Fabien Roussel, qui a été réélu début avril à la tête du Parti communiste français, a publié en mars 2023, un livre intitulé « les Jours heureux sont devant nous, de la présidentielle à la reconstruction de la gauche » (éditions Le Cherche-Midi).
Dans cet ouvrage, il revient sur la campagne présidentielle et sur les législatives. Il s’agit pour lui de dresser un bilan et de donner la ligne qu’il entend défendre avec son parti dans les prochains mois.
Pour faire gagner la gauche, parler à droite ?
Fabien Roussel a un leitmotiv, qui revient tout au long du livre : la gauche a abandonné la valeur travail, et par la même occasion les travailleurEs. Il faut alors les convaincre de revenir dans le giron de la gauche. En soi, cette motivation n’est pas complètement mauvaise, même si « la valeur travail » ne semble d’emblée par être une valeur de gauche. Mais se préoccuper de politiser les classes populaires sur les lieux d’exploitation est une bonne chose. Seulement, pour Fabien Roussel, ce qui a éloigné les travailleurs de la gauche, ce ne sont pas les trahisons multiples du PS, du PCF et de EELV une fois que ceux-ci sont au pouvoir ou lorsqu’ils gèrent des collectivités locales. Non, cette rupture serait liée au fait que la gauche se préoccupe plus d’autres sujets qui clivent la population. À titre d’exemple, Roussel explique que la gauche a rompu les digues sur la question de la laïcité. Pour lui, il faut réaffirmer le droit à la caricature et au blasphème. Rappelons que ce droit existe, et que personne ne le remet vraiment en cause, si ce n’est les terroristes qui ne sont pas vraiment des militantEs de gauche. Sauf qu’à travers cette critique de la laïcité prétendument « oubliée » par la gauche, Fabien Roussel ne condamne à aucun moment le racisme anti-musulman qui touche notre société : l’islamophobie. Pourtant, le droit à la caricature n’ouvre aucunement le droit au racisme, et dire cela n’a rien à voir avec un rejet de la laïcité.
Revenant sur la campagne présidentielle, le dirigeant du PCF parle à nouveau de sa sortie sur la bonne viande, le bon vin, le bon fromage. Le tout devant être « français ». La stratégie est bien rodée : il lance une polémique volontairement caricaturale, cela donne lieu à un buzz médiatique, puis il contre-balance son propos en disant simplement être pour que tout le monde puisse bien manger à sa faim. Mais qui, à gauche, n’est pas pour que tout le monde puisse bien manger à sa faim ? La polémique est ailleurs, et il le sait : en parlant de viande, de vin et de « France », c’est l’absence de critiques de la production de viande à outrance et des méfaits sur la santé, de l’alcoolisme très répandu dans notre pays, mais aussi le caractère chauvin des propos qui choquent. Il ne s’agit pas d’avoir un jugement moral sur les comportements des individus, mais, a contrario, il n’est pas normal de surfer sur cela pour « flatter » ce qu’il pense être une base électorale. En réalité, comme lorsqu’il avait eu des propos extrêmement choquants en disant que « oui, il faut être plus ferme » sur le sujet de l’arrivée des travailleurEs migrantEs, Roussel parle à l’électorat de droite, d’extrême droite, mais aussi de façon plus générale aux personnes qui ne votent pas ou pas pour lui et qui sont attirées par les discours racistes et « anti-woke ». À chaque fois, pour ne pas trop froisser sa base ancrée à gauche, il revient sur ces propos polémiques avec des positions plus traditionnelles du mouvement ouvrier. Mélenchon faisait la même chose jadis, comme lorsqu’il avait dit que « les travailleurs détachés volent le pain des travailleurs français ». Ruffin, dans son style, adopte la même stratégie, dernièrement sur la question des droits des personnes trans à changer de genre, afin de ne pas « diviser la société ». Puis, devant le tollé, il est revenu sur ces propos promettant de « progresser ». Nous sommes ici face à un grave problème qui consiste à faire passer l’objectif électoraliste avant la construction d’une théorie communiste, anticapitaliste ou même socialiste.
Reconstruire quelle gauche ?
L’un des objectifs du livre est de proposer un plan pour reconstruire la gauche. Et le moins que l’on puisse dire c’est que, pour Roussel, le cadre pour faire cela ne peut pas être la NUPES, qu’il s’interdit d’ailleurs de nommer par son acronyme. Il y a évidemment une critique légitime à faire de cet attelage électoral. Seulement, les critiques formulées par le chef du PCF sont systématiquement des critiques droitières, qui visent principalement à attaquer Jean-Luc Mélenchon. Dès les premières pages, Roussel se sent par exemple obligé de dénoncer les propos du leader insoumis sur la police : « La personnalité de Jean-Luc Mélenchon, son propos sur “la police tue” passent mal. […] Je suis d’emblée obligé de faire une déclaration publique pour dénoncer ces propos outranciers. ». Pour se démarquer de la FI et de EELV, il propose un chapitre entier pour rappeler en quoi le PCF est pro-nucléaire. Avec par exemple cette « pépite », à l’heure où la crise du nucléaire français rend la possibilité d’un accident de plus en plus crédible : « Nous avons la chance d’avoir un parc de 56 réacteurs nucléaires amortis ». Quelle chance en effet ! Ou encore, dans le genre démago, il cite un camarade de la CGT qu’il a rencontré et qui lui a dit : « Nos trains ne vont pas rouler avec des éoliennes ». Ce syndicaliste a par ailleurs voté pour Mélenchon… comme quoi.
Quelles limites ?
Toutefois les désaccords avec la NUPES vont encore plus loin. Ce qui transpire de la lecture de l’ouvrage, c’est que Roussel veut élargir le rassemblement… sur la droite. D’ailleurs, les mots d’amour pour le PS ne manquent pas. Alors qu’au départ LFI était contre intégrer le PS à la NUPES, Fabien Roussel écrit : « En outre, LFI nous indique que le Parti socialiste n’est pas convié à ce rassemblement. C’est à nos yeux là aussi une grosse erreur ». Et plus loin : « En ce qui me concerne, je ne me résous pas à la mise hors-jeu des socialistes. Je prends contact avec Olivier Faure pour lui faire part de mon total soutien ». Il faut dire que plus tôt, il écrivait aussi : « Ce cap-là [celui de sa campagne présidentielle], j’en suis persuadé, dépasse largement l’horizon de la gauche. Car avec un tel programme, nous avons l’ambition de rassembler les électeurs de gauche, bien sûr, mais aussi de convaincre de nombreux abstentionnistes ou des électeurs perdus qui se sont laissé persuader de voter à droite ou à l’extrême droite ». Quelle est donc la limite de la gauche que veut reconstruire Roussel ? Car malheureusement, les personnes qui votent à l’extrême droite ne sont pas seulement des personnes qui se trompent de colère. Elles sont souvent gagnées aux idées racistes, aux préjugés LGBTIphobes, au sexisme, au climato-scepticisme. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas avoir une politique à destination de ces personnes, mais cela impose d’être le plus clair possible sur le programme et sur le projet de société, et également sur la pratique militante : autrement dit, une gauche antifasciste, antiraciste, féministe, internationaliste, qui défende des mesures d’urgence sociale et écologique, et qui s’implique totalement dans les luttes des oppriméEs, sans exception. Cacher ces principes pour ne pas faire peur ne peut pas être une bonne solution.
Vision électorale autour de la nation
Autre point crispant, c’est celui qui consiste à ne pas donner un caractère de classe à la gauche à reconstruire. Pour Fabien Roussel, « il faut pouvoir parler à ce cœur battant pour mieux l’éloigner des ressentiments les plus néfastes. La gauche porte une responsabilité vis-à-vis du monde du travail. De la classe ouvrière jusqu’à la classe moyenne et même à une partie de la bourgeoisie, elle doit être capable de rassembler une majorité en respectant les choix de vie, les traditions, les cultures, les territoires. ». Cette vision, pour le moins inter-classiste, est le résultat d’un discours très porté autour de la Nation. En fin de compte, il n’y a quasiment que des réflexes électoraux et patriotes. Roussel n’envisage la prise du pouvoir que par les urnes, et dans le cadre d’alliances sur sa droite. Preuve en est sa main tendue à Bernard Cazeneuve en avril dernier.
Le discours électoraliste va jusqu’à revenir sur les exemples du CNR (Conseil national de la résistance) ou du Front populaire, en oubliant systématiquement de parler de la situation sociale qui a permis de gagner des droits sociaux en 1936 et en 1945 : c’est-à-dire, qu’au-delà de la présence du PCF (qui était d’ailleurs plutôt un frein à la révolution de par sa stalinisation à outrance), il y avait un fort niveau de combativité du prolétariat, avec en 1936 une grève générale et en 45 des milices révolutionnaires armées. Ne pas rappeler cela est malhonnête car précisément les grandes avancées de 1936 n’étaient pas dans le programme du Front populaire, et, si en 1945, la bourgeoisie concède des mesures importantes, c’est parce qu’elle a peur d’un débordement révolutionnaire.
Ceci n’est pas un communiste
Le dernier chapitre tente d’expliquer ce que c’est que d’être communiste aujourd’hui. Comme on a pu le voir avant, il n’y a pourtant pas grand-chose de communiste dans ce que propose le programme du PCF. Au mieux une gestion de gauche, mais à aucun moment une rupture révolutionnaire. Par exemple, lorsque Roussel nous parle de sa vision de la démocratie dans les entreprises, celui-ci se cantonne à vouloir donner du pouvoir aux travailleurEs, mais pas le pouvoir aux travailleurEs. Autrement dit, la remise en cause de la propriété privée des moyens de production n’est pas posée. Ce qui est pourtant le B.A.BA d’une politique anticapitaliste. Bien sûr, nous pouvons comprendre que le but d’un tel livre n’est pas de présenter ce que serait le communisme aujourd’hui. Il est entendable de mettre en avant des mesures transitoires. Pourtant Roussel avait bien annoncé vouloir parler de communisme. Sauf que nous n’en voyons aucune trace. Nous avons déjà pointé plusieurs contradictions avec une politique révolutionnaire, et nous pouvons ajouter le rapport à l’État, et notamment à la police. Fabien Roussel revendique toujours avoir eu raison de « participer à une manifestation organisée par des syndicats de policiers ». En fait ces principaux syndicats sont d’extrême droite et se mobilisaient pour que la police ait plus de pouvoir face à la justice qu’ils jugeaient « laxiste ». Disons-le : il n’est pas possible d’être communiste et de défendre la police, c’est-à-dire le bras armé de l’état capitaliste. Participer à cette manifestation relève de la trahison, trahison partagée avec Yannick Jadot et Olivier Faure qui y ont aussi participé. Pas communiste donc… Cest nous qui le disons. Pas seulement. Le patron du PCF reconnaît lui-même que son parti n’est pas communiste, ou du moins ne défend pas une politique communiste, à travers cette phrase qui dit tout : « Malgré tout, je pense que les Français, à travers le travail des élus communistes et des adhérents qu’ils connaissent, savent faire la part des choses entre les idées que l’on défend et le nom du parti qui les incarne. Les partis ou les mouvements qui changent de dénomination tous les deux ou trois ans non seulement n’en retirent aucun bénéfice mais bien souvent se perdent en route ».
Si, comme nous l’avons déjà plusieurs fois affirmé, la politique de la France insoumise ne peut être une garantie sur bien des sujets, force est de constater que le PCF, avec Fabien Roussel à sa tête, se place à droite de la FI. La dérive, que pointait déjà Laurent Ripart1, se poursuit. Espérons que les militantEs du PCF qui se battent toujours pour une société débarrassée du capitalisme, du sexisme, de toutes les oppressions, et souhaitant mettre un terme au productiviste, sauront prendre le chemin de la construction d’une force politique nouvelle, unitaire, écologiste, anticapitaliste.
- 1. L. Ripart, La campagne Roussel : un tournant à droite pour le PCF, Revue l’Anticapitaliste n° 131, novembre 2021.