À l’heure des restrictions de budget dans la santé, le secteur privé à but lucratif bénéficie des largesses de l’État depuis des années : exonérations de cotisations sociales, CICE, subventions pour la construction de cliniques, etc. En 30 ans, ce secteur s’est considérablement transformé : concentration des établissements dans des groupes de santé et attaques contre les droits des salariés du secteur. Ainsi des fonds de pension, des banques, les actionnaires de ces groupes engrangent des bénéfices faramineux.
Le secteur privé lucratif, c’est entre autres 1 000 cliniques qui prennent en charge environ 8,5 millions de patients par an. Il représente 33 % du secteur de santé ; le public, 45 % et le privé non lucratif 22 %. 150 000 salariés (soignants, administratifs, techniciens) et 40000 médecins y travaillent.
Transformation du secteur privé lucratif
Depuis les années 90, les cliniques, les maisons de retraite privées (Ehpads), jusque-là très souvent la propriété de médecins, appartiennent aujourd’hui pour la plupart à des groupes de santé privés lucratifs. Le remboursement garantit par la Sécurité sociale est une aubaine pour ces actionnaires, qui voient là une source de profits garantie. Avec la mise en place de la T2A en 2008, un financement à l’activité, ce secteur s’est empressé d’orienter son activité vers les spécialités les plus rentables (chirurgie, notamment ambulatoire). Malgré les baisses de tarifs des actes, la rentabilité dans le privé n’a cessé d’augmenter avec au minimum 3 % du chiffre d’affaire. Le CICE mis en place par le gouvernement Hollande en 2013 jusqu’en 2018 a largement contribué à ces bénéfices alors qu’en même temps les comptes des hôpitaux se dégradaient. En 2018, par exemple Ramsay-Générale de Santé a annoncé un bénéfice net de 7,3 millions ; Korian avec ses 24 158 lits dans les cliniques et Ehpads a réalisé 125 millions de bénéfices ; Elsan un groupe détenant 123 établissements en France a réalisé 2 milliards de chiffre d’affaire et Orpea a dégagé 107,6 millions de bénéfices, en hausse de 11,9 %. Ces bénéfices vont directement dans les poches des actionnaires. Durant ces années, la part de la masse salariale par rapport au chiffre d’affaire n’a cessé de diminuer, de plus de 54 % dans les années 2000 à 49 % environ en 2018. Les conséquences en sont terribles : des conditions de travail dégradées, un manque de personnel, des salaires qui stagnent. La sous-traitance généralisée du ménage, de la restauration, des services techniques, administratifs a permis l’application de conventions collectives moins avantageuses pour les salariés. Le groupe Elsan vient d’annoncer l’externalisation de l’activité de comptabilité et d’achat, soit la suppression de près de 500 postes dans tout le pays. Le secteur privé à but non lucratif n’a pas non plus été épargné : la convention collective C51 auparavant l’une des plus avantageuses dans le privé, a été très durement attaquée en 2012 : droits perdus, grilles revues à la baisse. Il est devenu ainsi très attractif pour le privé lucratif, certains groupes n’hésitant pas à racheter des établissements dépendants de cette convention. La création de GCS (groupement de coopération sanitaire), des regroupements public/privé, a aussi permis aux établissements lucratifs de profiter de sites flambants neufs avec un crédit garanti par l’État en cas d’impossibilité pour le privé de payer.
Des luttes pour des augmentations de salaires et des créations de postes
Les salariés ont profité des négociations annuelles obligatoires pour réclamer leur part. Le sentiment de mal faire son travail, son informatisation qui fait que les soignants passent moins de temps auprès des patients, a amplifié leur colère. Dès 2001, il y a eu des luttes importantes pour récupérer une subvention du gouvernement Chirac/Jospin soi-disant pour les salaires et que les actionnaires rechignaient à redistribuer. Durant toute la décennie qui a suivi, les luttes n’ont pas cessé, pour les salaires, les emplois, contre la précarité, la sous-traitance… Les diverses mobilisations interprofessionnelles (lois Macron, SNCF, Loi Travail, Gilets jaunes) ont encouragé les salariés à se battre. Les salariés des Ehpads, qui jusque-là se mobilisaient très peu, se sont lancés dans la lutte, bénéficiant de la solidarité de la population qui découvre les conditions scandaleuses de prise en charge des résidents. En 2017, les salariés d’un Ehpad du groupe les Opalines dans le Jura on fait grève pendant 117 jours. À Tarbes, ceux de la clinique du Groupe Elsan ont fait 64 jours de grève. Dans le secteur privé lucratif, le droit de réquisition – très limité – donne aux salariés la possibilité d’arracher parfois quelques droits supplémentaires. Les patrons tentent d’y répondre en « délocalisant » les patients de l’établissement en grève vers un autre. Mais en même temps que les actionnaires ont concentré les établissements dans des grands groupes, les salariés se sont aussi organisés, tissant des liens, comparant leurs droits et leurs salaires. Ces luttes sont le plus souvent malheureusement éparpillées. Les directions syndicales engluées dans le dialogue social n’ont aucune politique pour les unifier. Les luttes des urgences publiques posent pourtant le problème de leur généralisation dans le secteur public comme privé, contre la marchandisation de la santé, en partant des luttes telles qu’elles sont et en défendant la perspective de préparer l’affrontement contre patrons et gouvernement.
Isabelle Larroquet