Ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire DSK » constitue un événement à plusieurs égards. Si les faits dont l’ex-directeur du FMI est accusé ne sont pas avérés, ce n’est pas le cas des réactions que son arrestation a provoquées en France : on a assisté à un déchaînement inouï parmi l’élite politique et médiatique, rappelant à celles et ceux qui l’avaient oubliée la profondeur des préjugés sexistes dans la société française, mettant à nu la réalité très concrète de l’oppression que les femmes subissent (combinée ici à l’oppression de classe et de race), la position subordonnée à laquelle elles sont assignées, la situation discriminatoire qu’elles connaissent du point de vue des droits et les violences qui leur sont faites.
Elle constitue également un événement pour le Parti socialiste. DSK était le favori d’un PS obnubilé par les sondages. Ses amis ont expliqué à quel point son retrait de la course était dommageable. Manuel Valls indique sur son blog qu’il incarnait « la meilleure réponse aux attentes des Français – stature internationale, expertise reconnue dans la mécanique de la mondialisation, responsabilité, justice sociale ». On serait prêt à lui concéder les deux premières caractéristiques. Mais Valls enfonce le clou : DSK était selon lui le candidat de « la gauche moderne et populaire ». Cela tombe sous le sens. Le PS s’était choisi un candidat sur mesure, directeur de l’organisation chargée d’affamer les peuples (peuples du Sud jusqu’en 2008, peuples tout court depuis) au nom de l’efficacité économique, entretenant une forte proximité avec le grand patronat, capable de sortir un million de dollars pour sortir de prison, et de dépenser des sommes vertigineuses chaque jour de sa luxueuse liberté surveillée. Mais épris de « justice sociale » et incarnant une « gauche populaire », évidemment.
Mais DSK disparu, que devient son héritage politique ? DSK a des héritiers directs, dont certains, Valls, Moscovici, ne font pas mystère de leur intention de prendre la place laissée vide si les conditions étaient réunies. La droite du PS entend évidemment être représentée d’une manière ou d’une autre. Mais il semble qu’un accord avec Aubry ne soit pas hors de portée, fondé sur le deal de non-concurrence passé antérieurement entre la première secrétaire et le favori à propos des primaires. Difficile, dès lors, de dire qui sera effectivement en position de revendiquer l’héritage. Mais l’essentiel n’est pas là. Nous avions signalé, dans les colonnes de l’hebdomadaire, à quel point le programme du PS était « FMI compatible ». Mais c’est ce même programme qui a été adopté le 28 mai dans une belle unanimité. François Hollande a d’ailleurs fini par le voter, après avoir beaucoup critiqué le fait qu’il s’agit selon lui d’un catalogue de promesses que le PS ne sera pas en mesure de tenir.
Quelles conséquences politiques en tirer ? On aurait pu considérer que le programme le moins à gauche de l’histoire du PS visait d’abord à ne pas mettre le candidat putatif en porte-à-faux. Et que la disparition de celui-ci engagerait un travail de réorientation partielle. Mais c’est visiblement plus profond. Cela renvoie à la fonction de la social-démocratie dans la période, alors que les crises imbriquées s’approfondissent. Le programme est le même parce qu’il prépare la même politique : le PS gérera la crise, comme ses homologues grecs ou espagnols, en la faisant payer au monde du travail, aux jeunes, aux femmes, aux immigréEs. Martine Aubry, également soutenue par l’aile gauche du PS, incarne sans doute, dans le parti qu’elle dirige et dans l’opinion, une gauche plus classique, avec en perspective une union de la gauche à l’ancienne telle que l’espère notamment le PCF. Mais elle ne porte pas un projet politique différent de celui de DSK (rappelons que la maire de Lille gère sa ville avec une majorité allant du Modem au PCF…).
La situation va sans nul doute renforcer le réflexe de « vote utile », au point que par exemple, au sein du PCF, certains, certes minoritaires, s’interrogent sur la légitimité d’une candidature indépendante du Front de gauche au premier tour de l’élection présidentielle.
Pour notre part, nous souhaitons évidemment la défaite de la droite mais nous voulons une gauche qui commence par défaire tout ce que la droite a fait. Avec le programme « 0 % à gauche » qui est maintenant celui du PS, on n’en prend pas exactement le chemin. Porteurs d’une alternative politique appuyée sur un programme de rupture avec le capitalisme et ses institutions, nous nous inscrivons dans la perspective d’agir avec toutes celles et ceux qui se situeront dans l’opposition de gauche à un gouvernement socialiste, qui résisteront ensemble aux mauvais coups qu’il portera aux salariéEs.
Ingrid Hayes