Il est difficile de parler de tout en quelques lignes, en tant que femme qui travaille avec des femmes syriennes sur le terrain et qui comprend plus ou moins la différence entre aide humanitaire et changement politique...
La question syrienne a été débattue de différentes manières en Turquie : comme un « problème » de réfugiés, comme prétexte pour discuter du « problème » kurde en Turquie, ou comme un levier dans la politique menée par beaucoup d’acteurs au Moyen-Orient. L’acteur dominant dans ces débats a peut-être été le gouvernement AKP et Erdogan. La population syrienne a toujours été instrumentalisée à la fois par le gouvernement et par l’opposition.
Ainsi, le discours officiel en Turquie a été structuré par des concepts qui (avec une référence à l’époque du prophète Mahomet) mettent l’accent, de manière très habile, sur le statut d’« invités » des Syriens. L’AKP considère la présence des Syriens comme temporaire et ne nécessite donc aucun vrai changement politique pour améliorer leurs conditions de vie. Pourtant des centaines de milliers de Syriens en Turquie n’ont toujours pas la carte qui leur donnerait une protection temporaire, ce qui d’ailleurs n’équivaudrait pas un statut de réfugié, et ceux qui ont cette carte n’ont toujours pas accès aux services, malgré ce qu’affirme la loi.
Retour sur un accord infâme
À cela s’ajoute toute une série de problèmes : la question du chômage chez les Syriens, le travail des enfants, ou le fait que plus de la moitié des enfants syriens ne vont pas à l’école. Il y a aussi la violence et le harcèlement sexuel des enfants et des femmes syriennes, ainsi que les mariages précoces et forcés des filles et la manière dont le gouvernement essaie de justifier cela pour toutes les filles en Turquie, au lieu de les protéger... Voici comment le gouvernement AKP considère les Syriens, c’est-à-dire comme un groupe de personnes qui sont venues en Turquie sans rien et qui devraient être reconnaissantes pour ce qu’on leur donne.
Quant à l’Union européenne, il est nécessaire de rappeler le deal infâme qu’elle a signé avec le gouvernement turc qui est – sans parler d’autre chose – en violation de la convention de Genève, convention qui stipule qu’aucun pays ne peut expulser des gens en masse et en particulier vers un pays non sûr, ce qui est le cas de la Turquie.
Le gouvernement AKP est responsable d’innombrables crimes : contre le peuple kurde, contre des Syriens, contre des femmes, contre des personnes LGBT, contre des socialistes… La liste est longue et la politique internationale aggrave encore la situation, permettant à l’AKP d’être le gendarme des frontières et de jouer la carte des réfugiés en toute occasion, cela uniquement pour que les « masses » syriennes ne bougent pas. Bien entendu, ce deal ignoble ne mettra pas fin aux passages illégaux : cela les rendra plus longs, plus chers et surtout plus mortels...
Enfin, toute négociation sans la participation de véritables représentants du peuple syrien ne pourrait aboutir qu’à une solution imposée par en haut, une solution qui serait surtout illégitime.
D’Istanbul, Sanem Özturk
(traduit par Ross Harrold)