Depuis le premier tour de l’élection présidentielle, il semble évident que le Parti socialiste, dans la forme où il a été refondé en 1971 à Epinay par Mitterrand, se trouve désormais au bord de la tombe. Une boucle est bouclée au terme de 46 ans d’existence. Elle l’est sans aucune larme de la part de la population et a fortiori des anticapitalistes.
Laminé à sa droite par Emmanuel Macron et à sa gauche par Jean-Luc Mélenchon, le candidat officiel du PS, Benoit Hamon, a donné au PS un des plus mauvais scores de l’histoire du parti, à 6,3 %. Le quinquennat de Hollande aura fini l’œuvre de pourrissement de ce parti gouvernemental. A quoi peut-il laisser la place ?
La question est d’importance pour les capitalistes, qui ont besoin d’alternances et de partis capables de berner les populations pour leur faire accepter des sacrifices, rôle joué de longue date par les partis réformistes. Elle l’est aussi pour les militants ouvriers, auxquels est posée la question d’une politique face à ce qui pourra sortir de cette situation en termes de parti. Pour l’instant le PS, après avoir laminé le Parti communiste à partir des années 1970, est en passe de laisser la place à l’inconnu.
Un parti socialiste à refonder ?
Beaucoup dans le Parti socialiste réclament une refondation. Le thème est récurrent, notamment depuis l’échec de Ségolène Royal à l’élection présidentielle de 2007 face à Nicolas Sarkozy. Certains le sommaient de retrouver ce qu’ils considéraient comme une véritable politique de gauche, mais la plupart affirmaient qu’il était important d’adapter ce parti à notre époque, en inscrivant ses pas encore plus fermement dans l’économie de marché.
Depuis, il y a eu Hollande et son quinquennat catastrophique pour les classes populaires, avec une politique ouvertement pro-patronale, devançant les moindres désirs de Gattaz, le patron des patrons, avec le CICE, la loi Travail et, pour maintenir l’ordre, l’état d’urgence permanent et la liberté donnée aux forces de police de réprimer brutalement. Alors, what else ? Qu’est-ce qu’un parti se réclamant de la gauche pourrait faire de plus dans l’adaptation à la société capitaliste ? Il a d’ailleurs accepté d’en payer le prix, avec une fuite massive des électeurs devant cette politique pour laquelle ils n’avaient pas voté. Une espèce de suicide pour un parti tout dévoué aux intérêts de la bourgeoisie.
De la SFIO au Parti socialiste, de renoncements en cures d’opposition
Le Parti socialiste a connu bien des cycles depuis sa fondation en 1905 sous le nom de SFIO (section française de l’internationale ouvrière), par la fusion des différents courants se revendiquant alors du socialisme dans le pays. Ce premier cycle s’est terminé en 1920, à la suite de la révolution russe de 1917 et du congrès de Tours où une minorité, refusant les conditions d’adhésion à la Troisième Internationale, maintint la SFIO contre le Parti communiste, auquel adhéra la majorité de l’ancien parti . Au passage, il faut noter l’effondrement de la social-démocratie en 1914, quand les dirigeants ouvriers entonnèrent les trompettes du nationalisme et refusèrent de s’opposer à la boucherie de la Première Guerre mondiale.
La SFIO connut encore quelques épisodes peu glorieux, comme le vote des pleins pouvoirs à Pétain en 1940, ou sa politique coloniale en Indochine et en Algérie. N’oublions pas qu’en 1956, Guy Mollet, le président du Front républicain fraîchement élu, fit campagne sur la fin de la guerre d’Algérie puis.... y envoya le contingent ! Ce n’est donc pas d’hier que ce parti réformiste mène la politique voulue par la bourgeoisie. De trahisons qui entament sa base électorale en cures d’opposition, la SFIO obtint 5,1 % avec Defferre à l’élection présidentielle de 1969, écrasé alors par le PCF de Duclos, à 21,27 %. Cette débâcle mit en évidence le fait que depuis la mise en place de la Ve République, le PS n’avait en fait d’autre possibilité de revenir au pouvoir que d’en passer par des alliances avec le PCF.
Et Mitterrand mit la main sur le PS : recomposition à gauche
La proposition formulée par Mitterrand était donc la seule solution pour que le Parti socialiste puisse renaître de ses cendres. C’est lors d’un congrès tenu en mai 1969 que l’appellation SFIO fut abandonnée au profit d’un nouveau Parti socialiste, lequel vit le jour au congrès d’Epinay en juin 1971, avec François Mitterrand élu comme premier secrétaire.
Celui-ci entama alors sa politique de recomposition de la gauche, c’est-à-dire le rééquilibrage des forces à gauche au profit du PS. Il utilisa un langage très radical, auprès duquel les discours de Mélenchon font bien pâle figure aujourd’hui, pour s’attirer les faveurs des nouvelles forces sociales issues de mai 68 : « Réforme ou révolution ? J’ai envie de dire - qu’on ne m’accuse pas de démagogie, ce serait facile dans ce congrès - oui, révolution. Mais ce que je viens de dire pourrait être un alibi si je n’ajoutais pas une deuxième phrase : violente ou pacifique, la révolution c’est d’abord une rupture. Celui qui n’accepte pas la rupture – la méthode, cela passe ensuite –, celui qui ne consent pas à la rupture avec l’ordre établi, politique, cela va de soi, c’est secondaire (…) avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, il ne peut pas être adhérent du Parti socialiste ».
Un an plus tard, le Programme commun de la gauche était adopté par le PS, le PCF et la petite formation des Radicaux de gauche. Le PCF avait cette fois la promesse d’obtenir des ministres dans un futur gouvernement Mitterrand. En 1974, il renonça à présenter un candidat pour soutenir dès le premier tour le candidat commun de la gauche. En choisissant de soutenir ce politicien ayant participé à de très nombreux gouvernements de droite, ministre de l’Intérieur pendant la guerre d’Algérie et homme des amitiés douteuses avec des personnalités d’extrême droite, le PCF savait qu’il risquait une érosion de son influence électorale, mais il se mit à la disposition du PS pour quelques postes ministériels. Et ce fut pour lui la lente descente aux enfers : nombre d’électeurs communistes qui avaient voté pour Mitterrand aux présidentielles de 1974 firent le même choix aux législatives suivantes. En 1978, pour la première fois depuis 1936, le Parti socialiste devançait le Parti communiste, en recueillant 24,95 % des voix contre 20,61 %.
A sa troisième tentative, en 1981, Mitterrand fut élu. Après quelques mesures limitées, comme le relèvement du Smic, le passage aux 39 heures et la retraite à 60 ans, le gouvernement d’union de la gauche prit le « tournant de la rigueur » : blocage des salaires, vague de licenciements avec la bénédiction gouvernementale.
C’est que les temps avaient changé : la bourgeoisie renonçait à concéder aux travailleurs ne serait-ce que quelques miettes et en était plutôt à leur reprendre les acquis de la période précédente. La social-démocratie, n’ayant plus de « grain à moudre » selon l’expression célèbre du dirigeant FO de l’époque, André Bergeron,, s’embarqua sans états d’âme dans le train néolibéral : c’est le Parti socialiste qui, en France, prendra en charge la politique anti-ouvrière menée ailleurs par Thatcher ou Reagan.
Car la crise menaçait les profits de la bourgeoisie dans le monde. Pour aider les capitalistes à reconstituer leurs bénéfices, les socialistes entamèrent une politique de baisse des cotisations sociales des entreprises. Dès juin 1981, Mauroy décida d’un abattement de 50 % sur les très bas salaires, une politique qui connaîtra un grand succès dans les années qui suivirent. Loin de subir la loi des marchés financiers, selon une fiction véhiculée par elle-même, la gauche mitterrandienne a contribué à les doper. Endettant massivement l’Etat pour soutenir les groupes capitalistes, le gouvernement emprunta sur les marchés financiers et, pour cela, démantela un certain nombre de réglementations qui limitaient les activités financières et les mouvements de capitaux. Ces contraintes, en partie héritées de la crise économique de 1929, avaient pour objectif d’éviter les effets destructeurs de faillites financières en cascade. Lorsqu’on entend certains socialistes se plaindre de l’instabilité des marchés financiers ou des placements spéculatifs, il faut se souvenir que le PS a tout fait pour cela !
Ensuite, à partir de 1997, Jospin continua sur la lancée en privatisant plus que tous les gouvernements de droite qui avaient précédé. La sanction en fut, en 2002, une énorme perte de voix populaires (à travers l’abstention et un report sur d’autres candidats – avec l’extrême gauche, LO et LCR, à 10 %) et la qualification de Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Est-ce que c’en était fini avec le PS ? Pas encore. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été tellement caricatural que bon nombre d’électeurs s’en sont détournés en 2007 et ont voulu le dégager, en votant sans trop d’illusions pour Hollande. Lequel a mis en œuvre une politique que Sarkozy n’avait même pas osé mener.
Dans quel état erre aujourd’hui le PS ?
En menant cette politique illustrée par la loi Travail, faite sur mesure pour le patronat pour casser le code du travail, le PS s’est coupé d’une grande partie de sa base électorale historique. Hollande et Valls ont très vite fait le choix d’une politique dite de l’offre, c’est-à-dire très pro-patronale au risque clairement assumé d’y perdre beaucoup de plumes, ce qui s’est en effet passé. En 2012, le PS avait en mains tous les pouvoirs : la direction de la quasi totalité des régions, plus de la moitié des départements, les deux tiers des villes et même le Sénat, pour la première fois de son histoire. Deux ans plus tard, la dégringolade commençait. Le PS commençait à perdre toutes les élections, et le couple exécutif devenait l’un des plus impopulaires de tous les temps. Aux attaques contre le code du travail s’ajoutaient des tentatives honteuses de rallier des électeurs du Front national, comme lors du débat dégradant sur la déchéance de nationalité.
Hollande, trop déconsidéré, décidait alors de ne pas se présenter, avant que Valls ne soit sèchement battu aux primaires du PS. Les sympathisants socialistes ont ainsi voulu exprimer leur rejet de sa politique libérale et lui ont fait payer son abandon total de ce qui pouvait représenter des valeurs de gauche. Des valeurs tellement foulées aux pieds qu’il était devenu sarko-compatible (en 2007, Sarkozy lui avait proposé d’entrer dans le gouvernement Fillon au titre de « l’ouverture », une proposition que l’intéressé avait alors décliné).
Dans les mois précédant la primaire de gauche, son passage en force à travers le 49-3, sur des sujets aussi importants que la loi Travail, avaient achevé de le discréditer auprès des sympathisants socialistes. Monsieur 49-3 a utilisé cet article trois fois pour imposer la loi Macron et trois fois pour faire passer la loi Travail ; avant de proposer lors de la primaire, sans vergogne aucune, de supprimer cette disposition constitutionnelle ! Ses coups de menton, ses côtés autoritaires et opportunistes ont créé les conditions d’une véritable détestation.
C’est alors que, jugeant la situation mûre, le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, a quitté le gouvernement et fondé son propre mouvement, ce que Valls avait toujours rêvé de faire sans jamais l’avoir osé. En bons opportunistes, une série de responsables socialistes, auxquels l’avenir de leur parti inspirait peu de confiance, ont rapidement rejoint l’enfant chéri des sondages. Les Ferrand, Collomb, Le Drian et bien d’autres (y compris Valls) ont finalement quitté le PS.
Aux primaires du PS, ou plutôt de « la belle alliance populaire » (dont tous les termes sont mensongers), c’est donc Benoît Hamon qui est sorti vainqueur surprise, en adoptant une posture plus à gauche avec sa promesse d’abroger la loi Travail et sa mesure phare de revenu universel, qu’il n’a d’ailleurs cessé d’édulcorer au fil des semaines. Il est vrai qu’il n’en fallait pas beaucoup pour apparaître « de gauche » vis-à-vis de Valls et Hollande. Hamon n’a pourtant pas séduit un électorat plus large, tant son passé d’homme d’appareil et de gouvernement lui collait à la peau, face à un Mélenchon qui, lui, avait déserté les couloirs gouvernementaux depuis assez longtemps pour qu’on l’oublie.
Hamon a parfois été comparé à Jeremy Corbyn, l’actuel leader du parti travailliste britannique. Leurs programmes n’ont cependant pas grand chose à voir. Corbyn est plutôt un social-démocrate de la vieille école, qui veut mettre en place une « économie mixte », en prenant un peu aux patrons pour redistribuer aux travailleurs. Sans parler du fait que face à l’homme d’appareil qu’est Hamon, Corbyn n’est pas seulement un élu de longue date mais aussi un militant qui s’engagé dans de nombreuses luttes contre l’austérité ou pour l’écologie. Les deux partis sont également différents. Le PS se retrouve aujourd’hui à l’os, composé essentiellement d’élus après avoir vu ses adhérents fondre comme neige au soleil. Les illusions électorales dans ce qu’on appelle la gauche de gouvernement se sont déplacées vers la France Insoumise de Mélenchon. Le Labour britannique, toujours lié organiquement aux syndicats, a bénéficié d’une forte vague d’adhésions après avoir largement ouvert ses portes pour l’élection de son dirigeant et reste l’alternative électorale aux conservateurs.
Malgré la modération du programme de Hamon, l’appareil du PS lui a sérieusement savonné la planche, une majorité de ses dirigeants se ralliant de fait à Macron dès avant le premier tour. Depuis, bien sûr, des comptes se règlent et des rats quittent le navire. Le parti est aujourd’hui divisé entre trois grandes orientations : soutenir Macron ; retrouver l’opposition pour y faire une cure qui dans le passé avait toujours profité au PS ; entre les deux, la ligne du ni soutien ni opposition défendue par ce qui reste de l’appareil central autour du premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis.
Il y a bien longtemps que le PS ne représente plus les intérêts des classes populaires. Depuis le déclenchement de la Première Guerre mondiale, à laquelle il s’est rallié sans combattre, il a toujours défendu les intérêts de la bourgeoisie française. Il était utile à cette dernière en conservant des liens avec les classes populaires et le mouvement ouvrier organisé, ce qui lui permettait aussi de disposer d’une base sociale afin de négocier son accession aux affaires. Mais après les cinq années de gouvernements Hollande, ces liens, qui étaient déjà très distendus, n’existent plus.
Les partis et les gouvernements passent, se déconsidèrent à grande vitesse dans une situation où l’offensive de la bourgeoisie devient de plus en plus violente contre les salariés et les pauvres. C’est dans ce contexte très instable que le PS d’Epinay va laisser la place à d’autres expressions politiques. Beaucoup de questions restent ouvertes : que va faire Hamon ? Quel est l’avenir du mouvement qu’il s’apprête à lancer cet été, tout en restant dans le PS ? Et plus généralement, que va-t-il advenir de la gauche de gouvernement ?
Nous verrons bien ce qui pourra sortir de ces ruines mais dans tous les cas, ce qui importe pour les salariés est de reprendre l’offensive et de s’atteler à la construction d’un parti qui défende leurs intérêts, loin de tous les appareils électoralistes qui ne cherchent qu’à les enrôler derrière eux.
Régine vinon