la politique d'austérité menée par les gouvernements précédents, de Socrates à Coelho… Ce n'est que dans de telles conditions que le Bloco serait prêt à permettre la constitution d'un gouvernement, sans y participer.

 

Parallèlement, le PS passe deux accords bilatéraux avec le Bloco et le PCP : Les deux partis pour faire chuter le gouvernement Coelho et soutenir la mise en place d’un gouvernement socialiste minoritaire exigent qu’aucune nouvelle privatisation, aucune nouvelle mesure d’austérité ne soit prise sur le terrain économique et social, ainsi  qu’une série de mesures positives concrètes. Cela aboutit à une feuille de route détaillée : 

-abandon par le PS du projet de réduction de la taxe sociale unique (TSU) patronale et de la TSU salariale conduisant à la réduction des retraites, suppression du droit à la rupture du contrat du travail dite conventionnelle, fin du gel des pensions de retraite

-augmentation de 5% par an du salaire minimum, 

-allégement de l’impôt sur les bas revenus, 

-rétablissement de 4 jours fériés supprimés par la droite,

- retour sur le processus de privatisation des transports urbains de Lisbonne et de Porto, reconnaissance de l’eau comme un bien public.

-Augmentation des revenus des 2 millions de retraités (celles de moins de 600 euros par la fin du gel et une petite augmentation, celles de plus de 600 euros par la suppression de la surtaxe sur l’impôt sur le revenu). La droite proposait de couper 4 milliards d’euros dans la sécurité sociale (1,6 milliard en gelant les retraites, 2,4 milliards en réduisant chaque année les prestations de 0,6 milliard d’euro, comme promis à Bruxelles).

 

Etablissement de nouvelles règles fiscales : le rétablissement de la progressivité de l’impôt sur le revenu avec plus d’échelons ;  fin du quotient familial qui favorisait les familles les plus riches et son remplacement par une déduction de l’impôt sur le revenu d’un montant égal pour chaque enfant ; limitation de la hausse de la taxe foncière qui ne pourra dépasser 75 € par an ;  fin des réductions des impôts sur les bénéfices des entreprises ; passage de 12 à 5 ans de la durée du transfert des pertes des entreprises sur leurs comptes; les règles fiscales seront modifiées afin de réduire les avantages fiscaux des dividendes ; réduction de la TVA sur la restauration à 13 %.Réduction du tarif de l’électricité  pour les familles les plus pauvres (1 million de personnes). 

Prise de mesures pour que les faux contrats de prestation de service (recibos verdes) deviennent des contrats de travail et pour relancer la négociation des conventions collectives.  fin du régime de mobilité spéciale dans la fonction publique, qui permettait le licenciement. Interdiction de la saisie des logements pour non-paiement des dettes publiques 

Le 6 novembre 2015, soit quelques jours avant la présentation du nouveau gouvernement Coelho devant le Parlement, les partis de gauche annoncent la conclusion de leur accord pour permettre au PS de mettre en place un gouvernement minoritaire. 

Le 10 novembre, la motion de censure contre le gouvernement Coelho est adoptée par le Parlement,l’obligeant à démissionner.

Le PS met donc sur pied un gouvernement minoritaire sur la base de l’accord avec le  Bloco et avec le PCP.

Parallèlement, le Président exige du gouvernement qu’il prenne « des initiatives pour remplir les engagements découlant de la participation du Portugal à la zone euro », à demeurer dans l'OTAN. Costa accepte ces exigences. 

Donc, d’un côté la mise en place de ce gouvernement représente un réel coup d’arrêt à la politique d’austérité et d’attaques anti-ouvrières menées par les gouvernements précédents, et des changements sociaux concrets pour les classe populaires mais sans aucune remise en cause évidemment des structures économiques capitalistes, ni des règles budgétaires de l’Union européenne et des engagements au remboursement de la dette.  

Le dernier budget adopté fin novembre 2017, s’inscrit dans la même lignée : l’impôt sur le revenu est abaissé pour les premières tranches de revenus (1,6 million de foyers touchés au total) ; une nouvelle taxe est introduite pour les grandes entreprises qui dégagent plus de 35 variable en fonction de leur niveau (de 1 à 10 %), et les livres scolaires deviennent gratuits. 

En conclusion, toute similitude avec un autre gouvernement socialiste d’austérité européen, avec le gouvernement Lula ou avec Syriza est totalement hors de propos. On peut discuter de la tactique suivie (d’ailleurs une minorité dans le Bloco était contre le soutien au gouvernement Costa), mais dans tous les cas, elle n’est en rien une trahison ou une capitulation du Bloco, comme certains l’en accuse. Ces caractérisations sont purement calomnieuses et le coup de frein mis par ce gouvernement aux nouvelles attaques sociales est une réalité concrète deux ans après sa mise en place….même si elle n’augure en rien du futur. 

D’ailleurs nos camarades du Bloco restent très prudents : 

 Jorge Costa (dirigeant du Bloco et militant de la IV) : « Il ne faut pas surestimer le succès de la gauche au Portugal. Cela ne change rien au rapport de force au niveau européen. Il ne faut pas croire non plus que le Parti socialiste portugais a viré à gauche… Il n’y a pas eu de révolution culturelle au PS. Ce dernier a été obligé, pour des raisons de survie politique, de trouver un accord avec sa gauche. Ce n’était pas un acte volontaire pour ce parti, qui était entré en campagne en 2015 avec le programme le plus à droite de son histoire. Il l’a fait de manière contrainte et forcée. » (interview publiée dans le reportage d’Amélie Poissot dans Mediapart)

 

Petits compléments 

Par ailleurs, il faut voir que les conditions économiques actuelles du Portugal sont assez particulières. De 2014 à 2017, le déficit public a été résorbé, passant de 4,4% en 2015 à 1,5%, mettant fin à la pression des créanciers de l’UE. Parallèlement, le chômage s’est résorbé de plus de 14% en 2014 à 9,4% en 2017. Il y a une croissance du PIB de 2,5% en 2017, supérieure à la moyenne de l’UE.

Cela n’est pas en tant que tel le résultat d’un miracle keynésien. C’est la conjonction du renouveau de la politique d’exportation industrielle (automobile, chaussures, textile) avec une augmentation des investissements directs étrangers. Les exportations représentent 40% du PIB dans un contexte de dépréciation de l’euro. Parallèlement, la « politique de la demande » du gouvernement stimule une augmentation de la consommation intérieure, enfin ces dernières années se développe rapidement un tourisme de luxe.

Ces éléments conjoncturels facilitent pour le gouvernement socialiste le grand écart de soumission aux règles de l’UE sans avoir à aggraver les politiques d’austérité et sans avoir une pression des créanciers.

Enfin, la situation financière du Portugal est toujours un baril de poudre. La dette publique représente en 2017 133% du PIB.

Les banques portugaises détiennent un taux de créances douteuses de 20% (5 fois plus que la France par exemple). De plus les scandales et sauvetages financiers des grandes banques se sont multipliés ces dernières années :

• Spirito Santo en 2014 avec 4,4 milliards injectés par l’Etat (et séparation en deux de la banque pour « sauver » une partie saine)

• La BANIF en 2015 2,2 milliards injectés ;

• La Caixa Geral de Depositos, banque publique, en 2017, 4 milliards injectés…..

 

Léon Crémieux

 

Sources et quelques articles  intéressants :

Un point de vue critique de Stathis Kouvelakis. 

Un point d’étape de Francisco Louça après la mise en place du gouvernement. 

Une série d’articles d’Amélie Poinssot  dans Mediapart