Publié le Lundi 19 juin 2017 à 10h33.

Mélenchon, le populiste de gauche

Face au populisme de droite affiché par Marine le Pen et le Front National, Mélenchon et la France Insoumise ont décidé d’enfourcher les thématiques du « populisme de gauche », glorifiant la patrie et le peuple…

Un blog appelé « L’ère du peuple », l’affirmation que « notre feuille de route est la devise de la patrie : Liberté, Egalité, Fraternité », des drapeaux bleu-blanc-rouge au lieu du drapeau rouge et la Marseillaise à la place de l’Internationale, tous ces symboles en disent long sur la stratégie de Mélenchon. Balayés, les symboles du mouvement ouvrier, disparues, les références aux luttes et au socialisme, le leader de la gauche radicale est devenu un patriote affirmé, parlant au nom du peuple. Une stratégie pour regrouper le maximum de gens derrière lui ? Certainement. Mais également une façon de démobiliser les travailleurs et d’affaiblir les consciences ouvrières. 

Tout au long de sa campagne, Mélenchon a parlé de patriotisme, de protectionnisme, d’intérêt national, de gloire de la France dans le monde. Il n’a évoqué aucune mesure tant soit peu radicale pour s’opposer à la toute puissante des capitalistes (nulle socialisation des moyens de production, et même pas de nationalisations) et s’est proposé de réunir les classes sociales plutôt que de les opposer. Il s’agit de rassembler très largement, au-delà des seuls salariés, des catégories de la petite et moyenne bourgeoisie, et même des chefs d’entreprise, qu’il a flattés particulièrement en parlant de privilégier les PME françaises par rapport aux entreprises étrangères. Pas question donc de soutenir les salariés contre les patrons, il faut au contraire faire coïncider leurs intérêts.

Ces conceptions ont notamment leur origine dans les travaux d’Ernesto Laclau (décédé en 2014) et de Chantal Mouffe, qui a inspiré en partie les programmes de Tsipras en Grèce et d’Iglesias en Espagne, avant de devenir un soutien revendiqué de Mélenchon. Ces deux « philosophes politiques » estiment que les oppositions de classe sont dépassées et ont laissé place à une opposition peuple-oligarchie. Les ennemis du peuple sont la « caste » – l’oligarchie financière et les faiseurs d’opinion que sont les médias et les politiciens. Pour Chantal Mouffe, seuls les excès du néolibéralisme sont en cause. Le « réformisme radical » dont elle se veut le chantre vise à réformer le capitalisme, non à en finir avec lui. Un révisionnisme adapté à l’air du temps, reprenant les vieilles lunes qui effectuent une différence entre un bon capitalisme, investissant dans la production, et un mauvais, le financier, comme si la finance n’était pas intrinsèquement liée au processus de production et de fabrication de la plus-value.

Mais c’est plutôt pratique : cela permet à Mélenchon de ne pas s’attaquer aux patrons en général. Il les a d’ailleurs rassurés pendant sa campagne en leur proposant de se « rendre utiles au pays et aux objectifs communs que nous tracerons à la patrie. »

 

Le culte du chef

Il s’agit de reconstruire un peuple uni contre l’oligarchie autour de valeurs progressistes. Et c’est autour d’un leader que le peuple doit s’agglomérer. Avec comme idées fortes et simplistes : eux contre nous, la caste contre le peuple. Mélenchon peut ainsi dire, votez pour moi, je me charge du reste. Pas d’intervention des masses dans le champ politique et social, pas d’auto-organisation. Et surtout, pas de démocratie directe, car la créativité populaire est soumise à un chef charismatique, ce que les marxistes ont depuis longtemps appelé une forme de pouvoir « bonapartiste », celui d’un homme prétendant incarner la nation tout entière en se dressant contre ou au-dessus des partis. Les chefs charismatiques Chavez, Correa ou Morales, qui ont fait des concessions à leur peuple tout en préservant le système capitaliste, sont logiquement revendiqués comme des modèles.

 

La fin des partis ?

Dernière étape de la démarche : il ne faut plus de partis, mais un mouvement. Mélenchon l’explique ainsi sur son blog, dans un papier de novembre 2016 intitulé « le peuple et le mouvement » :  « Au siècle où les humains n’étaient "que" deux milliards, il y avait le "parti de classe". Il était nécessairement aussi délimité que l’était "la classe" elle-même dans une société où elle n’était nullement hégémonique. En fait, les ouvriers constituaient une sorte d’archipel dans un océan de paysannerie et de travailleurs indépendants de la boutique et de l’artisanat. Sa verticalité correspondait à une organisation du travail lui-même. La centralisation découlait des moyens de transports et de communication autant que comme reflet de la centralisation de son adversaire. Bref, le "parti de classe" correspondait à une réalité sociale et matérielle qui s’est elle-même dépassée de toutes les façons possibles. L’émergence du "peuple" comme catégorie sociale protagoniste face à l’oligarchie de la période du capitalisme financiarisé dominant appelle sa forme spécifique d’organisation. Cette forme, c’est le mouvement. »

Dans les élections législatives, Mélenchon persiste et signe. Lors d’une émission sur France 3, interrogé sur ses intentions de mobiliser les travailleurs en cas de nouvelles attaques contre le code du travail, il a répondu qu’il espérait que ce ne serait pas nécessaire. Il suffirait en effet de bien voter pour ses candidats pour qu’une majorité parlementaire fasse échec aux plans du gouvernement contre les salariés. Il explique aussi qu’il serait prêt à gouverner en devenant le premier ministre d’un gouvernement de cohabitation, pour contrecarrer les projets de Macron. Le PCF avait l’habitude d’appeler à voter massivement pour ses candidats afin de protéger les salariés des mauvais coups. On a vu ce qu’il en a été.

Régine Vion