Publié le Samedi 6 octobre 2012 à 11h09.

L’Europe et la croissance - La drôle de guerre de François Hollande

Par Yann Cézard

 

Ça y est. L’austérité socialiste est bien là. La raison officielle ? Les hypothèses de croissance doivent être revues drastiquement à la baisse. Mais là on ne comprend plus. Hollande ne nous avait-il pas dit qu’il fallait « des mesures pour la croissance » ? Que les mesures d’austérité s’empilant les unes sur les autres, à travers toute l’Europe, ne faisaient que tuer tout espoir de reprise ?

 

Des plans d’austérité d’une férocité inouïe ont en effet plongé la Grèce et l’Espagne dans la récession, fait exploser le chômage… et la dette publique elle-même, faute de recettes fiscales pour les Etats.

Or, une petite musique se faisait entendre depuis quelques mois chez tous les socialistes européens. Certes, nous devrons prendre des mesures de rigueur budgétaire (doux euphémisme pour la réduction des salaires, des services publics et des droits sociaux) dans chacun de nos pays. Comme nos camarades Papandréou et Zapatero. Mais on devrait compléter la rigueur nationale par des mesures de croissance à l’échelle de l’Europe. « L’austérité aux états, la relance à l’Europe » comme le disait le vieux Delors.

Une manière de concilier le sérieux (austéritaire) et l’espoir (croissantiste). Alors, à entendre Hollande, on allait voir ce qu’on allait voir : une gigantomachie à l’échelle du continent.

 

Acte 1 : Hollande contre le traité d’austérité

Elle commencerait par la remise en cause du « Traité pour la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union économique et monétaire », négocié par Sarkozy et Merkel.

L’union monétaire européenne négociée au début des années 1990 suppose déjà, dans sa forme libérale actuelle, une discipline budgétaire dans chaque pays (les fameux « critères de Maastricht », interdisant a priori aux Etats membres de dépasser 3 % du PIB de déficit budgétaire et 60 % du PIB de dette publique, chiffres évidemment largement dépassés désormais). Le nouveau traité dur­cit le dispositif. Chaque Etat s’engage à instaurer une « règle d’or » inscrite dans la constitution, imposant un déficit « structurel » maximum de 0,5 % du PIB, et à réduire d’un vingtième par an, dans les trois ans, la dette publique, si elle dépasse les 60 %. En cas de transgression, la Commission européenne aurait le pouvoir d’initier de fortes sanctions financières et de « négocier » des réformes « structurelles » (ultralibérales et antisociales évidemment). Les Etats membres de la zone euro, pour avoir le droit d’y rester, devraient donc lui soumettre non seulement leur projet de budget annuel, mais aussi son application progressive au fil de l’année.

C’est, gravée dans le marbre d’un traité international, l’institutionnalisation de l’austérité généralisée.

Face à Sarkozy, pendant la campagne présidentielle, Hollande avait martelé : « Je renégocierai ce traité. » Puis expliqué avoir trois exigences, pour un « compromis satisfaisant » : la possibilité pour la BCE de financer directement des états (et non comme aujourd’hui, le seul droit de prêter à taux quasi-nul aux banques pour que celles-ci daignent ensuite prêter à certains Etats à des taux d’intérêt de 5, 6, ou 7 %) ; la mise en place d’euro-obligations pour mutualiser les dettes publiques européennes ; des mesures financières massives de « relance de la croissance » en Europe, par des « grands travaux ».

 

Acte 2 : Hollande enfume l’affaire

Rien de radical : de telles mesures rapprocheraient la politique de l’UE de celle des… Etats-Unis. Elles ont dû pourtant paraître déjà trop audacieuses à Hollande. Au cours du mois de juin, il cessa peu à peu de dire vouloir renégocier le pacte de budgétaire lui-même, mais menaça de ne pas le ratifier s’il n’était pas « complété par un pacte de croissance ». Nuance absurde, puisque ce serait alors se contredire, en ajoutant un pacte de relance à un pacte d’austérité !

Fidèle à son amour pour le flou, Hollande garda également un silence de plus en plus épais, voire poisseux, sur ses « mesures pour la croissance ». Certes, il laissait entendre par là des grands travaux, de l’investissement public, ménager les salaires pour ménager la consommation… Mais il y a aussi les mesures libérales qui se disent « favorables à la croissance » : les privatisations, l’ouverture des services publics à la concurrence, la flexibilisation du « marché du travail » c’est-à-dire la précarisation généralisée des salariés, le démantèlement du code du travail et de la protection sociale. « Toutes les idées sont bonnes à prendre », disait flegmatiquement notre brave président en réponse à ces suggestions de Merkel ou Barroso…

C’est armé de ce programme modeste et contradictoire que l’homme qui voulait « donner du sens à la rigueur » partit en guerre pour changer l’Europe. Toute cette dramaturgie devait avoir pour point d’orgue le sommet européen des 28 et 29 juin.

 

Acte 3 : Hollande se renie

A son issue, Hollande a annoncé… qu’il ferait ratifier rapidement le pacte budgétaire européen !

Que s’est-il donc passé ? Pour Libération, pas de doute : « Hollande 1 – Merkel 0 ». Pour Hollande lui-même, très fier apparemment de sa contribution à l’Histoire : « J’avais annoncé que je voulais renégocier ce qui avait été décidé, au sens d’y mettre ce qui ne s’y trouvait pas, croissance et mesures de stabilité. Je considère que ce sommet a permis d’aboutir à cette renégociation. »

Qu’a-t-il donc obtenu en échange ? Pour être si fier de sa contribution à l’Histoire ?

• Le pacte budgétaire, d’austérité, reste intégralement intact.

• Le « pacte de croissance » qui le « complète » est une chimère. Il affiche 120 milliards d’euros. Sauf que la moitié, 60 milliards, vient en fait des fonds structurels européens recyclés sous un autre nom, donc des sommes déjà programmées pour 2012-2013. Comme le signale malicieusement Attac : « c’est comme remettre un cadeau dans un nouvel emballage pour l’offrir à nouveau ». L’autre moitié viendrait de prêts – hypothétiques – que la Banque européenne d’investissement voudrait bien consentir à des groupes privés. Si ceux-ci les demandent, c’est-à-dire y voient un profit rapide possible… malgré la crise actuelle. Cette chimère des 120 milliards d’euros représente par ailleurs 1 % du PIB européen seulement. Somme ridicule par rapport aux plans de relance américains, japonais ou chinois des dernières années. Commentaire sans pitié d’un « analyste financier » cité par Le Monde le lendemain du sommet : « C’est du rooseveltisme lilliputien ! »

• La politique de la BCE est confirmée. Elle n’aura même plus à racheter des obligations (sur le marché dit « secondaire ») des pays attaqués sur les marchés financiers, comme elle avait dû le faire en 2011, contre sa « doctrine » et son statut dans les traités européens, pour éviter le pire. C’est désormais le MES (Mécanisme européen de stabilité, le fonds qui remplace le FESF) qui le fera. Or le MES devra lui-même emprunter ses fonds sur les marchés financiers, et non emprunter directement à la BCE, comme le font les banques. La même absurdité, qui donne aux banques un pouvoir usuraire sur les états… avec l’argent des états, continue donc et est gravée dans le marbre ! Pire encore : les pays faisant appel au MES (parce qu’ils ne pourraient plus financer, et donc rembourser leur dette, ou recapitaliser leurs banques en faillite) devront signer des « mémorandums » avec la troïka BCE/Commission européenne/FMI. Comme la Grèce ! Ainsi le sommet ferme encore plus la porte à la perspective d’une monétisation de la dette, qui a priori était susceptible d’alléger la charge pesant sur les Etats, en leur permettant d’avoir des prêts à faible taux et en faisant un peu marcher la « planche à billets », l’inflation rognant les créances. Il verrouille la soumission des états « aidés » aux mémorandums d’austérité. Le MES est bien une sorte de FMI européen, avec ses plans d’ajustement structurels et ses pratiques d’usurier.

• Les euro-obligations ne sont même pas dans les conclusions du sommet. Jean-Marc Ayrault, qui est un visionnaire, a d’ailleurs dit, l’air fort satisfait, qu’elles devenaient désormais une vraie perspective pour l’UE… « d’ici dix ans » !

• La taxation sur les transactions financières annoncée est une baudruche. Elle sera à élaborer dans les couloirs de la commission européenne, un labyrinthe où se sont déjà perdues bien des promesses du passé. Pour mémoire, l’esquisse du dispositif en a été tracée par Sarkozy lui-même, et cela ressemblait fort à la restauration d’un dérisoire « impôt de bourse » sur certaines ventes d’actions… qu’il avait lui-même supprimé en 2007.

• L’Espagne obtient une avance potentielle de 100 milliards d’euros pour recapitaliser ses banques mais pas pour financer sa dette. L’Union européenne est donc toujours aussi disposée à dépenser de l’argent pour sauver la finance, pas les emplois, les services publics, le niveau de vie des classes populaires.

Dans la foulée de ce ralliement des socialistes à la Merkozie, le président (socialiste) de la Cour des Comptes Migaud, nommé par Sarkozy, a chanté un air déjà trop connu : « Le respect de la trajectoire de réduction du déficit est essentiel à la crédibilité des engagements de la France et à une appréciation favorable des autres Etats de l’UE et des marchés financiers sur sa politique. » Engagements européens ? Confiance des marchés ? Le traité est déjà appliqué…

 

Sortir de la crise ou aller droit dans le mur ?

C’est donc la politique austéritaire de Merkel et Sarkozy qui se voit confirmée par le sommet du 28-29 juin. Elle prétend sortir l’Europe de la crise mais la mène droit dans le mur, puisque les mesures d’austérité plongent le continent dans une récession qui justifie ensuite les mesures d’austérité.

En réalité, il ne s’agit que de permettre aux capitalistes de préserver leurs profits, et aux patrimoines financiers de continuer à prospérer, malgré la crise. La seule « croissance » dont il est en fait question aujourd’hui dans les sphères gouvernementales européennes, ce n’est certainement pas le développement ou le progrès social (ce qui est toute autre chose que la « croissance » de la production de marchandises, biens et services, en valeur). Ce n’est pas non plus une politique de « relance » de la demande, par des investissements publics de long terme, un relèvement du pouvoir d’achat des classes populaires, des créations massives d’emplois. C’est une politique d’exploitation accrue des travailleurs du continent.

De là vient le refus brutal et dogmatique des gouvernements européens, complices des banques et des possédants, ne serait-ce que de réformes fort modérées, comme changer la nature de la BCE par exemple (lui faire activer la « planche à billets ») ou mutualiser les dettes. Il y a certes les égoïsmes nationaux, qui se paralysent réciproquement, et le jeu des purs rapports de forces. L’Allemagne n’a pas les mêmes intérêts immédiats, en termes de politique monétaire et budgétaire, que l’Espagne et même la France. Mais il y a aussi la sainte horreur d’une inflation qui dévaloriserait les créances et la valeur des patrimoines des riches de tout le continent. 

Il n’y a pas à chercher plus loin les raisons de la « lâcheté » de Hollande, ou d’une France qui ferait « de la figuration » (selon Jean-Luc Mélenchon), soi-disant face à l’inflexible et dominatrice Allemagne… Au-delà de la divergence de situation économique des différents Etats et du jeu des rapports de forces, il y a aussi un programme commun de toute la bourgeoisie européenne : défendre ses patrimoines financiers, retrouver ses profits, accentuer sa compétitivité contre ses concurrents extérieurs, défendre le fonctionnement actuel, hautement financiarisé, du capitalisme.

Une telle politique revient finalement à reconduire sans cesse les conditions mêmes qui ont mené à cette crise profonde  du capitalisme, la liberté complète des capitaux (à travers la  finance moderne globalisée) et la compression incessante des salaires et des emplois. Rompre avec cette spirale infernale supposerait au contraire de revenir radicalement sur l’évolution, au cours des trente dernières années, qui a vu dans tous les pays européens un transfert massif (de l’ordre de 15 à 20 % du PIB !) des salaires vers les profits, et des profits investis vers les revenus financiers. Or cela ne peut se faire à son tour qu’en remettant en cause la dictature du profit privé sur l’économie.

Inimaginable pour nos socialistes. Qui se résolvent donc (bien volontiers) à faire eux aussi le sale boulot de l’austérité.