Publié le Mardi 6 septembre 2016 à 16h51.

Mobilisations contre la loi travail : quelques pistes de réflexion pour continuer

Avertissement : Cette contribution au débat est limitée à quelques aspects. Elle est issue d'une intervention faite à l'atelier de l'université d'été du NPA intitulé "Grève générale, Front unique et Auto-organisation, des questions centrales dans le mouvement contre la loi travail". Elle traite donc principalement ces questions.

 

Les enjeux pour la bourgeoisie de la loi travail

La mobilisation contre loi Travail s'affronte à un projet majeur pour le gouvernement et la bourgeoisie. Ils veulent détruire la majeure partie des avancées sociales encore présentes dans le code du travail, acquises principalement durant le demi siècle allant de 1936 à 1986. Il s'agit d'aligner le droit du travail français sur les autres pays européens, ce que les mobilisations des 30 dernières années, si elles n'ont pas permis de grandes victoires, ont pour le moment empêché. Ils veulent aujourd'hui imposer une déréglementation du marché du travail similaire à celle de tous les autres grands pays européens.

C'est donc bine plus qu'un projet de loi, il s'agit d'un affrontement central entre la bourgeoisie et le prolétariat. Pour le gagner, il faut une mobilisation massive et déterminée allant jusqu'au bout, constituer un rapport de force tel qu'ils n'aient plus d'autre solution que de céder, ou de perdre bien plus.

 

Nous avons eu plusieurs défis à relever dans ces quatre premiers mois de la mobilisatio, car cette discussion n'est pas un bilan, mais un débat utile pour la rentrée, car d'une manière ou d'une autre, ce n'est pas terminé : massification, construction rapport de force à la mesure de l'enjeu par la grève, permettre au mouvement d'avoir la direction sur son avenir, ne pas laisser toute latitude au front syndical dans lequel tandem CGT et FO joue un rôle central, restent des questions essentielles.

 

En quelques mots, quelles sont les coordonnées de la situation ?

 

  • une très large majorité de celles et ceux d'en bas sont opposéEs à la loi, et soutiennent les manifestations et les grèves ( les sondages donnent toujours autour de 70% et de 55% à ces deux questions) : pour la première fois depuis 1981 à ce niveau, la base sociale qui a voté Hollande s'oppose frontalement au gouvernement PS.

  • une mobilisation massive, durable, persévérante, déterminée de franges importantes du prolétariat a nourri des manifestations de masse répétées (12 journées nationales d'action) qui, sans atteindre les chiffres de 2010, ont regroupé très au-delà des équipes militantes habituelles. Diverses raisons expliquent le retrait en nombre par rapport à 2010 : l'absence des enseignants et la faiblesse des secteurs mobilisés parmi les fonctionnaires, l'absence d'unité syndicale (la CFDT en 2010 n'était pas dans le soutien au projet gouvernemental), et l'anti sarkozysme. Contrairement aux grands mouvements de ces 20 dernières années, le prolérariat du privé a joué un rôle central dans ces mobilisations. S'est exprimée une capacité de mobilisation dans différents secteurs du privé, de petites boites, dans le commerce, le social, la santé avec des grèves locales qui ont gagné. C'est une réhabilisation de l'action collective importante, bien comprise par le gouvernement, comme le montre le recul formel pour les routiers.

     

  • les grèves ont été minoritaires, à part quelques secteurs, dans les raffineries, certains secteurs cheminots, ... et sans extension à l'ensemble des salariéEs.

     

  • des groupes essentiellement syndicalistes plus radicaux, sans prendre un caractère de masse, sont restés mobilisés en permanence 4 mois autour des blocages, de diverses opérations spectaculaires, occupations de mairies, mariage du PS avec le Medef, actions escargots, blocages filtrants ou bloquants, toujours bien acceptées par la population.

     

  • une frange militante radicale s'est auto organisée sous des formes très variées, dans "Nuit Debout", et a mené des débats et des actions radicales tout au long de ces 4 mois, parfois en lien avec ces groupes syndicalistes plus radicaux.

 

Nous sommes évidemment totalement impliquéEs dans les deux derniers groupes, qui concentrent les militantEs les plus radicaliséEs, qui constituent la couche d'exploitéEs et d'oppriméEs la plus consciente de la nocivité du projet et de la société qu'il porte, de l'enjeu de gagner cette fois-ci, qui se politisent dans ce combat.

Mais ces groupes sont minoritaires et leur détermination à elle seule, si elle politise nombre d'activistes, n'est pas suffisante pour créer le rapport de force qui fera céder le gouvernement et la bourgeoisie.

Comment ces secteurs les plus combattifs, à l'avant garde, peuvent être un facteur permettant d'entrainer, de mettre en mouvement, d'influencer les larges masses opposées à la loi Travail sur des perspectives d'affrontement avec le pouvoir. Comment être un pas en avant des masses, mais pas dix pas en avant, car à ce moment, on ne trace plus le chemin, on est seul, et les masses suivent leur chemin.

 

Quelques pistes sur la nécessité d'une démarche de Front unique pour la grève générale et l'auto-organisation.

 

Comment mettre en mouvement durable la majeure partie des 71% de personnes opposées à la loi, et les 50/60% favorables aux grèves ?

Comment à la fois chercher à ce que cette opinion majoritaire le reste, et favoriser l'entrée en action de centaines de milliers, de millions de jeunes, de salariéEs ?

 

Le travail de conviction en direction des salariéEs votant pour la CFDT (1 sur 4) et pour le couple CGC /UNSA (14%) est essentiel pour isoler les directions de ces centrales. On ne peut oublier qu'ils/elles sont entre 35 et 40% des salariéEs1, ce qui est l'expression (certes imparfaite, mais quand même) d'une certaine conscience d'une part importante du prolétariat. Cela a évidemment des conséquences dans les entreprises, les secteurs pour une mobilisation de masse... et le travail qui a permis en cours de mobilisation de voir évoluer la position de la CGC, puis d'une bonne partie de l'UNSA est essentiel : c'est parce que la base de ces organisations ne permettait plus à leurs directions de maintenir leur position.

 

De la même manière, concernant les centrales qui s'opposent au projet de loi de manière active, CGT, FO, Solidaires, et plus platoniquement la FSU, il est clair qu'elles n'ont pas déclenché cette mobilisation, il n'est que de voir les limites des critiques au départ du projet à la fin de l'année 2015, l'absence de mobilisation en amont. C'est à cause de ces limites que la mobilisation est partie d'une campagne de pétition à laquelle se sont ralliées les organisations de jeunesse, puis les organisations syndicales. La première grande initiative du 9 mars a donc existé hors des OS et même des secteurs combattifs.

Mais la rapidité avec laquelle la mobilisation est partie montre qu'elle est l'expression d'une crise sociale profonde, qui touche toutes les couches de la société, qui exprime tous les malaises contre l'accélération brutale de l'offensive néolibérale, dans le cadre de la stratégie du Choc engagée par le gouvernement suite aux attentats de novembre. C'est le refus de cette offensive qui explique la profondeur du processus en cours. Les directions syndicales de la CGT et de FO l'ont bien compris, d'autant qu'elles sont confrontées à une attaque d'ampleur contre elles.

 

Car le gouvernement met en oeuvre une politique qui vise à marginaliser, casser les organisations syndicales qui refusent de valider la contre réforme néolibérale. Le message est clair : les syndicats doivent être des rouages du système ou bien ils seront attaqués frontalement. Il a refusé toute discussion avant, pendant et maintenant avec les OS majoritaires: il ne laisse pas de porte de sortie à la CGT et à FO. C'est leur avenir qui se joue aussi dans cet affrontement..

 

L'attitude de FO est un des marqueurs qui montre la rupture profonde d'une partie du salariat qui a voté Hollande lors de la dernière présidentielle.

 

Les ouvertures de la CGT au gouvernement (cf lettre pour la rencontre avec El Khomri) se sont heurtées à un mur ! Mais la lettre à l'OIT montre que tout cela n'est pas fini, tout comme le sabotage de la lutte à la SNCF par la fédération CGT.

Il y a une vitalité réelle dans la CGT : la confédération n'est plus un bloc, les débats traversent profondément des fédérations, les unions locales et départementales. Il n'y a pas d'un côté la bureaucratie centrale et de l'autre la base : il y a des débats profonds à tous les niveaux de la confédération, impliquant de nombreux responsables intermédiaires, y compris à un certain niveau.

Par exemple la fédération chimie, animée par des courants critiques du PC et du PG a fait le choix d'un affrontement politique avec le gouvernement. Et le bilan de l'échec de la généralisation à partir de la grève des raffineries qu'ils tirent est différent de celui tiré en 2010. Ils ont fait un choix politique jugé pertinent, et restent convaincus qu'ils ont eu raison d'essayer, que c'était impossible de tenir sans généralisation dans d'autres secteurs, mais surtout qu'on peut le refaire.

Les effets de tout cela, et de la pression des militants au congrès CGT, ont conduit Philippe Martinez a appeller à «  une généralisation des grèves partout en France dans tous les secteurs », une nouveauté. Solidaires et FO déposèrent de la même façon des préavis de grèves reconductibles et appelèrent le maximum de salariés à durcir le mouvement le plus possible en cessant durablement le travail. Les directions syndicales, si elles s’en remettaient à la base par le biais des assemblées générales de salariés pour trancher la question des modes d’action, au moins ne s'opposaient pas frontalement à cette généralisation.

Si ces confédérations n'ont pas organisé une montée en pression de la mobilisation vers un affrontement avec le gouvernement, si la moindre avancée de celui-ci avait toute chance de les voir reculer, elles sont globalement restées sur le ligne retrait du projet, et ont maintenu la mobilisation et même dans nombre de villes, leurs secteurs les plus combattifs ont organisé les blocages, et autres actions plus radicales.

Elles ont parfois été en opposition avec certains secteurs combattifs cherchant à les déborder, à s'organiser de manière démocratique en dehors de leur contrôle, mais le plus souvent elles s'en sont accommodées sans affrontement majeur.

 

Tous ces éléments mettent en évidence le fait que le discrédit total existant entre les masses et les organisations politiques n'atteint pas ces confédérations syndicales dans les mêmes dimensions : elles ont toujours un lien vivant, conflictuel, critique avec les exploitéEs et les oppriméEs.

La critique des directions de ces confédérations doit donc être en positif, en proposant des perspectives adaptées, permettant l'extension et le renforcement des mobilisations, et pas être de la dénonciation de ceux qui empêchent le combat contre la loi

 

 

Un des points de débat est la question de la préparation de l'affrontement central par la grève générale. Pour les franges les plus actives dans cette mobilisation, il est clair que les grèves de 24h00 accumulées, les manifestations hebdomadaires ne sont pas suffisantes pour gagner, d'ou l'aspiration aux blocages et autres actions du même type, comme cela se passe depuis 1995.

Pourquoi ce débat n'a pas produit une grève générale ?

Comment une Grève Générale est possible, et sur quels points il nous faut travailler pour y arriver ?

Pour essayer d'être efficaces dans notre agitation en faveur de la grève générale, aller au delà des tracts et des mots d'ordre dans les manifestations, il me semble qu'il faut revenir sur la place de la Grève Générale dans nos perspectives.

 

La grève générale, c'est une Grève dans laquelle l'ensemble des exploitéEs se rassemble, définit des objectifs qui lui sont généraux et s'engage en tant que classe contre les classes exploiteuses, avec les méthodes et les moyens de combat qui lui sont propres et qui correspondent à sa place dans la production sociale et les rapports politiques. La grève est au centre des moyens de combat, même si ce n'est pas le seul, et l'évolution des luttes aujourd'hui le montre.

Trotsky écrivait à propos de la grève générale de juin 1936 : « Ce ne sont pas des grèves corporatives. Ce ne sont pas des grèves. C'est la grève. C'est le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs. C'est le début classique de la révolution. »

C'est pour cette raison que nous défendons cette perspective .... mais comment lui donner vie ?

 

En France les deux véritables Grèves Générales de masse de 1936 et 1968 se sont déclenchées spontanément, alors que la grève générale par vague de 1920 et celle de 1938 ont été des échecs.

En outre, nombre des facteurs qui ont joué un rôle en 1936 et 1968 sont modifiés, comme l'unité syndicale, les grandes concentrations ouvrières entrant en mouvement et l'existence d'un mouvement ouvrier politique unifiant les actions et donnant de fait une perspective politique.

Nous sommes bien dans des conditions sociales, économiques, politiques bien différentes, ce qui explique en partie l'absence de déclenchement spontané de la Grève Générale, et l'absence d'extension des grèves à partir des grèves dans les raffineries.

Pour autant l'agitation sur ce mot d'ordre garde toute sa pertinence, parce qu'elle montre la voie pour gagner, pour faire reculer le gouvernement, par la création d'un rapport de force tel que la situation devienne insoutenable pour lui, parce que sa propre base sociale et politique le pousse à lâcher au risque de perdre plus.

 

La démarche de Front unique vis-à-vis de l'ensemble des salariéEs vise à retirer un obstacle supplémentaire à la grève générale. S'il n'y a jamais 100% de salariéEs qui se mettent en grève, ça n'a jamais existé et ça n'existera jamais, il est plus facile d'arrêter le travail en masse quand on est unifié que lorsqu'on se met en grève en partie contre d'autres.

Mais plus substanciellement, les prolétaires ne se mettent pas en grève pour ... être en grève générale mais lorsqu'ils/elles sont unifiéEs autour de ce qu'ils/elles ne veulent plus, de ce qu'ils/elles veulent, et qu'ils/elles ont la conviction qu'ils/elles peuvent l'obtenir de cette manière, en tant que classe opposée à la bourgeoisie. C'est un affrontement objectivement politique par lui même, quelle que soit la capacité d'expression consciente de ceux qui la portent à un moment déterminé.

 

Ce qui crée les conditions d'une grève générale, interprofessionnelle, qui paralyse l'économie, les transports et les institutions d'état, qui constitue par elle-même c'est que l'atmosphère qui existe dans le pays est une atmosphère d'affrontement global entre les classes, c'est-à-dire que ce n'est pas un affrontement entre un secteur du patronat et un secteur de la classe ouvrière, mais que toutes les classes de la société ont l'impression que c'est un affrontement entre la bourgeoisie dans son ensemble et la classe ouvrière dans son ensemble.

Rosa Luxemburg définissait remarquablement le contenu de la grève générale en 1906:

« ... La grève en masse n'est que la forme revêtue par la lutte révolutionnaire .... En un mot, la grève en masse, telle que nous la montre la révolution russe, n'est pas un moyen ingénieux, inventé pour donner plus de force à la lutte prolétarienne; elle est le mode de mouvement de la masse prolétarienne, la forme de manifestation de la lutte prolétarienne dans la révolution.2 »

En 1936 c'était on a gagné les élections, notre vie va changer et les patrons ne vont pas continuer à nous exploiter et nous dominer comme ils le font!

En 1968 après 10 ans de pouvoir gaulliste depuis 1958, c'était on ne veut plus de ce pouvoir et de son monde, on veut changer la vie !

 

Aujourd'hui, il est clair que ce qui cristalise la mobilisation c'est la loi Travail, mais que le moteur de cette mobilisation, les motivations profondes des centaines de milliers d'exploitéEs et d'oppriméEs en mouvement sont le refus du monde déréglementé, néolibéral, policier que la bourgeoisie et le gouvernement veulent imposer à marche forcée, que symbolise la haine des Macron, Valls, Hollande et le PS.

 

Il y a eu au cours des quatre mois passés quelques jours à la fin du mois de mai où cette athmosphère commençait à poindre, à cause de la pénurie de carburant, de la grève des chauffeurs routiers, du blocage de certains dépôts, des débuts de grève à la SNCF, un moment où les ingrédients de la crise politique commençaient à ce mettre en place, sur fond de menace de blocage économique.

Cela montre à la fois ce que n'ont pas fait les directions confédérales et ce qu'ont essayé de faire les secteurs combattifs, à la fois que la marche vers un affrontement politique majeur n'est pas magique tout en étant un objectif atteignable.

Après le 49.3 du 10 mai, le rejet de la motion de censure le 12 mai, face à la répression violente des manifestations pour isoler "les casseurs", briser les rassemblements Nuit Debout et mettre fin à la mobilisation, les grèves, barrages et blocages organisés par des dizaines d’intersyndicales locales rassemblant des militants CGT, FO, Solidaires, Nuit Debout de tous secteurs furent un tournant politique. C'est alors que le gouvernement assura les conducteurs routiers que leurs majorations ne seraient pas remises en cause. Second recul tactique après les engagements pris quelques semaines auparavant avec les intermittents du spectacle.

Un pas était franchi dans la crise politique. L'attaque de la CGT comme cible à abattre plaça Martinez comme représentant de l’opposition politique au gouvernement, sans dissociation de la direction de FO. L’état d’esprit et la combativité des militants du mouvement se raffermirent et la mobilisation dans la journée de grève du jeudi 26 mai fut largement supérieure aux journées antérieures. Le gouvernement et le PS commencèrent à vaciller. Seul, le leader de la CFDT, Laurent Berger, montait au créneau pour exiger son maintien intégral.

 

Il aurait fallu plusieurs facteurs supplémentaires pour créer le blocage et donner envie à beaucoup d'entreprises du privé d'entrer dans la danse, justement parce que le climat aurait changé et donné confiance aux militants de petites boîtes.

Il nous faut par exemple prendre en compte que la violence de la répression n'a pas provoqué de réaction de masse comme celle des barricades en mai 68.

Du point de vue politique, dans les manifestations, la question de la démission de Valls est omniprésente à côté de l’exigence du retrait de la loi, mais la question est évidemment celle de quelle alternative. A chaque situation politique, il faut tracer une perspective politique, qui dépasse le rejet de la Loi Travail, qui unifie au-delà des secteurs mobilisés et qui ouvre une perspective contre le monde néolibéral qui impose sa loi travail. Il n'y a pas de réponse toute faite, car il n'y a pas d'alternative politique. Pour autant, c'est en travaillant avec le secteurs les plus mobilisés, les plus conscients à décrédibiliser le pouvoir en place que nous avancerons dans cette voie.

Car il nous faut essayer de résoudre les problèmes qui nous son réellement posés pour être efficaces, pour créer cette athmosphère d'affrontement central entre les classes.

 

Pour cela partons du rôle central de l'action en tant que source de conscience.

Ce n'est pas le travail de conviction individuelle des prolétaires pour atteindre un certain niveau de conscience qui est la clef, l'expérience montre que c'est au travers d'expériences vécues ensemble, d'actions de masse que toute une fraction des prolétaires, qui ne peut accéder à la conscience de classe par la voie individuelle de l' éducation et de la propagande, s'éveille ou se réveille à cette conscience de classe, y accède et devient extrêmement combative.

Pour le moment, dans cette mobilisation, seules des franges très limitées de prolétaires "non-organiséEs" se sont mises en mouvement. Il y a parmi ces franges des expériences très importantes pour l'avenir, une politisation spectaculaire, car se dessinent dans les formes prises des embryons de ce qui pourrait se passer lors de mobilisations de masse ..... mais une victoire est importante pour qu'elles puissent être positives et productives.

D'ou l'importance du lien entre l'action de ces franges militantes et la construction du rapport de force global, d'une perspective de victoire.

 

 

► Du point de vue de l'auto organisation, les expériences actuelles sont elles aussi limitées.

C'est l'intersyndicale avec les organisations de jeunesse qui organise au plan national les journées d'actions, et le plus souvent au plan local les diverses initiatives de blocages, de mobilisation.

Mais la conjoncture générale, les échecs passés ont un effet sur les organisations syndicales. Souvent les structures, notamment dans les petites villes et villes moyennes, s'affaiblissent, FO et la CGT ne sont plus dans la logique de tout contrôler, car elles n'en ont plus les moyens. La FSU a quasiment disparu du champ militant, Solidaires n'est pas très fort dans de très nombreux endroits.

Pour avoir l'objectif de construire une autre autorité du mouvement que celle des directions confédérales CGT et FO qui sont à la direction effective, pour que la mobilisation puisse discuter et décider elle-même de ses échéances, il faut qu'il y ait en cours un mouvement plus constant que ce qui se passe depuis quatre mois.

Nous n'en sommes pas là, pour toutes les raisons indiquées auparavant.

 

Mais au quotidien, la question de l'auto-organisation est une question centrale pour nous qui voulont construire une société émancipée dirigée par tous ces membres.

 

Car dans la société capitaliste, les exploitéEs et les oppriméEs sont dominéEs dans l'ensemble des actes de leur vie, au travail, dans la ville, et aussi par les médias qui fabriquent une vie centrée autour des besoins de la consommation capitaliste. Comment de rien devenir tout ?

Si une situation révolutionnaire est essentielle pour que ces processus se produisent à une échelle de masse, nous devons dans notre activité quotidienne tout faire pour favoriser les débats et la prise en charge des problèmes des prolétaires par eux-mêmes. Il y a un travail de fond essentiel, dans un monde où il est naturel de déléguer les responsabilités, les décisions au chef, au responsable syndical, parfois plus rarement à la responsable syndicale, ...

Partout au quotidien, travaillons à ce que les salariéEs fassent bien plus que nous faire confiance, faire appel à nous, mais réfléchissent et décident par elles/eux mêmes, s'organisent et agissent collectivement. Y compris nous militants, devons comprendre et favoriser le fait que la décision finale, ce qui se fera effectivement, ne sera pas obligatoirement notre proposition, que nous trouvons bien sûr meilleure, mais celle élaborée et acceptée par le collectif militant, sur laquelle on pourra ensuite tirer ensemble des bilans collectifs qui produiront une élévation de la conscience supérieure à tous les discours, même les meilleurs. L'expérience de la réflexion et de l'action collective, au sein de la société capitaliste qui cherche à formater y compris la conception du travail avec le néolibéralisme, est essentielle.

 

Là encore, ou en sommes-nous en réalité ?

 

Dans les lieux de travail, les formes d'auto-organisation n'ont concerné que certains secteurs en grève suffisamment active, lorsque les salariéEs n'étaient pas à la maison, pour se réunir, décider et s'organiser en commun.

Il faut réfléchir à l'articulation entre l'occupation des lieux de travail qui permet de faire vivre une auto-organisation dynamique et ce qui se passe dans l'espace des places, comme lieu de rencontre de prolétaires travaillant dans des lieux dispersés. Les grosses entreprises capables de jouer un rôle politique par elles-mêmes de centralisation des mouvements sont de plus en plus rares. Comment éviter que la lutte dans l'entreprise ne tourne vers la lutte contre son patron, s'éloignant par là du combat centralisé du prolétariat contre la bourgeoisie en tant que classe ? Il n'y a pas de solutions-miracles qui peuvent sortir du chapeau, mais se poser les bonnes questions donne plus de chance de trouver avec les prolétaires en mouvement les bonnes réponses.

 

La nouveauté un peu plus large, même si elle n'est pas de masse est l'apparition de "Nuit Debout", comme pratique nouvelle chaotique très prometteuse pour le long terme.

Si la répression a empêché une massification de l'occupation des places, le processus engagé est riche de leçons pour l'avenir, c'est une rupture avec les rythmes classiques de mobilisations.

Les rythmes sont très variables, d'une activité quotidienne dans la plupart des grandes villes, à des rencontres hebdomadaires. Le public est très varié, va de jeunes diplomés à des gens exclus, type sdf. Il s'y passe des tas de choses, une démocratie concrète se met en place et cela permet parfois de fédérer des actions en dehors du calendrier des l'intersyndicale, blocages , actions ponctuelles (Grenoble, les morts de la rue; à Rouen un ND santé-social autour Collectif et syndicalistes à Rouen, à Pantin action sur l'école, ...)

 

L'enjeu est que ces processus de rencontre d'activistes, de militants combattifs dans ces cadres divers s'approfondissent tout en restant ouverts, pour éviter le risque de devenir un courant parmi les autres. Il est essentiel que cette expérience d'échanges ouverts et pluriels couplés à des actions radicales fécondent l'ensemble des acteurs sociaux. Il est pour cela incontournable que ces processus aient en permanence la préoccupation d'une activité de masse, tournée vers la majorité de celles et ceux d'en bas pour gagner.

 

Patrick Le Moal

 

  • 1. Chiffres 2013, CFDT 26%, UNSA 4,26%, CFE-CGC 9, 43%,
  • 2. Grève de masse, partis et syndicats - 1906