C’est un Congrès clé du FLNKS qui vient de se tenir le 6 décembre à la tribu de Nimbayes. Il a vu la passation coutumière de présidence entre le dernier président Roch Wamytan et le nouveau, Christian Tein, qui avait été nommé pendant sa déportation en France. Le Front de libération kanak et socialiste (FLNKS) sort de son 46e Congrès refondé et unifié autour d’une ligne politique claire : défendre le processus de décolonisation inscrit dans les accords de Nouméa et porter la trajectoire vers la pleine souveraineté de Kanaky avant l’élection présidentielle de 2027. Il compte sur un dialogue loyal avec l’État français, qui doit retrouver sa posture de neutralité, d’une part, et avec les autres partis et forces vives de Kanaky - Nouvelle-Calédonie, d’autre part. La stratégie internationale est renforcée pour atteindre cet objectif.
Nous publions ici de larges extraits du discours d’ouverture de Christian Tein.
Chers militants, c’est avec beaucoup d’émotion aujourd’hui que je prends la parole devant vous, pour la première fois, depuis que vous avez choisi de me confier la responsabilité de la présidence du FLNKS.
Avant toute chose, je veux vous parler en homme, en frère, en militant. Cela fait un an et demi que je n’ai pas pu me tenir debout ici sur cette terre de Kanaky. Un an et demi de déportation en métropole et d’emprisonnement avec nos autres camarades, prisonniers politiques.
Un an et demi à penser chaque jour à la terre, au pays, au peuple, à nos jeunes, à nos anciens, et à vous, militantes et militants du FLNKS.
Je veux vous dire merci.
Éloi Machoro disait : « le combat ne doit pas cesser faute de combattants ». Merci d’avoir maintenu ce combat et gardé la case debout pendant que l’État nous a exilés et enfermés pour essayer de tuer notre lutte.
Merci d’avoir tenu le cap défini par nos anciens lorsqu’ils ont signé la Charte du FLNKS en 1984.
Merci pour la confiance que vous m’avez accordée en me nommant à la présidence du FLNKS alors que j’étais déporté dans une prison coloniale. Je mesure aujourd’hui, plus que jamais, ce que signifie être à la tête d’un mouvement de libération : ce n’est pas un titre, c’est une responsabilité partagée, portée par tout un peuple.
Nous sommes réunis ici à Nimbayes dans un moment décisif de notre histoire
Aujourd’hui, il faut que nous soyons collectivement à la hauteur des enjeux, parce que nous sommes réunis ici à Nimbayes dans un moment décisif de notre histoire.
La période que traverse notre pays est grave. Kanaky a vécu des heures sombres l’an dernier, qui malheureusement ont ravivé les traumatismes de l’histoire du peuple kanak. Et depuis plusieurs mois, l’État tente d’imposer, contre notre volonté clairement exprimée, le projet d’accord de Bougival, pourtant rejeté par notre congrès du mois d’août et par l’ensemble de nos structures. Cet énième passage en force, qui nie nos droits politiques les plus fondamentaux, qui ravive les blessures de notre peuple, notamment à la suite des événements de l’année dernière, met en lumière la fragilité du dialogue. Ce déni colonial, cette violence qui pèse encore sur notre peuple, doit être stoppée une fois pour toutes.
Il s’agit ici de la dignité d’un peuple qui affirme son droit inaliénable à déterminer son avenir
Nous devons passer un message clair à cette puissance administrante. Nous devons agir, car il s’agit ici de la dignité d’un peuple qui ne cède pas, qui refuse qu’on lui confisque sa parole, et qui affirme son droit inaliénable à déterminer son avenir.
Le FLNKS doit demeurer ce phare qui éclaire la trajectoire de notre peuple vers sa pleine souveraineté.
Notre responsabilité est double : préserver l’héritage de notre peuple, le peuple premier, le peuple kanak, et construire un avenir partagé, digne et juste, avec toutes celles et ceux venus de gré ou de force s’établir dans ce pays depuis plus de cent soixante-dix ans.
Notre mouvement doit être le reflet de notre société : ancré dans nos réalités, ouvert à nos jeunes, irrigué par la sagesse des chefferies et des autorités coutumières, garantes de notre identité.
Il nous faut conforter nos structures politiques, sortir des divisions stériles et retrouver la cohérence nécessaire pour faire face ensemble à la phase ultime de la décolonisation. Le FLNKS restera une case ouverte, accueillante pour celles et ceux qui choisissent d’honorer les engagements historiques de notre mouvement de libération.
Notre action internationale n’a jamais relevé du symbole : elle est l’un des fondements de notre légitimité.
Sur la scène régionale et mondiale, nous portons la voix du peuple kanak avec constance, appuyés par le droit international et les solidarités mélanésiennes. Comme la pirogue à balancier, notre diplomatie avance grâce à deux forces complémentaires :
– le droit international, qui demeure notre gouvernail ;
– la Mélanésie et le Pacifique, qui soufflent sur les voiles de notre pirogue, nous conduisant inéluctablement vers la pleine souveraineté. […]
Nous refusons toute souveraineté fictive, diluée ou partagée qui prolongerait, sous d’autres noms, la domination coloniale
Chaque pétitionnaire, chaque débat à la Quatrième Commission, chaque solidarité exprimée par le Groupe de fer de lance mélanésien est un coup de pagaie supplémentaire vers le rivage de notre souveraineté. Il faut que nous poursuivions nos efforts, car « un peuple n’a que ce pour quoi il se bat ». Ainsi, chaque espace doit être occupé pour porter notre voix et défendre nos positions. […]
Nous refusons toute souveraineté fictive, diluée ou partagée qui prolongerait, sous d’autres noms, la domination coloniale.
Un accord acceptable doit tracer clairement le chemin vers la pleine souveraineté et fixer une date effective d’indépendance avant les élections présidentielles de 2027.*
Nul ne peut confisquer le droit du peuple colonisé à l’indépendance
Si ce dialogue échoue, nous prendrons nos responsabilités en usant de notre droit à l’autodétermination fondé sur la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, la résolution 1514. Conformément au droit international, notre peuple pourra acter lui-même son statut en proclamant la souveraineté de Kanaky dès que possible, car nul ne peut confisquer ce droit inné et actif du peuple colonisé à l’indépendance.
Notre jeunesse demeure au cœur de nos préoccupations. Elle a montré sa capacité d’engagement, parfois jusqu’au sacrifice, et rappelle à chacun de nous que l’injustice sociale n’est pas une fatalité.
Il est de notre responsabilité de garantir à chaque jeune de ce pays une formation, un emploi, une place dans la construction de Kanaky souveraine. Nous devons combattre les inégalités, relever la dignité de nos quartiers, de nos tribus, et redonner espoir à celles et ceux qui se sentent oubliéEs.
Le processus de décolonisation touche à sa conclusion
Ce congrès doit nous permettre d’ouvrir nos esprits et nos cœurs. Il doit être un moment de clarté stratégique, d’unité retrouvée et de projection vers la fin du chemin souhaité par nos aînés.
Nous sommes à un tournant historique. Les frontières entre nos mouvements doivent s’effacer pour laisser place à l’exigence d’unité nationale kanak, ouverte, inclusive et lucide. Le processus de décolonisation touche à sa conclusion. À nous désormais d’en assumer la dernière étape, avec sang-froid, courage et détermination, afin de concrétiser le rêve de nos pères : l’aboutissement du processus de décolonisation par la pleine souveraineté de Kanaky.
Priorité à Kanaky toujours.
Christian Tein, président du FLNKS