Entretien. Avocat, Can Atalay est porte-parole de « Solidarité pour Taksim » et secrétaire général de l’Association pour les droits sociaux.
Tu étais l’un des porte-parole de la révolte de Gezi en 2013. Que reste-t-il aujourd’hui des dynamiques sociales qui l’ont créée ?
Le problème que l’on a vécu à Gezi a été qu’aucune direction, aucun leadership social, n’a réussi à s’en dégager. Nous en payons encore aujourd’hui les frais. Les dynamiques, aspirations et revendications sociales sont toujours présentes, avec toutefois le fait qu’il est devenu pratiquement impossible de les exprimer aujourd’hui. Les millions de personnes qui se mobilisèrent lors de Gezi restent maintenant chez eux, et depuis le massacre d’Ankara du 10 octobre 2015 lors du meeting pour la paix, il n’y a plus de mobilisations massives dans les centres-villes, à part de petites déclarations de presse. Mais cependant, il est évident que l’indignation face à l’autoritarisme islamiste-néolibéral s’est amplifiée.
En tant qu’avocat activiste, comment considères-tu l’arrestation des journalistes du quotidien Cumhuriyet ?
Leur arrestation, même dans le cadre du code pénal que la gauche critique fortement depuis longtemps, est inacceptable. Une interprétation aussi arbitraire du code pénal et le recours à un rapport d’expertise totalement illégale – dont on refuse d’ailleurs de donner un exemplaire aux suspects – sont les signes concrets d’une véritable menace fasciste. Les disciples de Gülen infiltrés dans l’appareil judiciaire étaient spécialistes dans l’invention de fausses preuves. Les procureurs de l’AKP, qui ne sont rien d’autre que leurs jumeaux, ne s’embarrassent même plus de créer des preuves un tant soit peu crédibles. Ils mènent une lutte idéologique acharnée pour réaliser un jugement reposant sur des preuves qui n’en sont pas.
Tu es en même temps dans la direction de l’Association des droits sociaux. Pourrais-tu nous faire part de vos activités ?
Notre association a été fondé dans le but de rendre visible les atteintes aux droits des travailleurs et d’œuvrer à ce que les combats pour les droits sociaux occupent une place prépondérante dans l’actualité du pays. En ce moment, nos camarades sont engagés dans la campagne « nous ne sommes pas votre projet » qui n’est que l’expression concrète de la revendication pour un enseignement égalitaire, public et laïque. Nous organisons aussi la solidarité avec les familles des 11 filles mortes brûlées lors d’un incendie dans un foyer étudiant géré par une secte islamique, afin que les responsables soient jugés. Nous préparons aussi une rencontre entre les familles des travailleurs décédés dans la mine de Soma (à l’ouest du pays) et ceux de Şirvan (à l’est, dans la région kurde) pour affirmer la fraternité des travailleurs.
Après le massacre de Soma où 301 travailleurs sont morts, la gauche radicale a contribué à l’organisation d’une avant-garde ouvrière très limitée, sans pour autant réussir à mener une véritable activité syndicale. Toutefois il existe un mouvement social dont nous faisons partie, ayant des rapports très proches, très intimes avec les familles de Soma et qui mène une lutte au niveau juridique pour de véritables acquis pour la santé et la sécurité des travailleurs.
Et pour finir, nous avons organisé cet été, et dans des conditions de tentative de coup d’État, notre deuxième école d’été pour les enfants des mineurs à Soma. Une expérience qui nous a redonné de l’espoir, ce dont on a profondément besoin de nos jours...
Propos recueillis par Uraz Aydin