Publié le Dimanche 31 juillet 2011 à 22h16.

Philippe Poutou
, candidat du NPA 
à l’élection présidentielle 2012

Philippe Poutou, 44 ans, ouvrier à l’usine Ford de Blanquefort près de Bordeaux, est un militant de longue date. Syndicaliste, il a mené récemment une lutte importante contre la fermeture de son usine. Il a été désigné par le NPA pour être son candidat à l’occasion de la Conférence nationale qui a eu lieu le 26 juin dernier.

Tu as été désigné comme candidat du NPA. Peu de monde te connaît, quel a été ton parcours militant?

J'ai connu des militants de LO en 1984, quand j'étais au lycée par l'intermédiaire de copains de quartier. On se disait à l'époque anarchistes, contre la société qu'on trouvait violente, on était anti-Pinochet, pour Mandela, contre l'Apartheid, antinucléaire, baba-cool... ça s'appelait comme ça. En même temps, on fréquentait déjà un peu des militants LCR. Avec mes potes, on devient des militants LO mais ceux-ci en partiront quelques mois plus tard. Je reste jusqu'en 1996-1997. À ce moment-là, LO connaît une « crise » interne liée essentiellement au succès à la présidentielle de 1995 et surtout à ses suites : l’appel à la construction d'un parti des travailleurs large. Celui-ci est rapidement abandonné et cela finit par l'exclusion de nombreux camarades. Une organisation « transitoire » est créée (Voix des Travailleurs), des liens se renouent fortement avec les militants LCR avec l'objectif de se regrouper. En 2000 c'est le congrès national qui officialise l'intégration de VdT dan la LCR. Et pour faire vite, en 2009, je fais partie des militants qui participent à la fondation du NPA.

Tu as récemment mené une lutte au sein de l'usine Ford de Blanquefort. Peux-tu la raconter à grands traits?

C'est une bataille qui a commencé il y a plusieurs années. Les menaces sur notre avenir démarrent au début des années 2000 : baisse de production d'année en année, un premier plan social avec 500départs volontaires en 2005, un produit (boîtes de vitesse) vieillissant et destiné à disparaîtresansêtre remplacé. Forcément, on pense tous à une fin programmée pour les années qui suivaient. Ford ne dit rien, nie même le danger.Puis onsubit le plan socialsans pouvoir réagir. Il faut dire qu'il n'y avait pas eu degrève dans l'usine depuis le début des années 1980. L'équipe syndicalen'a aucune expérience, elle est en reconstruction depuis le départ de ses animateurs partis à la retraite.

C'est en février 2007 que nous décidons de nous lancer dans la bataille pour la défense de tous les emplois.Le 24 février, c'est l'appel à la première manifestation à l'extérieur de l'usine,dans la ville de Blanquefort. On essaiedès le début d'alerter l'opinion publique, les médias, les élus. On est 250 à manifester un samedi matin, à l'appel de la seule CGT.Nous réussissons à amorcer la bataille et dès lors, les rendez-vous vont se multiplier et se diversifier, la mobilisation va grossir. Petit à petit nous sensibilisons les habitants, grâce à cettemobilisation nous réussissons à « secouer » les élus locaux qui tardaient à s'inquiéter de la situation. Nous construisons une intersyndicale, ce qui apparaissait au départ quasi impossible. Un comité de soutien se met en place. La résistance contre ce qui apparaissait comme inéluctablese construit. Notre grande chance, c'est que nous avons démarré la bataille avant que le patron ne soit prêt à annoncer clairement une fermeture. Nous étions les petits contre la multinationale Ford mais nous avions engagé le combat avant eux.

Ensuite, les manifestations, les grèves, le blocage de l'usine en 2008, les salles de réunion envahies,les manifestations au salon de l'Auto à Paris (en 2008 et 2010), les distributions de tracts partout où on pouvait, les interventions dans les meetings électoraux (municipales, législatives, régionales...), les voyages pour soutenir les collègues en lutte dans la région bordelaise d'abord(Solectron, Soferti, First Metal...) puisplus loin avec les Molex, New-Fabris, Continental, Philips, Good-Year, Freescale...La multiplication des actions a contribué à élargir le mouvement. On a toujours regardé vers l'extérieur. Cela a aidé à garder la pêche, évité de sombrer dans une forme de résignation. Nous avons aussi bénéficié d’une médiatisation régionale continue et même nationale par moment qui a donné confiance et permis de penser qu'on pouvait faire reculer Ford.

Ford a changé sa stratégie en vendant l'usine en 2009 à un repreneur bidon, une sorte de sous-traitance de fermeture d'usine, mais la mobilisation et l'intervention directe de l'État (Lagarde, Juppé) imposent son retour dix-huit mois plus tard. Il rachète en décembre 2010 et annonce des investissements pour de nouvelles productions en mai 2011.

Alors sauvés ? Rien n'est jamais gagné complètement. On le sait, notre avenir dépendra encore de notre capacité à exercer la pression mais en attendant on repousse sérieusement les échéances (l'usine devait fermer en avril 2010). On « sauve » pour l'instant 1 000 emplois. Nous n'avons pas réussi à empêcher les 336 suppressions d'emploi prévus par le plan social (préretraites et volontaires). Et on est un peu usés. Mais le résultat est énorme au regard de tout ce qui se passe ailleurs.

Le secteur de l'automobile semble touché de plein fouet par la crise. Comment l'État intervient-il dans cette crise?

On a bien mesuré la « crise » de l'automobile au travers de nos voyages pour soutenir les Molex, Conti, New-Fabris... On a vu les mêmes méthodes patronales, les mêmes discours pour faire accepter ces situations dramatiques pour les salariés. On a vu les mêmes discours hypocrites du gouvernement qui n'a rien fait pour empêcher les licenciements et les fermetures. Le plus scandaleux, c'est le cas de Molex où un patron a contourné ouvertement la loi. Donc l'État a bien joué le rôle de complice.

Les gros coups de colère de salariés de Conti, Molex, New-fabris (il y en a d'autres) ont obligé l'État à « intervenir » pour limiter les dégâts. Il a mis à la disposition des constructeurs automobiles et des équipementiers plusieurs milliards, des prêts en grande partie. Il y a eu surtout un dispositif qui a permis de mettre des milliers de salariés en chômage partiel, rémunérés à 90 % environ, évitant ou plutôt permettant de repousser des plans de licenciements.

Mais maintenant on s’aperçoit que les actionnaires et les patrons ont bien été aidés, mais la catastrophe sociale n'a pas été évitée, peut-être un peu aménagée. Près de 50 000emplois pourraient être supprimés en 2011 dans le secteur automobile. Aux États-Unis, les multinationale GM et Chrysler ont été directement aidées par l'État, avec des milliards de prêts et des dizaines de milliers de suppressions d'emplois malgré tout.

La politique de l'État est exactement la même partout. On le voit notamment avec la crise en Grèce. Les « aides » de l'État sont là pour « sauver » le système, les profits et les dividendes et certainement pas le niveau de vie des populations.

Tu défends l'emploi industriel, en particulier dans l'automobile, tucrois vraiment que c'est compatible avec une campagne pour l'écologie?

Bien sûr que c'est compatible. Nous défendons avant tout nos emplois, c'est-à-dire ce qui nous permet de vivre dans l'immédiat. Dans le fond, on se moque de fabriquer des voitures ou autre chose. Ce qui importe, ce sont nos conditions de vie, de travail, notre savoir-faire, nos compétences professionnelles. Et dans les métiers de l'usinage, de l'assemblage, de la métallurgie, nous savons qu'il existe des choses utiles socialement et respectueuses de la planète. Mais il faut le reconnaître, nous sommes dans une urgence sociale, dans la peur du lendemain, et les débats sur quelle production pour l'avenir, le combat contre la pollution... tout cela est moins immédiat pour la plupart des salariés. Nous ne sommes ni plus ni moins qu'ailleurs insensibles aux arguments écologiques. C'est surtout un problème de perspectives politiques, économiques et sociales. C'est aussi une question démocratique dans le sens où personne parmi les salariés ne pense avoir les moyens et le pouvoir d'en discuter.

Cela dit, les préoccupations écologiques sont à encourager mais au même titre que l'ensemble des préoccupations collectives, respectueuse des autres, à l'opposé de l'individualisme. Et très concrètement on peut faire des propositions, par exemple pour aller dans le sens d'une politique des transports plus rationnelle. À l'opposé du « tout-voiture », il s'agirait de développer les transports en commun (train, bus...). Cela pose le problème de la gratuité des transports publics pour aller au travail.

Dès ta première intervention, tu as dénoncé «l'imposture sociale du FN». Qu’entends-tu par là?

En tant qu'ouvrier, on a de suite envie de dénoncer l'usurpation du FN qui se présente comme le « premier parti ouvrier de France ». Certes des ouvriers sont sensibles à la démagogie du FN et votent FN etpeut-être que cela va plutôt en augmentant. Mais ce qui est insupportable, c'est que toute l'idéologie de l'extrême droite va clairement à l'encontre des intérêts de l'ensemble des salariés.

Le FN a besoind'attraper les voix de la population, des plus pauvres, de ceux qui subissent la crise de plein fouet parce qu'ils sont nombreux. Le FN essaie de récupérer le désespoir, les désillusions. Pour cela, il fait des déclarations mensongères, très démagogiques. Fondamentalement, les idées du FN sontdes idées de division. La préférence nationaleest une politique pourrie qui veut mettre en place des droits différents selon que l'on est français d'origine ou étranger. C'est une remise en cause profonde de l'égalité des droits mais aussi des droits sociaux pour tous, caren attaquant les uns, les autres sont forcément attaqués par la suite. C'est à nous, révolutionnaires, d'expliquer en quoi l'extrême droite est très dangereuse pour l'ensemble des opprimés.

Il paraît que tu vas continuer à travailler à l'usine durant lacampagne. Comment vis-tu l'articulation entre ton travail, tonengagement, ta vie perso et ton rôle de candidat jusqu'en avril 2012 ?

Tout d'abord, cette candidature n'est en rien une démarche personnelle. C'est le résultat d'une discussion dans l'organisation. Ces dernières semaines ont passé très vite. Entre l'annonce de non-candidature d'Olivier et la CN qui a décidé d’une nouvelle candidature à l'élection présidentielle, il n'y a même pas eu deux mois.

Je ne sais pas comment nous allons gérer la période qui vient. Il y a d'un côté les contraintes du travail et de l'autre un minimum de disponibilité pour mener la campagne. C'est l'occasion de rediscuter de la façon dont nous menons cette campagne. Nous avons commencé à mettre en avant la nécessité de montrer un visage collectif y compris dans les médias, un visage qui ressemble plus à ce que nous sommes : des milliers de militants et militantes engagéEs au quotidien dans de multiples batailles. Un nom, un visage ne peut pas représenter à lui tout seul ni notre parti, ni nos combats, ni l'ensemble des opprimés. Ma candidature n'est pas celle d'un nouveau Besancenot, il ne s'agit en aucun cas d'un super militant qui deviendrait le super candidat. À nous d'être audibles collectivement dans cette campagne. Cela ne résout pas les problèmes liés à ma vie personnelle et à ma disponibilité mais cela permet d'envisager la suite d'une autre manière.

Propos recueillis par Pierre Baton et Jean-François Cabral