Publié le Lundi 19 octobre 2015 à 15h53.

Classe ouvrière : construire un mouvement démocratique et révolutionnaire

A ce stade du débat, un certain nombre d'approches se précisent et permettent d'avancer. Je reviens ici sur le texte "Réflexions introductives" (site) par lequel Patrick a introduit l'atelier sur la classe ouvrière à l'UE.

Il s’agissait de "comprendre pourquoi dans une société comme la nôtre...", la situation qui est faite au prolétariat "ne crée pas une déstabilisation de la société, ne provoque pas une dynamique d'affrontement de classe qui remet concrètement en cause le pouvoir de l'infime minorité, la bourgeoisie". Le responsable en serait le rôle idéologique du néo-libéralisme, qui s'impose aux cerveaux et désarme les prolétaires. D'où une situation sans autre perspective pour les anticapitalistes que " surtout savoir poser les questions susceptibles de créer du commun et favorisant la désacralisation du pouvoir du capital... "

Le raisonnement s'articule sur ce paragraphe : " Il y a des évolutions techniques, technologiques (augmentation énorme de la productivité), des choix économiques d'externalisation, de délocalisation, mais aussi une volonté politique. Les évolutions du prolétariat ne sont pas le produit.mécanique des changements économiques, de l'évolution des processus de production. Il y a une vraie réflexion de la classe bourgeoise, suivie des décisions pratiques pour affermir, renforcer, conforter sa domination ".

Le "mais" suggère que ceux qui raisonnent avec l'idée que les bases matérielles (technologiques, économiques) priment sur les choix politiques non seulement verraient les choses de façon "mécanique", mais n'auraient au fond pas conscience de l'importance des choix politiques de la bourgeoisie. Mais qui conteste que la bourgeoisie a une "volonté politique", qu'elle mène une "vraie réflexion" de classe ? La question n'est bien évidemment pas là. Elle est de savoir si cette "volonté politique" obéit à une vision autre que la recherche de la rentabilité financière maximum, jusqu’à l’absurde y compris pour ses propres intérêts comme le révèle l’affaire Volkswagen. Ses « décisions pratiques" s’adaptent aux évolutions technologiques, économiques, sociales...

Les évènements financiers qui se déroulent aujourd'hui en Chine viennent à point pour nous rappeler que la bourgeoisie ne maitrise pas les conséquences de ses propres décisions. Son libre arbitre ne s’exerce que dans le cadre des contraintes de la logique folle de la concurrence et de la course au profit, de sa condition de classe dominante. Ce qui pose "l'économie" comme facteur en "dernière analyse" des évolutions de la société, ce ne sont pas les "choix économiques d'externalisation, de délocalisation" des entreprises auxquels se cantonne Patrick, mais la baisse des taux de profits, l'exacerbation de la concurrence, les crises qui jalonnent l'histoire du capitalisme et dont certaines ont conduit à de grands changements de période.

C'est bien sûr le cas du virage néolibéral des années 1980. Il s'est imposé au capitalisme comme issue à la crise des années 1970. Non pas parce que, selon les thèses antilibérales que reprend ici Patrick, des théoriciens néolibéraux qui avaient "réfléchi" dès les années 30 aux moyens de  "créer une autre forme de domination du Capital " seraient enfin parvenus à imposer leur "volonté" après un demi-sièclede"délais". Mais bien pour relever le taux de profit !

Cette étonnante idéalisation des "théoriciens" de la bourgeoisie vient plaider pour les conceptions des antilibéraux, du prétendu "nouveau réformisme" que représentent en Espagne Podemos, en Grèce hier Syriza, aujourd'hui l'Unité populaire. Comme si un bon gouvernement avec une bonne politique pouvait inverser les logiques économiques capitalistes. Non, l’affaire se joue sur le terrain de la lutte de classes entre la bourgeoisie et le prolétariat.

Les évolutions du capitalisme au cours de ces trente dernières années ne se sont pas contentées d'imposer reculs sur reculs à la classe ouvrière. Elles dégagent aussi le terrain pour de nouvelles perspectives - voir le texte "Classe ouvrière mondialisée. Nouvelles perspectives révolutionnaires et anticapitalistes" sur le site.

Pour que ces perspectives prennent corps, il faut bien évidement au prolétariat une "volonté politique", une conscience de classe. La bourgeoisie armée d'un Etat et de son arsenal juridique, répressif et idéologique, n'a finalement besoin, pour assurer sa place de classe dominante malgré les aléas liés au fonctionnement du capitalisme et à la lutte de classe, que d'ajuster sa politique aux circonstances, guidée par un cap immuable, la recherche du profit maximum. Les prolétaires, grands acteurs de l'évolution du monde grâce à leur travail, produisant toutes les richesses et les progrès technologiques, n'ont, eux, pas conscience de leur rôle historique, ne se hissent pas jusqu'à se concevoir comme la classe dirigeante de demain, capable d’ouvrir la route vers une société débarrassée de l’exploitation, sans classes.

Contribuer à l'émergence de cette conscience ne peut se réduire à " savoir poser les questions susceptibles de créer du commun et favorisant la désacralisation du pouvoir du capital ". Elle passe par la construction d'un mouvement démocratique et révolutionnaire, d’un parti, émergeant de la lutte des classes, porteur d'un programme qui lie intimement la question sociale, la question économique, la question écologique et la question du pouvoir.

Daniel Minvielle, 33