Publié le Jeudi 13 décembre 2012 à 11h53.

ST Microelectronics : Gagner des augmentations de salaires, c’est difficile mais possible»

par Elsa Collonges

 

STMicroelectronics est une grosse entreprise de la microélectronique dont les Etats français et italien sont des actionnaires importants. En France, plus de 10 000 salarié-e-s sont réparti-e-s sur plusieurs sites, principalement à Tours (37), Rousset (13), Grenoble et Crolles (38). Entreprise de haute technologie, fondée il y a 25 ans, les traditions de grève et de lutte n’y sont pas très importantes. Pourtant les raisons de la colère sont bien là… Et à force d’y croire et surtout de construire la résistance, parfois on gagne !

 

STMicroelectonics n’est pas con-nue pour sa politique salariale très généreuse. Si dans les premières années les primes ont été importantes, les dernières NAO (négociations annuelles obligatoires) ont été marquées par des augmentations faibles, sous prétexte de la crise alors que l’entreprise a fait plus de 800 millions d’euros de profit en 2010.

 

En 2009 et en 2011, les différents sites ont connu des périodes de chômage partiel, des congés imposés, le non renouvellement des intérimaires et des CDD… Le chômage a donné lieu à des sentiments contradictoires : au soulagement d’être en congés forcés durant les vacances scolaires s’ajoutaient à la fois la crainte de l’avenir et les pertes de salaires. En tous cas, les 

 

salarié-e-s ont eu l’impression de faire pas mal d’efforts… qui n’ont pas été récompensés, ni par des augmentations substantielles ni par des primes lorsque l’activité est repartie et qu’il a fallu donner des coups de collier, d’autant plus importants que les ateliers étaient en sous-effectif.

 

Pendant ce temps, 300 millions ont été versés aux actionnaires en 2012 (50 % des bénéfices) et l’augmentation de 70 % du salaire du PDG porte maintenant ses revenus à près de 4 millions par ans.

 

 

Une colère latente

 

Ces éléments objectifs engendrent une colère latente mais ne suffisent pas à eux seuls à déclencher une lutte collective. L’année précédente, sur ces mêmes questions de salaire, la bagarre était restée très minoritaire, cantonnée à une équipe de nuit week-end. Mais cette lutte isolée et longue de plusieurs mois avait permis de constituer un noyau solide dans cette équipe, prêt à en découdre et sur lequel s’est appuyée la mobilisation de 2012. Même chez les ingénieurs (qui pour beaucoup n’ont pas de fonctions d’encadrement et constituent une part importante du salariat de ce type d’entreprise) la grogne était présente : quelques actions lancées par la CGT, la CFDT ou la CFE-CGC avaient eu un certain écho (rassemblement sur les heures de repas, badges colorés, opération parking vide à 16h…)

 

Mais à chaque tentative de mobilisation, la pression de la hiérarchie se faisait sentir lourdement sur celles et ceux qui sortaient du rang : managers surveillant de derrière les vitres les « agitateurs », pressions lors des tours des élu-e-s en salle, chantage à la promotion individuelle… Cette pression s’est accentuée pendant la mobilisation autour des NAO, notamment avec la tentative de licenciement d’un élu CGT « meneur » du conflit à Rousset.

 

 

Des équipes syndicales combatives

 

Il faut dire que sur plusieurs sites, les équipes CGT, si elles ne sont pas forcément majoritaires et nombreuses, s’efforcent de mobiliser des salarié-e-s. Les élu-e-s sont présent-e-s, combatifs/ves, reconnu-e-s et légitimes. Le travail d’explication fait tous les ans au moment des NAO est une priorité et il est mené avec la volonté de construire la mobilisation.

 

L’étincelle qui a déclenché la lutte en 2012 est venue d’une erreur de la direction. Alors que début mars, lors des négociations centrales, CGT et CFDT demandaient ensemble 150 € pour tout le monde (opérateurs, techniciens et cadres), le DRH a laissé entendre l’espace de 10 minutes que 100 €, ce serait possible… avant de revenir sur ses déclarations. Le lendemain, la colère était nettement montée d’un cran… Tout le travail d’argumentation, qui n’avait pas forcément porté ses fruits en termes de mobilisation les fois précédentes, a alors montré son importance.

 

L’unité CFDT/CGT a été un élément déterminant : elle a permis de mobiliser davantage de salarié-é-s mais également d’éviter que certains négocient dans leur coin. Elle était pourtant bien fragile, notamment avec des tensions assez vives dans la CFDT entre des cadres prêts à négocier avec la direction et des militant-e-s parmi les salarié-e-s posté-e-s, prêts à mener la bataille jusqu’au bout.

 

Rousset et Crolles sont des sites de production qui tournent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Dans ce cadre, trouver des rendez-vous permettant de rassembler tout le monde pour prendre des décisions collectives n’est pas facile. Le rythme de la mobilisation a donc semblé un peu chaotique, dépendant des jours, des équipes…

 

Mais l’enchainement des appels à rassemblement sur l’heure du repas de midi ou au moment du changement d’équipe, les appels à débrayage d’une heure, le relais passé d’une équipe à l’autre, les débrayages de postes entiers, jusqu’au blocage de la production à Rousset fin mars, ont progressivement permis d’amplifier le mouvement.

 

Tous les sites ne se sont pas mobilisés, malgré quelques tentatives à Grenoble par exemple. Mais le fait que Rousset et Crolles soient tous les deux en lutte a clairement favorisé l’extension dans chacun de ces deux sites. Les informations ont circulé et l’idée qu’on ne peut pas « lâcher les copains » a joué.

 

A côté de la mobilisation interne, l’interpellation des élu-e-s locaux, les distributions de tracts adressés à la population et aux travailleurs du secteur géographique, le soutien des élu-e-s de boîtes voisines, de l’UL CGT, de la fédération de la métallurgie ont aussi été des éléments de construction du rapport de forces.

 

 

Quand le rapport de forces bascule

 

Et puis à un moment, ça bascule : la peur change de camp, même brièvement, et la direction cède… Mais pour cela il a fallu mettre le paquet : le blocage de la production à Rousset et l’entrée en force des salarié-e-s grévistes à l’intérieur du site de Crolles, début avril, ont marqué un tournant dans le mouvement. La direction a clairement eu peur de l’extension du blocage de la production. Il faut dire que le blocage de la salle blanche entraîne non seulement un retard dans la production mais provoque des pertes parce que certaines plaques sont à jeter. Le blocage de la production et les pertes d’argent liées sont clairement le point de pression qui a permis dans un premier temps la réouverture des négociations.

 

Vient alors la dernière partie du conflit : les négociations et les discussions sur le niveau de compromis atteignable. La revendication initiale de la CGT et de la CFDT était à 150 €, le mouvement s’est construit autour des 100 €, 80 € semblaient le minimum acceptable pour les grévistes lors des discussions pendant les rassemblements, la direction en proposait 70… Les vacances de printemps, les intimidations du management, les pertes de salaires, le sentiment qu’on ne pourra pas faire plus nous ont conduit à accepter 70 € et à signer le protocole de fin de conflit.

 

 

Une brèche pour la suite

 

Cette augmentation générale (et pas individuelle) de 70 €, c’est une brèche ouverte pour la suite. Pour une grande partie des salarié-e-s, c’est la plus grosse augmentation qu’ils/elles aient jamais eu. La mobilisation a déjà des conséquences positives : la fierté de ne pas se laisser écraser par la direction, la solidarité des salarié-e-s, le renforcement et la cohésion des équipes syndicales… Cette victoire a permis de démontrer l’efficacité de la mobilisation. D’autant que les cadres, très peu mobilisés, n’ont rien eu de mieux que l’augmentation moyenne de 2,5 % donnée dès le départ par la direction.

 

Suite à ce mouvement, la CGT s’est significativement renforcée. Le travail quotidien de construction du syndicat est évidemment à poursuivre avec toutes les difficultés qui lui sont liées… Dans le même ordre d’idée, les liens tissés avec les syndicats des boîtes voisines qui se sont mobilisées, elles aussi, au moment des NAO (avec différents résultats) pourront être renforcés pour que nous soyons tous plus forts l’année prochaine.

 

Après cette expérience, beaucoup de problèmes restent en suspens. Comment combattre la concurrence entre salarié-e-s distillée au quotidien par les nouvelles méthodes de management ? Quelles articulations entre les différentes formes de mobilisation (grève, blocage, rassemblement…) ? Comment répondre à la répression antisyndicale et anti-grévistes ? Comment améliorer l’implication des salarié-é-s non syndiqué-e-s dans la gestion collective du mouvement ? Comment favoriser l’auto-organisation malgré les difficultés concrètes (diversité des horaires, des statuts...) ?

 

Autant de questions qui doivent nourrir notre réflexion collective, dans les cadres syndicaux comme entre militant-e-s anticapitalistes.