Publié le Mardi 5 juillet 2011 à 22h10.

Entretien avec Philippe Billard

Peux-tu retracer ton parcours dans la sous-traitance du nucléaire ?

Je suis entré en sous-traitance à la centrale EDF de Paluel en septembre 1985, pour des travaux de métallurgie. J’ai été licencié économique en 1998, à la suite de la fermeture de la boîte. Mais je suis retourné à Paluel en 1999, en intérim, avant d’être embauché en juin 2000 par la société qui est devenue Endel et qui est une filiale du groupe GDF-Suez.

Aujourd’hui je suis toujours chez Endel malgré une procédure de licenciement engagée en 2006, mais j’ai été sorti du secteur nucléaire. Sur demande de EDF, c’est une chose dont maintenant la boîte ne se cache plus. Elle m’a affecté dans une agence travaillant dans la pétrochimie, mais je garde le contact avec mes collègues du nucléaire.

Comment ont évolué les conditions de travail dans ce secteur depuis que tu as commencé à y travailler ?

On a vu une dégradation des conditions de travail. EDF cherche à tout prix à raccourcir de plus en plus les arrêts de tranche. Un arrêt coûte à EDF un million d’euros par jour, et il y en a en moyenne une quarantaine par an. À partir de là, on comprend pourquoi il y a autant de pression sur les salariés pour que le travail soit fini en temps et en heure. Mais EDF prescrit du boulot sans donner réellement les moyens de le faire. Il y a forcément une différence entre un travail commandé par écrit et la réalité de ce qu’il y a à faire. Pourtant, même si ce n’est pas fini, il faut que la machine reparte…

À l’occasion du débat public sur le projet d’EPR à Penly, tu as protesté contre les propos du représentant de EDF qui soutenait que le suivi médical des intervenants dans les centrales nucléaires est le même que celui des agents EDF. Peux-tu expliquer pourquoi ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur une centrale comme Paluel, pour 1 200 agents EDF, il y a trois médecins du travail sur le site, une infirmerie, sept infirmières et une secrétaire médicale.

Pour les sous-traitants, un seul médecin a en charge 500 salariés, à l’extérieur de la centrale et sans pouvoir y entrer pour faire de la prévention. Mais il doit aussi suivre 3 500 salariés d’autres secteurs d’activité.

Il y a aussi le problème du dossier médical. Celui d’un agent EDF reste sur le site. Alors que pour un sous-traitant, le dossier est à l’organisme extérieur qui le suit. Et il n’est pas automatiquement transmis au nouveau médecin du travail en cas de changement d’employeur à la suite d’une perte de marché.

Pour la dosimétrie, le suivi se fait au niveau national, par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), mais il est extrêmement difficile pour un salarié de récupérer ces données-là auprés de l’IRSN.

De plus, contrairement aux agents EDF, aucun salarié sous-traitant ne quitte son emploi avec la fiche d’exposition que devrait lui remettre son employeur. C’est pourtant ce qui permettrait de prouver, s’il tombe malade des années plus tard, qu’il a été exposé par son travail à tel produit cancérigène, mutagène, etc.

Comment les conditions de travail dans la maintenance nucléaire affectent-elles la sécurité des centrales ?

Il y a là-dessus un exemple parlant dans le film RAS – Nucléaire, rien à signaler. Un salarié explique qu’il découvre une rayure ou une fissure lors d’un contrôle, mais que son employeur va chercher une autre équipe pour certifier que ce n’est rien, qu’on peut continuer comme ça, et surtout sans prendre de retard ! Ça se passe ainsi tous les jours…

EDF se vante d’une « Charte de progrès et de développement durable » signée en 2004 avec les syndicats patronaux de la sous-traitance et de l’intérim. Quel est ton avis sur ce texte ?

C’est de la m… ! De toute façon, on ne demande pas aux patrons de s’arranger entre eux sur ce qui leur convient ; on leur demande d’appliquer le droit du travail !

Souvent, les employeurs ne respectent même pas les obligations du code du travail en cas de perte de marché. Ils s’arrangent entre eux pour d’éventuelles propositions de réemploi aux travailleurs de la boîte qui perd le contrat. Même dans les entreprises de nettoyage spécialisées dans le nucléaire, malgré ce que prévoit la convention collective de la propreté.

Mais il est difficile de défendre les droits des salariés. Dans la sous-traitance, le mandat des représentants du personnel peut couvrir tout le territoire français, pas seulement le site sur lequel on travaille. Même pour faire de la prévention, il faut courir dans toute la France. Tu imagines la difficulté ! Il y a bien des élus, mais qui ne peuvent pas faire grand-chose…

Il existe sur les centrales EDF des commissions inter-entreprises sur la sécurité et les conditions de travail (CIESCT). Dans le rapport TSN de 2008, le CHSCT de la centrale de Chinon recommande leur remplacement par de véritables CHSCT inter-entreprises intégrant les représentants du personnel sous-traitant. Que penses-tu de cette demande ?

Je suis d’accord, et j’en parle en connaissance de cause comme ancien secrétaire adjoint de la CIESCT de Paluel. Ce qui se discute dans ces commissions n’a aucune valeur juridique, contrairement à ce qui se passe dans un CHSCT. Même sur l’ordre du jour, il n’y a aucune obligation. EDF y met ce qu’elle veut et y fait sa propagande. Les entreprises sous-traitantes sont représentées par les employeurs, avec des membres désignés par les syndicats, mais il n’y a pas de représentants élus par les salariés de la sous-traitance.

Ce serait important d’avoir de véritables CHSCT de site, inter-entreprises, car dans les CIESCT, on ne traite jamais des réelles conditions de travail, avec les prérogatives d’un CHSCT.

Dans certains milieux syndicaux, il est question depuis plusieurs années d’une convention collective des métiers du nucléaire ? Que penses-tu de cette idée ?

Ce serait une bonne chose. Cela permettrait d’éviter que les boîtes puissent s’appuyer sur les statuts différents des salariés pour créer une concurrence entre eux.

Pourquoi avoir créé en 2008 l’association « Santé sous-traitance nucléaire-chimie » ?

On avait besoin d’un outil au service de tous les salariés du nucléaire, pour la reconnaissance des maladies professionnelles auxquelles ils sont exposés, un peu à l’image de ce qu’est l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva) pour l’amiante. Aujourd’hui une quarantaine de personnes se sont déjà adressées à l’association. Mais ce n’est pas facile car elle n’est pas encore très connue et, surtout, certains salariés malades n’imaginent même pas que ça puisse être dû aux expositions subies dans leur travail !

Propos recueillis par Convergences révolutionnaires