Le niveau de tension entre Manuel Valls et Jean-Luc Mélenchon a atteint un niveau important. Les caractérisations fusent des deux côtés. Mélenchon est un « islamo-gauchiste » pour Valls qui s’appuie pour cela de manière ignoble sur la campagne de l’extrême-droite contre Danièle Obono (lire notre communiqué). Valls est un « nazi » pour Mélenchon, cette affirmation étant justifiée par la droitisation sans fin de l’ancien premier ministre.
Attention aux confusions
Au-delà du caractère théâtral de cet épisode, il y a d’abord une offensive idéologique de la droite, à caractère islamophobe. En insultant Danièle Obono d’islamo-gauchiste – en souhaitant dénigrer la FI dans son ensemble par ce biais – Manuel Valls confirme ses liaisons avec la droite extrême islamophobe. Mélenchon a raison de rappeler le passé de l’ancien maire d’Evry ne voyant pas suffisamment de « white » dans la ville. Il a raison aussi de rappeler les propos racistes qu’il a tenus à l’encontre des Rroms qui auraient vocation à ne pas rester en France. Il a raison enfin de dire que Manuel Valls est une personne clivante, et on pourrait même ajouter qu’il est totalement autoritaire, comme sa politique répressive et ses multiples 49.3 l’ont prouvé.
Néanmoins, nous ne pouvons pas affirmer que Manuel Valls est un « nazi ». Le nazisme est un courant politique précis. C’est une forme de fascisme où le racisme (en particulier l’antisémitisme) est central, au côté de l’homophobie, du sexisme, de la haine de la classe ouvrière.
Valls est très clairement aujourd’hui un homme de droite, un réactionnaire. Il est lié idéologiquement et politiquement à des courants de l’extrême-droite, et en particulier à l’extrême-droite israélienne et aux courants ultra-sionistes en France. Cela ne fait pas de lui un nazi pour autant, mais c’est bel et bien un adversaire politique de première importance. Valls représente à merveille le décalage toujours plus à droite de la classe politique.
Au-delà des postures, le fond
L’un des éléments qui a mis le feu aux poudres entre Valls et Mélenchon est la nomination de Manuel Valls à la tête de la mission sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Mélenchon avait alors été désigné par le groupe FI à l’assemblée nationale pour y participer. Mais la nomination de Valls a déclenché une réaction ferme du député insoumis des Bouches-du-Rhône qui a alors annoncé sa démission de la mission. Dans sa lettre au président de l’assemblée, Mélenchon revient sur ce que nous écrivions plus haut – et qui est juste – en rappelant le message politique que renvoi une telle nomination sur un sujet touchant à la colonisation.
Nous pouvons néanmoins nous interroger comme le fait notamment Philippe Marlière sur sa page Facebook : « Je souhaiterais revenir sur “l’étrange” démission de Jean-Luc Mélenchon de la commission parlementaire consacrée à la Nouvelle-Calédonie au motif de la nomination à sa tête de Manuel Valls. La population de ce territoire annexé par la France en 1853 va voter dans un référendum d'autodétermination en 2018 au plus tard. Les forces colonialistes – dont Valls est bien sûr l’un des représentants – ont commencé leurs basses manœuvres pour que le status quo prévale dans un an. Pourquoi, dans ces circonstances, le député “insoumis” le plus célèbre s’est-il privé de cette tribune pour se faire l’écho des revendications des Kanaks, le peuple colonisé ? Il y aurait en effet beaucoup de choses à dire sur la situation coloniale, beaucoup de combats “insoumis” à mener dans cette commission pour transmettre les doléances et les projets des indépendantistes kanak, pour révéler au grand jour les manœuvres du parti colonial calédonien et de ses alliés métropolitains, alimenter en infos un mouvement de solidarité en France métropolitaine… Et pourtant, Mélenchon a “bizarrement” abandonné sa tactique populiste (qui consiste à fédérer “le peuple” contre “l’oligarchie”) et déserté le combat pour la justice en Nouvelle-Calédonie. Mais est-ce vraiment une erreur tactique ? Est-ce que la nomination de Valls n’a-t-elle pas simplement fourni un opportun prétexte pour se retirer pour ne pas avoir à livrer ce combat anti-colonial ? Car le chef de la FI, lorsqu’il parle de la situation sur le “Caillou”, le fait toujours du point de vue des "intérêts de la France”. Il ne rate jamais l’occasion, d’ailleurs, de s’enorgueillir de la présence de la France sur les cinq continents. Troublante cette démission, n’est-ce pas ? ».
Antifascisme et questions idéologiques
Plus succinctement : si nous sommes tout à fait en adéquation avec Jean-Luc Mélenchon pour dire que Manuel Valls est un personnage politique infâme, avec des idées puantes, discriminantes, antisociales et réactionnaires, nous ne sommes pas d’accords pour tomber dans la facilité de langage qui nous amène à ne pas correctement désigner et comprendre les phénomènes politiques, et évite, par la même occasion, d’analyser sa propre politique. Voir des fascistes et des nazis dans tous les phénomènes de radicalisation à droite est le meilleur moyen de ne pas voir les fascistes qui eux existent vraiment, s’organisent, diffusent leurs idées jusque dans la classe politique « républicaine », et jusque dans notre classe sociale et ses organisations.
Lutter contrer l’extrême-droite revête deux axes : d’abord unifier l’ensemble de celles et ceux qui refusent les idées portées par les fascistes, dans la mobilisation de rue, des collectifs unitaires. Mais aussi aborder les questions de fond, faire vivre une culture de la solidarité à tous les échelons, ne rien céder sur les principes du mouvement ouvrier.
Sur la lutte contre l’islamophobie, la lutte pour l’auto-détermination des peuples et la décolonisation, Manuel Valls est un adversaire sans aucun doute, mais Jean-Luc Mélenchon est-il un allié ? A lui de le dire, et de le démontrer dans sa politique au-delà des effets d’annonces.
Alexandre Raguet