Publié le Mercredi 1 mai 2013 à 19h40.

Congrès du PCF : Unité, enthousiasme et roublardise

Par Yann Cézard

La direction du PCF s’est réjouie de la « réussite » de son 36e congrès, les 7-10 février à Aubervilliers. Pour une fois ce n’est pas de la langue de bois. Les communistes avaient déjà organisé quelques mois avant « l’enterrement de l’enterrement du parti communiste ». Ils mettent en avant maintenant, moins le chiffre officiel de « 134 000 adhérents » revendiqués, auquel personne ne croit, que celui de 7 000 nouveaux membres depuis un an. Chiffre invérifiable. Mais pour la première fois depuis de longues années, le PCF se sent du vent dans le dos grâce à la dynamique du Front de gauche.

Autre « réussite » : la liste pour la direction nationale, sans concurrente, a été adoptée par 100 % des voix exprimées (12,85 % des 769 délégués ayant voté nul ou blanc), et le texte d’orientation voté par 85 % des délégués (73 % dans les congrès locaux). Bien sûr, cette unité autour de la direction s’explique parce que la marée est haute, et que tous les courants ont trouvé des motifs de satisfaction.

Ceux qui regrettent un PCF plus « communiste » (ce qui parfois signifie seulement « plus identitaire ») se réjouissent à la fois de la non participation au gouvernement et que le PCF ne se soit pas dissous dans le Front de gauche. Il a en effet refusé que l’on puisse y adhérer individuellement, et non plus seulement à travers l’une des neuf organisations constitutives actuelles. Il aurait d’ailleurs été nécessaire, alors, d’y faire des congrès communs…moins faciles à verrouiller qu’une réunion des directions des neuf organisations ! Et si le parti s’est effacé un moment au profit du tribun Mélenchon, le score et les adhésions obtenues ont fait passer la pilule, et le PCF s’est réservé la plus grosse part du gâteau des législatives. Presque tous les parlementaires Front de gauche sont communistes !

Or cette hégémonie du PCF dans le Front de gauche satisfait aussi les notables communistes les plus attachés à l’alliance avec les socialistes. Car si tout le monde semble à l’aise aujourd’hui avec la non participation du PCF au gouvernement, si tout le monde a chaleureusement applaudi les délégations de travailleurs en lutte contre les licenciements, Arcelor, PSA, Virgin ou Petroplus, « l’unité » s’est faite sur une orientation roublarde, à l’abri de laquelle ce sont les notables qui tirent le gros lot.

 

Funambules

D’un côté, en effet, des dénonciations virulentes de la politique d’austérité des socialistes. De l’autre, un festival de déclarations de Pierre Laurent pour rappeler qu’il est hors de question d’être une opposition au gouvernement : le PCF est « dans la majorité mais libre de ses initiatives » ; « nous ne sommes ni dans l’alignement derrière les socialistes à leurs conditions, ni dans la construction d’un camp contre les socialistes » ; « ceux qui espèrent nous ramener dans le giron de l’austérité mènent un combat perdu d’avance », tout comme « ceux qui espèrent nous entraîner dans une politique de division des forces du changement alors qu’il est urgent, au contraire, de les rassembler. »

Au cas où on n’aurait pas compris, L’Humanité fait le service après-vente : « Dans son rapport introductif au 36e congrès le secrétaire national du PCF Pierre Laurent a refusé le pseudo ‘choix’ dans lequel on tente d’enfermer le PCF, entre la majorité de gauche, élue au printemps dernier avec son concours, et ‘l’opposition’. » D’où la facile ironie du socialiste Cambadélis : « Etre l’aile anti-austéritaire mais unitaire de l’union de la gauche à la base. Bonjour les adducteurs ! » Parole de connaisseur.

 

« Rallumer les étoiles » ?

Sous ce titre lyrique le texte d’orientation voté par le congrès prétend donc concilier l’inconciliable, en proposant trois séquences distinctes : une campagne « pour une alternative à l’austérité » en 2013 : les élections européennes en 2014 : l’« échéance essentielle » des municipales, aussi en 2014. Or, à chaque moment sa propre logique. Les européennes « pourront être l’objet d’une large convergence des forces qui contestent l’orientation libérale actuelle de l’Union, l’accélération des politiques austéritaires, la convergence des Etats sur des choix politiques guidés par la satisfaction des marchés financiers, et le caractère profondément anti-démocratique de son mode de fonctionnement. » Leur axe devrait donc être polémique, mais européen. En revanche celui des municipales devrait être local… et unitaire. 

Comme l’a dit Pierre Laurent, « l’objectif est d’empêcher la reconquête de la droite et de l’extrême-droite, et donc de faire élire et réélire un maximum de majorités municipales, en faisant en sorte que ces majorités soient imprégnées de projets de gauche. Listes communes dès le premier tour ou au second tour, dans un cadre national unique ou pas. Nous ne fermons aucune porte. » Sauf celle d’une claire rupture politique avec le PS. Pierre Laurent a insisté : « Il faut regarder les contextes dans chaque ville, et poser des questions claires pour bâtir un socle commun. Sur le droit de vote des étrangers, les engagements sur le logement social, ou la réforme des collectivités locales (…). » Mais sur le refus concret des politiques d’austérité, la titularisation des salariés précaires des communes ? Rien.

Il n’est en fait pas question de faire une campagne dénonçant nationalement… ceux avec qui on gouverne localement ! Le PCF, fort de sa prééminence dans le Front de gauche, a donc recadré, par le contenu des revendications et un calendrier politique qui sépare ce que la vie mélange,  le texte d’orientation de la coalition adopté peu avant son congrès à l’unanimité des neuf organisations membres. Celui-ci n’évoquait en effet que de façon vague la nécessité de défendre « une alternative à l’austérité » tout en « construisant un rassemblement majoritaire à gauche ». 

En 2014, il y aurait donc un partage des temps forts (médiatiques) : à Mélenchon les européennes (si elles se font sur liste nationale) et aux communistes les municipales. Sur le modèle présidentielle/législatives de 2012.

Et à tous les militants du Front de gauche, impatients quand même d’en découdre avec l’austérité, les licenciements, l’accord Medef-CFDT-PS de flexibilité ? La campagne anti-austérité.

 

Quelle campagne anti-austérité ?

Là encore, la direction du PCF a verrouillé cette campagne, évidemment souhaitable en soi. Comme le dit un petit-gars-de-la-base cité par L’Humanité, « il faut démontrer qu’une alternative à l’austérité est possible, mais sans tomber dans le piège d’une campagne anti-Hollande ! » D’où l’insistance à dénoncer le gouvernement socialiste non comme un gouvernement de combat contre les classes populaires, mais comme un gouvernement « mou » qui « n’agit pas ».

D’où la prudence avec laquelle la direction du PCF a précisé les « options de gauche en rupture avec le social-libéralisme » qui auraient vocation à devenir « majoritaires » (texte commun du Front de gauche). Pierre Laurent les formule ainsi dans une lettre ouverte à Harlem Désir : « généraliser la présence des représentants du personnel dans les CA de toutes les entreprises ; voter une loi contre les licenciements boursiers telle qu’elle a déjà été votée par la majorité de gauche au sénat ; accorder un droit de veto suspensif aux CE sur les plans de licenciements et de restructuration afin de permettre l’élaboration de projets alternatifs ; voter une loi pour obliger les groupes à ne pas s’opposer à la cession d’un site menacé et permettant aux salariés de se porter acquéreurs d’une entreprise en coopérative ; voter une loi d’amnistie des syndicalistes poursuivis et condamnés. »

Autant d’« avancées », certes. Mais on est loin ici d’arrêter réellement les licenciements. Il y a même une entourloupe sur la revendication plus large d’interdiction des « licenciements boursiers ». On a envie d’y voir l’interdiction des licenciements, encore plus révoltants dans des entreprises qui gavent leurs actionnaires. Mais pour le PCF, c’est une loi qui au mieux interdirait aux entreprises qui licencient de verser des dividendes, et a minima obligerait un groupe à ne pas s’opposer à la recherche d’un repreneur-concurrent pour le site menacé. Ce serait cela, les revendications à proposer aux luttes ? A faire porter par une grande campagne unitaire ? Drôle de décalage par rapport à la dénonciation virulente des patrons rapaces ou de l’austérité, dont est capable le PCF. 

Celui-ci ne voudrait-il pas nous proposer d’adopter les habitudes… du sénat ? Dans l’improbable langue de coton qu’il partage avec certains dirigeants des grandes centrales syndicales, le sénateur Pierre Laurent a proposé au congrès de « multiplier les initiatives pour obtenir des bougés de la politique gouvernementale. »  « Bougés » ? Comme des amendements un peu dérisoires défendus au sénat ?

Faisons quand même un pari : beaucoup de militants communistes, peut-être satisfaits de ce congrès, ne se contenteront cependant pas d’une orientation dans le fond démobilisante. Ils cherchent déjà des réponses concrètes à la hauteur de cette crise et des attaques. 

 

Le PCF en quelques chiffres

Officiellement : 134 000 membres revendiqués, dont 54 % à jour de leur cotisation (10 euros en moyenne en 2012). 

- 78 maires de villes de plus de 10 000 habitants (28 de plus de 30 000).

- 791 maires communistes ou apparentés.

- 8 007 conseillers municipaux (2 397 adjoints au maire).

- 7 députés FG/PCF, 19 sénateurs FG, 3 députés européens.

- 94 conseillers régionaux  et 235 conseillers généraux, qui presque tous font partie d’exécutifs communs avec les socialistes.

- 2 présidences de conseils généraux : Val-de-Marne et Allier. 

Paroles de maires…

Le maire communiste d’Arles a fait très fort dans une interview au Figaro : les critiques virulentes contre le gouvernement ? « Une posture ». La dénonciation de l’accord Medef-CFDT de flexibilité ? « De toute façon la CGT ne signe jamais rien. » Pour lui c’est clair : vive l’union de la gauche aux municipales !

Mais il exagère celui-là… Plus représentatif sans doute de la « ligne », le député-maire de Vierzon, Nicolas Sansu : « le rassemblement de la gauche se passe plutôt bien chez nous et il n’y a pas de raison que cela change. » Il relativise les tensions au parlement : « Chacun montre ses muscles, c’est normal à un an des municipales. Mais la raison va l’emporter, sinon tout le monde aurait à y perdre face à l’UMP et l’UDI qui auront le vent dans le dos ! ça incitera les uns et les autres à ne jeter personne par-dessus bord (…) Je n’ai pas de comptes à régler avec le PS et je ne crois pas à l’affrontement des deux gauches. »

Le monsieur a fait venir Mélenchon pendant les législatives. Juste après, dans son dernier tract de campagne, il a mis une belle photo de François Hollande. 

Billard à trois bandes : les socialistes, Mélenchon et le PCF

Dans le Parisien, le président PS de l’Assemblée nationale Bartolone a mis en garde les communistes : ils ne pourront pas « demander » les voix des socialistes s’ils ont comme « seul objectif d’affaiblir le président. »

Chantage dénoncé par les dirigeants communistes, et moqué par Mélenchon sur son blog : comme d’habitude, le PS essaie de « taper en faisant un chantage aux municipales sur le parti communiste (…) Dans l’imaginaire bureaucratique du Parti des situations acquises et des places disponibles, le monde entier est censé être à son image un ramassis de carriéristes effrénés. Pour eux donc, les sortants communistes sont supposés être plus accommodants. » Mais ça ne marchera pas : « car plus ils parlent et plus la cohésion du Front de gauche contre les maîtres-chanteurs et le dégoût de leurs méthodes s’accroissent. »

Démonstration.

La délégation du PS au congrès du PCF n’est pas passée dans la salle des débats (peur des huées ?) Mais Pierre Laurent l’a reçue dans un petit salon. Le PS Bachelay a dit : « La gauche est diverse mais ne doit pas être divisée ». Pierre Laurent a répondu : « Nous avons une culture commune de gestion des collectivités territoriales. Il serait dommageable de brader cet acquis. » Un groupe de travail PS-PCF sur les municipales a été constitué.

Donc, non bien sûr, si les socialistes ont un « imaginaire bureaucratique », les communistes, eux, n’ont pas de « réalité bureaucratique »… et ne cèdent à aucun chantage. Le mot de la fin à Mélenchon : il a déclaré au moment du congrès communiste que la priorité des municipales est de « tenir des positions locales ». Lui serait intéressé par les élections européennes. Marché conclu ?