Publié le Lundi 13 mai 2013 à 12h12.

Les enjeux du mariage pour tous

Par Philippe Pignarre

La violence utilisée par les opposants au mariage pour tous ne peut que rappeler un autre épisode de la vie politique française : l’affaire Dreyfus. C’est la même haine, une coalition semblable regroupant une vieille France crispée autour de ses « valeurs » : autrefois l’armée et l’Église plus l’antisémitisme, aujourd’hui la famille hétérosexuelle, l’homophobie et, toujours, l’Église. C’est bien pourquoi ce combat est si important pour les anticapitalistes.

Derrière la haine des homosexuels, en apparaît une autre : celle des femmes. Une des interventions les plus significatives dans le débat à l’Assemblée nationale était celle d’un obscur député de Bretagne : nous rencontrons dans « nos circonscriptions », se plaignait-il, de plus en plus de femmes qui élèvent seules un enfant. Et ce peut être le résultat d’un choix ! Voilà des femmes qui se passent des hommes ! Des hommes qui non seulement perdent chaque jour un peu plus de leur pouvoir de domination, mais dont des femmes apprennent à se passer. C’est bien ce qui est le plus intolérable pour le machisme : la multiplication des familles hors du modèle patriarcal.

Les raisons d’une panique

On comprend pourquoi les opposants au mariage pour tous ont tellement mis l’accent sur la PMA. C’est la technique (qui n’a rien d’ailleurs d’une prouesse technologique – elle peut être réalisé de manière « artisanale ») qui permet aux femmes de faire un enfant sans homme identifié, donc sans père social. Elle représente un bouleversement historique de ce que Claude Lévi-Strauss définissait comme les « structures de la parenté » à la base de la domination patriarcale : les groupes d’hommes font circuler les femmes comme des biens échangeables.

Avec la PMA, ce sont les femmes qui prennent la maîtrise du processus et, inversion des choses, les hommes sont réduits à du sperme qui circule ! Le problème des machistes est qu’ils ne pourront pas s’opposer à ce droit des femmes de faire un enfant selon les modalités qu’elles désirent, même si le gouvernement n’a pas le courage de faire une loi inclusive. Aucune interdiction légale ne pourra en empêcher les femmes qui ont ce désir. D’où le sentiment de panique qui les gagne, la rage impuissante qui les anime !

Le féminisme nous a appris à distinguer le sexe (mâle et femelle), le genre (homme et femme) et la sexualité. Pour le machisme, ce qui compte c’est l’existence de deux sexes, à la base de tout : le genre n’existe pas de manière indépendante et la sexualité normale est hétérosexuelle. A l’inverse, le féminisme nous a appris que le genre (comment on devient un homme ou une femme) est un enjeu essentiel : le fait de se comporter comme un homme « normal » ou une femme « normale » (se maquiller, se coiffer, jouer ou s’habiller d’une certaine manière, etc.) ne découle en aucune manière du sexe biologique auquel on appartient.

C’est toujours une construction ancrée dans la domination masculine. Or, cette construction est destinée à stabiliser, d’un côté, le sexe et, de l’autre, la sexualité. Car le sexe n’est en aucun cas quelque chose de stable : 1 enfant sur 60 naît avec des caractéristiques biologiques intermédiaires. Ces intersexués sont quelque chose d’insupportable et ils sont victimes d’une violence inouïe faite au nom du genre pour les rendre invisibles : on les opère le plus vite possible (et, le plus souvent, on les « transforme » en fille car c’est plus facile !) Qui a parlé de l’abomination de l’excision ? Quant à la sexualité, on pourrait dire que si le sexe est un « petit fouillis », c’est pour le moins un « grand fouillis » !

Egalité des droits et indépendance de l’Etat

Le mariage pour tous est présenté comme une bataille pour l’égalité des droits et la reconnaissance des familles de même sexe. C’est exact. Mais au-delà, c’est une bataille contre le fait que l’État s’occupe du sexe des gens.

On avait une multitude de lois et règlements qui distinguaient les droits en fonction du sexe. Grâce aux luttes féministes, elles ont Les enjeux toutes été abrogées (même s’il n’échappe à personne que l’inégalité perdure dans la réalité sociale). L’État ne s’intéresse plus au sexe des personnes qu’à deux moments : à la naissance (avec les catastrophes qui en découlent pour les intersexués) et au moment du mariage. Avec le mariage pour tous, l’État se retire de cette seconde affaire. Tant mieux ! Notre corps ne lui appartient pas.

La Cage aux folles : ultime remake ?

 Mais à quoi nous fait donc penser Frigide Barjot avec son pseudonyme, sa manière de s’habiller, son scooter rose et ses fausses outrances ? A La cage aux folles, bien sûr ! Tout évoque ici la mise en scène de l’homosexualité qui date du début des années 1970 et dont la pièce de théâtre puis les fi lms du même nom ont été un sommet. Voilà comment on aimait les homosexuels : « quand ils nous faisaient rire, nous les gens normaux. Qu’ils sont devenus tristes maintenant à vouloir se marier et élever des enfants. Décidément, on les préférait avant ». Frigide Barjot mime ce bon vieux temps pour un public complaisant. Évidemment, il y avait un revers à cette mise en scène de cabaret de l’homosexualité (et des homosexuels « que l’on aime » comme dit Frigide Barjot) : la clandestinité – mais aussi les suicides, en particulier des adolescents – de tous ceux qui ne pouvaient pas supporter que ce soit la seule image que la société leur renvoie, que ce soit l’univers dans lequel on les enferme, qu’Albin ou Renato soit leur destin. Symboliquement, une première page s’est tournée quand un groupe de militants gays a créé les Soeurs de la perpétuelle indulgence. C’était l’anti-cage aux folles : ils se déguisaient en curés, bonnes soeurs et cardinaux à toutes les gay-prides. Ça n’a pas fait rire les mêmes. D’un seul coup, ceux qui avaient tant aimé La Cage aux folles trouvaient les homos déjà moins rigolos ! Ils dépassaient les bornes. Une autre page se tourne aujourd’hui, dont témoignent les manifestations pour le mariage pour tous. Les homos, dans l’imagerie de La cage aux folles, ce sont toujours des hommes. Or, voilà que ce sont les lesbiennes, et plus généralement les jeunes femmes, qui ont composé les cortèges les plus dynamiques (en particulier les Oui ! Oui ! Oui !). Pour une fois, les gays ne monopolisaient plus la direction du mouvement. Avec le mariage pour tous, c’est peut-être le féminisme qui s’impose.

L’homosexualité change de visage. Frigide Barjot et ses amis qui nous disent « je ne suis pas homophobe, au contraire je les aime, regardez, je suis comme eux » ont quarante ans de retard. En continuant à proposer cette image dégradante qui a toujours tant plu aux homophobes (mais aussi à Nicolas Sarkozy, pas spécialement connu pour son assiduité au théâtre mais qui s’est précipité pour assister à la reprise de la pièce en 2009), Frigide Barjot et ceux qui la suivent se trompent d’époque. On en arrive à plaindre les pauvres catholiques qui n’ont que cette image de l’homosexualité à montrer à leurs enfants. Comment ceux d’entre eux qui se révéleront demain homosexuels pourront-ils l’assumer face à leurs parents ?