Publié le Mardi 31 octobre 2017 à 10h27.

Protection sociale, le big bang réactionnaire

Depuis la création de la Sécurité sociale en 1945, les employeurs se plaignent du coût du travail. Ils ont toujours expliqué qu’il n’avaient pas à payer des cotisations sociales pour des prestations « sans aucun lien avec le travail ». Mais maintenant Macron les séduit.

Il veut rapidement mettre en application son programme sur le financement et les structures des branches maladie et retraite de la Sécurité sociale et de Pôle emploi. Ses contre-réformes répondent totalement aux revendications patronales et parachèvent les mesures des différents gouvernements qui ont précédé. Ceux-ci n’ont cessé de prendre des dispositions afin de réduire les dépenses (multiples déremboursements des prestations de santé, reculs successifs de l’âge de départ à la retraite et baisse des pensions, modulation des allocations familiales…), les encadrer (création d’une loi de financement de la Sécu en vigueur depuis 1996), les sortir du champ de la Sécu (développement des complémentaires santé, des plans d’épargne retraites…), diminuer la part patronale des cotisations (baisse de leur montant, exonérations) et modifier les modalités de financement (création de la contribution sociale généralisée – CSG – et fiscalisation).

Mais le patronat exige toujours plus, l’allégement des « charges » ne lui suffit plus. Désormais, il exige  la suppression pure et simple des cotisations sociales chômage, retraites, maladie. Le gouvernement prépare donc un grand chamboulement de la protection sociale1. Il veut non seulement détruire la base de l’édifice, son financement, mais aussi son organisation. Si elles aboutissent, les réformes annoncées détruiront des acquis sociaux de plus d’un demi-siècle.

 

Salaire socialisé ou CSG, un enjeu de la lutte de classe

Le salaire socialisé, la cotisation sociale est un enjeu primordial du rapport entre le capital et le travail, puisque c’est un prélèvement sur la richesse créée dans l’entreprise par le travail qui ampute le profit. Par contre, la CSG est prélevée sur les salaires et les revenus de remplacement, elle préserve le profit. Sa fonction est identique aux exonérations des cotisations sociales « patronales » (environ 30 milliards d’euro par an), compensées à 90 % par l’impôt : alléger la contribution du patronat au financement de la Sécu et transférer le financement sur les particuliers.

L’enjeu représente des centaines de milliards d’euros. En 2015, les cotisations affectées à la protection sociale s’élevaient à 488,9 milliards d’euros sur un total de 701,2 milliards de recettes (32 % du PIB).

En 1983, 93 % des ressources de la Sécurité sociale provenaient des cotisations sociales. En 2015, cette part était réduite à 56,7 %. La fiscalité représente désormais plus du tiers des ressources du régime général (salariés du privé), contre 3 % avant la création de la CSG en 1991. La part des cotisations sociales affectées à la branche maladie est minoritaire (45,9 % des recettes).2

Les gouvernements de gauche et de droite ont expliqué que la CSG permet d’élargir l’assiette (la base) du financement de la Sécurité sociale en faisant payer les revenus financiers. Or, en 2016, 70 % de la CSG sont prélevés sur les salaires, 20 % sur les revenus de remplacements ( pension de retraites, indemnités maladies, allocations de chômage...) et 10 % sur les revenus du capital des particuliers. Les revenus financiers des entreprises n’y sont pas soumis. Les revenus du patrimoine et les placements des particuliers (dont les comptes et plans d’épargne logement) sont taxés à 10 %. Par contre, les revenus financiers des entreprises n’y sont pas soumis. La CSG rapporte plus d’argent que la cotisation sociale, essentiellement en faisant contribuer les retraités, les chômeurs, les malades...

De plus, la CSG est encore plus inégalitaire que l’impôt sur le revenu car proportionnelle aux revenus, alors que l’IR est considéré comme progressif (ce qu’il est de moins en moins avec la réduction du nombre de tranches de 14 en 1983 à 5 actuellement). Ainsi, les 10 % des contribuables les plus riches paient 70 % de l’impôt sur le revenu, mais  ne contribuent à la CSG qu’à hauteur de 34 %.

 

Des allègements de « charges » aux contre-réformes

Le gouvernement Philippe applique les même recettes que Rocard, qui avait « compensé » la création de la CSG (1,1 % à l’époque) par la diminution de la cotisation retraite de 7,6 % à 6,55 %, soit une diminution de 1,05 %. La CSG a ensuite augmenté par paliers successifs : 2,4 % en 1993, 3,4 % en 1997, 7,5 % en 1998. Une hausse de 1,7 point est annoncée pour le 1er janvier 2018. Elle sera donc de 9,2 % sur les salaires et de 8,3 % sur les pensions, soit une augmentation de son montant de 22,67 % pour un salarié et de 25,76 % pour un retraité (et non pas de 1,7 % comme l’affirment les médias).3 En « compensation », le gouvernement prévoit de supprimer totalement la part salariale des cotisations chômage (2,40 %) et maladie (0,75 % du salaire). Pour les fonctionnaires, la cotisation de solidarité de 1 % serait retirée. Les plus grands perdants seront les retraités ; le gouvernement leur promet l’exonération de la taxe d’habitation, une mesure qui serait appliquée à partir de 2018 et... jusqu’en 2022. Après avoir asséché progressivement les cotisations « salariales », le but est d’étendre cette mesure à la part « patronale » jusqu’à l’extinction des cotisations.

La direction de la Sécurité sociale, qui assure la tutelle de l’Etat sur ses organismes, fait le point sur les exonérations de cotisations : « avec la mise en œuvre du pacte de responsabilité en 2015, les entreprises sont aujourd’hui totalement exonérées des cotisations patronales de sécurité sociale pour les risques famille, maladie, vieillesse et accidents du travail (dans la limite d’un point), ainsi que de la contribution de solidarité pour l’autonomie et de la cotisation au fonds national d’aide au logement (Fnal) pour leurs salariés rémunérés au Smic. Elles bénéficient par ailleurs du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) qui équivaut à une baisse de 6 points de leurs cotisations sociales. Ces dispositifs contribuent également à réduire le coût du travail pour les salaires au-delà du Smic, de manière dégressive (...) Depuis le 1er avril 2016, avec la mise en place du volet 2 du pacte de responsabilité, l’allègement de cotisations familiales est étendu pour les salaires compris entre 1,6 et 3,5 Smic ».4

Le prélèvement à la source de l’impôt, reporté au 1er janvier 2019, pourrait être le prélude à la fusion impôt sur le revenu-CSG et à la fiscalisation totale du financement de la Sécurité sociale. Incluses dans le budget de l’Etat, les ressources auparavant destinées à la protection sociale pourraient servir à tout autre chose alors qu’actuellement, la CSG est affectée à la protection sociale par dérogation à la loi qui interdit l’utilisation d’une recette déterminée pour le financement d’une dépense déterminée. C’est la voie ouverte à d’importantes diminutions des ressources et à la privatisation de la Sécu.

 

Les chômeurs gravement pénalisés

 Macron veut que les artisans, commerçants  indépendants, entrepreneurs, professions libérales agriculteurs, et une fois tous les cinq ans les salariés démissionnaires après cinq ans d’ancienneté dans l’entreprise, aient accès à Pôle emploi . Mais quelles allocations l’ensemble des chômeurs toucheront-ils ? Le financement ne serait plus basé sur les cotisations reposant sur les salaires, mais sur la CSG reposant sur la population. L’Unedic serait nationalisée et la gestion paritaire assurée par les syndicats et le patronat serait remplacée par  la gouvernance de l’Etat. Le gouvernement accélère la mise en œuvre, il a annoncé que la majeure partie des cotisations salariales chômage (et maladie) serait remplacée par la CSG dès le 1er janvier 2018, le reliquat prenant effet à l’automne de cette même année.5

L’accès à l’assurance chômage étendue pour toute la population active aurait un coût très important, estimé à plusieurs milliards d’euros. Pour faire face à cette dépense, les mesures d’« économie » annoncées dans le programme de Macron sont confirmées : après « deux refus d’offres d’emploi décentes (?) ou une intensité de recherche insuffisante », les indemnités seront suspendues. Cette règle qui existe déjà devra être systématiquement appliquée. La durée d’indemnisation serait ainsi être sérieusement écourtée et le chômeur aurait le « choix » entre la déqualification ou le RSA.

La « filière senior» prévoyait que les personnes de plus de 50 ans bénéficiaient de trois ans d’indemnisation, au lieu de deux. Depuis le 1er septembre 2017, cette mesure concerne les plus de 55 ans, et Macron veut que ce soit à partir de 59 ans. Les demandeurs d’emploi retrouvant un emploi à temps partiel pouvaient cumuler leur salaire avec une partie de l’allocation chômage pendant toute leur indemnisation soit deux ans, cette durée serait désormais limitée à douze mois. L’universalité de l’assurance chômage aurait d’autres conséquences qui ne sont pas dévoilées dans le programme de Macron. Le montant de l’« allocation d’aide au retour à l’emploi » (ARE), versée par Pôle emploi, dépend du montant des cotisations calculé sur les salaires des périodes d’activité précédant le chômage. La logique du système universel devrait logiquement aboutir à un changement du mode de calcul. Les allocations universelles pourraient ainsi être versées avec un montant plus faible et pendant une durée moindre. L’ARE pourrait se rapprocher peu à peu de « l’allocation  de solidarité spécifique » (ASS) versée aux chômeurs en fin de droits sous condition d’avoir travaillé au moins cinq ans dans les dix dernières années. Son montant uniforme est actuellement de 489,60 euros mensuels.

 

Les retraités dans les pièges du système à compte notionnel

Macron veut faire voter en 2018 une réforme des retraites qui concernerait les nouveaux retraités d’ici cinq ans, et serait pleinement effective dans dix ans. Il veut mettre progressivement en place un dispositif universel, il n’y aurait plus qu’un seul régime inspiré du modèle suédois. Actuellement, le montant des pensions est calculé sur les quinze meilleures années. Avec cette réforme, les cotisations versées donneraient droit à des points, le montant de la retraite dépendant non seulement du nombre de points cumulés durant les carrières mais aussi de l’espérance de vie de la génération du salarié, ainsi que du taux de croissance de l’économie. Le taux de remplacement ne serait pas connu à l’avance, les retraités n’auraient donc aucune garantie quant au montant des pensions. En Suède, avec ce système, le niveau des pensions a baissé en 2009, en 2010 puis en 2014. A partir de 61 ans, âge où il est théoriquement possible de partir en retraite, mais avec des pensions généralement très basses, les salariés sont confrontées à des dilemmes : prolongation de l’activité salariée pour bénéficier de points supplémentaires ou départ en retraite sans garantie sur le montant de la pension. Les Suédois cotisent aussi obligatoirement à de nombreuses retraites complémentaires, mais sans plus de garanties car une part des cotisations affectées est capitalisée, le plus souvent placée en actions. Ainsi, en 2008, la valeur annuelle des fonds capitalisés a baissé de 34,5 % ! Pour faire la promotion des retraites à compte notionnel, Macron a affirmé que c’est le système le plus égalitaire parce qu’« un euro cotisé donne lieu aux mêmes droits pour tous »…

 

Santé : paroles et austérité !

Agnès Buzyn, la ministre « des solidarités et de la santé », a présenté le 18 septembre sa stratégie nationale de santé pour les cinq ans à venir. Pour donner « un cap à [sa] politique de santé », elle prétend développer la prévention et la promotion de la santé dès l’enfance, avec une approche par déterminants plutôt que par pathologies. Cette approche doit dépasser largement le seul domaine de la santé pour être « un objectif de toutes nos politiques, qu’elles soient éducatives, environnementales, agricoles, sportives ou judiciaires ». Buzyn veut accroître « la pertinence et la qualité des soins », notamment par un plan de lutte contre les déserts médicaux, et lutter contre les « inégalités sociales et territoriales d’accès aux soins ». Pour cela, elle réfléchit à l’évolution de la tarification à l’activité. Après une concertation auprès des représentants du secteur de la santé, des élus et des usagers, cette stratégie de santé doit être définitivement adoptée avant le 31 décembre 2017, à travers un décret. De belles intentions, mais il n’est pas possible d’applaudir. Agnès Buzyn est une habituée des déclarations généreuses, contredites par la réalité de sa politique.6 Aucun de ses actes de ministre ne montre une rupture avec la politique de ses prédécesseurs. Il n’est pas possible de mener une politique de santé ambitieuse en réalisant durant le quinquennat « 25 milliards d’économies sur la sphère sociale dont 15 milliards sur l’assurance maladie », comme Macron l’a déclaré au journal Les Echos. Les Agences régionales de santé seront chargées d’appliquer cette politique à partir du deuxième semestre 2018, nous ne doutons pas de leur vigilance afin qu’elle entre dans le cadre budgétaire imposé par la loi de financement de la Sécu, comme elles savent si bien le faire pour les hôpitaux et les Ehpad, au détriment des professionnels de santé et des patients. Les Echos ont annoncés 4 milliards d’économie, l’ambition de Mme Buzyn risque fort d’être réduite à portion congrue…

Pendant ce temps, d’autres ministres sont plus prosaïques. Ils échafaudent un projet concret pour une assurance maladie universelle financée par la CSG, qui aurait pour conséquence la disparition de tous les régimes spéciaux et particuliers de sécurité sociale, sans qu’il y ait la moindre garantie d’un alignement des prestations vers le haut. Ce processus a déjà commencé pour la branche maladie, l’affiliation à l’assurance n’est plus conditionnée à une activité salariée : depuis le 1er janvier 2016, toute personne qui travaille ou réside en France de manière stable et régulière relève de la protection maladie universelle et bénéficie à ce titre du droit à la prise en charge de ses frais de santé. Malgré ce dispositif, le nombre des personnes renonçant à des soins pour des raisons financières reste très élevé : un quart des assurés sociaux (26,5 % exactement) ont renoncé à se faire soigner en 2016, selon l’Observatoire des non-recours aux droits et services,  mandaté par la Caisse nationale d’assurance-maladie. L’aboutissement : assistance et privatisation. La couverture sociale universelle financée par l’Etat via l’impôt, sous prétexte du refrain bien connu « l’Etat doit faire des économies face à la concurrence », versera des prestations de plus en plus faibles : le minimum vieillesse sera généralisé, un panier de soins encadrera les dépenses remboursables. Ce système d’assistance sera complété par des assurances complémentaires qui pratiqueront des tarifs différenciés afin d’offrir  le « choix des services ».

Depuis quelques années, les assureurs fusionnent et se battent pour gagner des parts des marchés de la santé et des retraites. Par des absorptions et fusions, notamment avec des mutuelles, de grands « groupes de protection sociale » (AG2R, La Mondiale, Malakoff Médéric, Humanis…) prennent en charge les prestations complémentaires, retraites et maladie, Il ne resterait plus, selon eux, que cinq ou six groupes d’ici quelques années, prêts à concurrencer ou à se substituer à la Sécu.

Code du travail et protection sociale, reculs sociaux, leur système nous n’en voulons pas. Des batailles à mener ensemble !

S. Bernard