Publié le Mercredi 12 février 2020 à 11h07.

« Dans la fonction publique, la colère est grande, et il est probable qu’elle continue de grandir et de s’exprimer. »

Entretien avec Gaëlle Martinez, déléguée générale de Solidaires Fonction publique. Elle revient avec nous sur la mobilisation de la fonction publique contre la « réforme » de la retraite à points.

Depuis le 5 décembre, une mobilisation exceptionnelle contre la « réforme » de la retraite à points a débuté. Que se passe-t-il dans la fonction publique ?

Dans la fonction publique, qui est fortement mise à mal depuis de trop nombreuses années par des réformes successives, qu’elles soient globales comme la loi de transformation de la fonction publique d’août 2019 ou plus sectorielles, la mobilisation a été très forte le 5 décembre puisque les taux de grève étaient exceptionnellement hauts. Ce sont des taux qui n’avaient pas été atteints depuis de nombreuses années.

Il faut par ailleurs préciser que ces chiffres sont systématiquement minorés par le ministère de la Fonction publique. On peut donc imaginer que la mobilisation a été encore au-delà de ce que l’on pense. Les autres journées de décembre ont elles aussi été très bien suivies.

En janvier, les fonctionnaires ont été très actifs dans des actions diverses. Les dépôts d’outils de travail ont été extrêmement nombreux. Devant Bercy par exemple le 22 janvier, plusieurs centaines d’agentEs ont déposé ce qui représente leur travail. Ça a très souvent été le cas devant les préfectures également et cette forme d’action continue.

Quelles seront les conséquences de la réforme à points pour les fonctionnaires ?

Ce sera désastreux pour les fonctionnaires, comme cela le sera d’ailleurs pour l’ensemble des salariéEs. Passer d’un calcul sur les six derniers mois de salaire à un calcul sur l’ensemble de la carrière sera forcément extrêmement défavorable et entraînera très rapidement une baisse des pensions, une dégradation des conditions de vie des agentEs arrivés à la retraite et de fait à une véritable paupérisation.

Et ce n’est pas l’intégration des primes dans le calcul de la retraite qui permettra de corriger ou compenser cela. Si c’est une revendication portée tout comme celle d’une véritable revalorisation salariale dans un contexte de gel du point d’indice depuis 10 ans environ, ça n’est en aucun cas le remède miracle face à une réforme véritablement mortifère et destructrice de toutes les solidarités.

Par ailleurs, les femmes seront elles aussi très largement perdantes. Elles subiront la double peine avec des carrières souvent hachées.

Enfin, dans la fonction publique, la fin de la catégorie active (sauf exception) signifie une moins grande prise en compte de la pénibilité. Alors que le travail est aussi pénible dans la fonction publique.

Donc contrairement à ce qui est affiché, les fonctionnaires seront très largement perdants avec cette réforme.

La grève et la grève reconductible contre la réforme des retraites à points n’a pas pris, à cette étape, dans la fonction publique. Comment l’expliques-tu ?

La grève a été suivie et même très largement en décembre. C’est plus compliqué depuis janvier. Pour la grève reconductible, effectivement, à l’exception de l’Éducation nationale où cela a pris dans un certain nombre d’endroits, cela n’a malheureusement pas été le cas dans l’ensemble de la fonction publique. De nombreux éléments peuvent être envisagés. La difficulté d’appropriation de cette réforme par exemple. Mais également probablement parce que les agentEs sont largement éprouvés par les réformes sectorielles successives. Parfois, les agentEs se sont déjà jetés à corps perdu pour tenter de sauver le service public dans lequel ils et elles travaillent. Ils et elles sont parfois épuisés par plusieurs mois, voire plusieurs années de lutte. Si l’objectif global du gouvernement est cohérent, que toutes les réformes ont le même objectif, il est parfois difficile pour les agentEs de s’en rendre totalement compte. C’est un rouleau compresseur qu’ils et elles ont en face.

Et pourtant on voit depuis un certain temps déjà que de nombreux secteurs de la fonction publique, l’hôpital public, les Finances publiques, l’Éducation, la Culture… se mobilisent. La convergence de toutes ces mobilisations n’est pas possible ?

Effectivement, quasiment tous les secteurs sont en lutte puisque les réformes sont partout. La volonté du gouvernement est clairement d’imposer un véritable changement de société basée uniquement sur l’individu en tuant les solidarités. Tu peux te payer la santé, l’éducation, etc., c’est bien. Sinon, tant pis. Voilà la volonté du gouvernement. Toutes les administrations et services publics sont donc ciblés par des restructurations, déstructurations, destructions. 

L’hôpital public par exemple, nous le voyons touTEs, est à bout de souffle, sacrifié sur l’autel de la rentabilité. Même chose à Bercy ou dans l’Éducation en ce moment avec les réformes Blanquer.

À ce stade, la convergence des luttes n’a pas pu se faire comme on aurait pu le souhaiter. Mais cela ne veut pas dire que cela ne va pas arriver. Les agentEs publics se sont mis massivement en grève en décembre. Ils et elles ont organisé de très nombreuses actions et continuent de le faire. C’est révélateur d’un mal-être profond et d’un grand questionnement. La colère est grande. Il est probable qu’elle va continuer de grandir et de s’exprimer.

Entre la loi de transformation de la fonction publique et la réforme à points, on voit bien que les fonctionnaires sont une cible privilégiée pour le gouvernement. Quelles sont les perspectives de l’intersyndicale fonction publique ?

Le fonctionnaire bashing n’est pas nouveau mais il s’est fortement accentué. Les fonctionnaires sont systématiquement présentés comme un coût pour la société alors même qu’ils et elles sont, au contraire, une véritable richesse.

L’intersyndicale fonction publique se réunit régulièrement avec un arc CGT, FAFP, FO, FSU et Solidaires. Elle relaie bien entendu toutes les journées de grève et mobilisation appelées par l’intersyndicale interprofessionnelle, tente de mettre en place des actions diverses pour alerter sur les dangers de la réforme des retraites mais également plus largement sur des revendications liées notamment aux conditions de travail et d’exercice des missions de service public.

Et puis elle cherche aussi à convaincre la population de la nécessité du statut de la fonction publique qui existe pour protéger de l’arbitraire et assurer à toutes et tous un accès sans discrimination au service public et à alerter sur la suppression des services publics.

Il faut que les agentEs prennent également conscience que prendre sa place dans le mouvement sur les retraites est indispensable. Gagner cette bataille, ça signifie obliger le gouvernement à enclencher la marche arrière sur toutes les autres réformes.

Propos recueillis par Joséphine Simplon