Publié le Lundi 19 octobre 2015 à 15h57.

Classe ouvrière (partie 3) : intervenir sur les questions liées à l’écologie d’un point de vue de classe et avec la méthode de la lutte de classe

La crise qui menace l’avenir même de la planète nous pose incontestablement des questions nouvelles, tant du point de vue du programme que de la stratégie.

Ainsi, il n’est sans doute plus possible de réfléchir à l’avenir d’une société sans classe et sans Etat de la même manière que ne le faisait Engels à une toute autre époque, à partir du moment où l’on sera très probablement confronté à un développement limité des forces productives qui peuvent engendrer toutes sortes de tensions dont le mode de régulation politique reste pour nous une inconnue. Ce qui ne signifie pas non plus nécessairement le maintien tel quel du « vieux bric-à-brac ».

De la même façon, il convient sans aucun doute de revenir de manière plus précise sur cette contradiction fondamentale du capitalisme entre le développement des forces productives et les rapports de propriété. D’un certain point de vue, une autre organisation de la société permettra de « libérer » les forces productives, mais à conditions de ne pas confondre cette notion avec la croissance du niveau de production (c’est un peu plus complexe chez Marx), et de mettre en cause fondamentalement aussi bien le contenu que les méthodes de production.

Il y en aura pourtant bien besoin : à Madagascar, plus de 90% de la population utilise du charbon de bois pour cuire ses aliments, ce qui provoque des dégâts considérables. Et donc produire en quantité industrielle des fours solaires (et d’autres produits de haute technologie) sera évidemment d’une nécessité vitale. Mais il convient en même temps de préciser que la principale contradiction dans les pays industrialisés ne se situe déjà plus tout à fait au même niveau.

Car l’une des contradictions qui mine le capitalisme aujourd’hui résulte surtout de la croissance des besoins sociaux en termes d’éducation et de santé, alors même que le capital a du mal à se valoriser, précisément dans ces domaines. Ce qui montre là encore la nécessité d’actualiser la compréhension que nous avons des « vieilles formules » héritées du marxisme, lesquelles restent en même temps d’une grande pertinence et d’une grande utilité.

La critique du désastre écologique engendré par le capitalisme donne une grande actualité aux idées communistes, et tout particulièrement à ce qui en fait le fondement : l’idée que la production doit être organisée, planifiée, ce qui passe par une remise en cause radicale de la propriété privée des moyens de production. C’est aussi une condition sine qua non pour une gestion plus rationnelle des territoires. Mais la promotion de cette critique d’un point de vue marxiste suppose aussi de ne pas céder à certaines simplifications.

Ainsi approfondir notre critique du rôle joué par la science – qui n’est pas la solution à tous nos problèmes - est une nécessité, mais à condition de ne pas promouvoir à l’inverse une sorte de défiance systématique qui confine à l’obscurantisme, ce qui existe de manière plus ou moins prononcé dans certains milieux écologistes. Insister sur le fait que les technologies ne sont pas neutres est juste et utile, mais on ne peut pas non plus tout mettre sur le même plan, au nom du « principe de précaution », et décréter par avance qu’on stoppera les recherches dans le domaine du nucléaire ou des OGM. Ou être contre tous les « grands projets » sous prétextes que certains sont inutiles. Sans parler d’une certaine forme d’idéalisation de « l’agriculture paysanne » qui mériterait d’être un peu plus questionné à partir de ce que vit réellement le monde paysan en France et dans le monde.

Un problème important est de défendre une orientation à partir d’un point de vue de classe et avec les méthodes de la lutte de classe. Ce qui nécessité en premier lieu de bien comprendre l’importance d’enraciner effectivement notre intervention à partir des lieux de production, parce que la politique que nous voulons mener n’est pas tout à fait superposable avec une « révolution citoyenne » qui se situerait de fait un peu hors-sol, en oubliant que les rapports sociaux capitalistes s’enracinent dans cette réalité objective structurante que sont les rapports de propriété et l’extraction de la plus-value.

Mais cela pose en même temps un problème de temporalité qu’il n’est pas simple non plus de résoudre du point de vue de l’intervention. Que les salariéEs s’en sentent ou non capables dans le contexte actuel n’enlève absolument rien au caractère propulsif de l’interdiction des licenciements, qui par la remise en cause du droit de propriété qu’elle contient, peut s’inscrire parfaitement dans le cadre d’une démarche transitoire. Mais revendiquer face aux licenciements de produire autre chose et autrement pose d’autres problèmes, car fondamentalement on ne fera pas le socialisme entreprise par entreprise : la réorganisation de la production relève d’une autre dimension et d’une autre temporalité. Ce qui fait que combiner la dimension écologique avec une démarche transitoire pose en réalité une série de problèmes pas simples à résoudre dès que l’on veut dépasser le cadre des généralités sur la meilleure manière de « combiner » et « articuler » l’ensemble de ces questions. Autant dire que le chantier reste largement ouvert…

Jean-François Cabral