Publié le Lundi 6 juillet 2015 à 10h46.

« La classe ouvrière est révolutionnaire ou elle n'est rien » (Marx)

Dans la première étape du débat sur la stratégie il est question du « sujet révolutionnaire ». De prime abord le terme de « sujet » peut poser un problème. Faut-il l'entendre comme « personne soumise à une autorité souveraine » (Le Petit Robert) ou comme l'acteur d'une action. Il va de soi que la seconde proposition est celle qui convient ; mais dans ces conditions il serait plus juste de parler du « sujet de l'action révolutionnaire » comme le fait l'anarchiste argentin Eduardo Colombo.

Comment poser la question dans le monde actuel ? Le point de départ pourrait être ce passage du Manifeste du parti communiste, même si ce dernier date de 1848, passage que le monde militant organisé a quelque peu oublié sauf dans ses écoles : « la bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, c'est-à-dire tous les rapports sociaux. »

Cette révolution se traduit par une recherche continue pour étendre son pouvoir sur l'ensemble du monde et de la société : extension territoriale (colonialisme puis dépendance), du marché mondial à la mondialisation, soumission de la nature au mépris de l'environnement et de la survie de l'espèce humaine, brevétisation du vivant, soumission de l'esprit humain (aliénation), sans oublier le credo du néo-libéralisme ou la « déprolétarisation du prolétariat ».

 

Pour définir les contours du sujet de l'action révolutionnaire, il est indispensable de prendre en compte la réalité réelle, pas celle née dans les rêves militants d'une classe ouvrière mythique. Les tendances lourdes actuelles sont : disparition des grands centres d'exploitation, phénomène massif d'externalisation et de délocalisation de la production, concurrence mondiale entre les travailleurs, précarisation du statut de salarié, exclusion sociale.

 

C'est la mise en œuvre de la thèse néo-libérale de « l'homme entrepeneurial ». Ce qui peut se traduire ainsi : terminé l’État dit providence, fini le statut d'assuré social ; place à des individualités responsables, propriétaires, épargnants. Le modèle parfait c'est Uberpop qui utilise les services d'auto-entrepreneurs. Le résultat de cette politique est, certes, une catastrophe humaine et sociale, mais ce n'est pas le problème du capital, son problème est sa profitabilité.

 

Sur le plan politique cela se manifeste par le mépris de la démocratie même formelle. Le NON au projet de constitution européenne, en France, a été effacé par le Parlement ; le vote du peuple grec ne doit pas modifier le code. Le pouvoir du capital avance masqué derrière un concept abscons : la gouvernance. C'est-à-dire un ensemble de normes et d'institutions dans lequel agissent non des classes sociales mais des acteurs, certains d'entre-eux ont le pouvoir de dire « non » mais ils doivent respecter le principe général : le pouvoir du capital ne peut pas être remis en cause.

Le sujet de l'action révolutionnaire ne peut être qu'un sujet collectif, selon les pays ou les périodes il est nommé : prolétariat, masses, peuple. Mais il n'existe pas naturellement, il se constitue dans la lutte, qui ne peut être qu'une lutte politique, une lutte qui affirme qu'une autre société est possible. Il est grand temps de prendre la mesure de cette petite phrase de Marx : « la classe ouvrière est révolutionnaire ou elle n'est rien. »

 

La domination du capital repose sur l'extorsion de la plus-value et l'aliénation. Faut-il privilégier la première au risque de laisser de côté une masse de prolétaires rejetée par le capital car les exploiter ne lui permettrait pas de faire du profit. Cela ne risque-t-il pas de considérer les effets de la seconde comme des questions spécifiques et en dernière analyse secondaires ?Sur la question de l’environnement devenue, sans conteste possible, la question politique centrale ; cela ne risque-t-il pas de considérer le productivisme comme quantité négligeable ?

 

Prenons la mesure de la période : le capital transforme la société du sol au plafond. Sans critique radicale de l'ordre réellement existant, aucune chance pour que se coagule dans un mouvement d'ensemble pour remettre en cause ce dernier. L'idéologie dominante le présente aux yeux des classes sociales exploitées et opprimées comme naturel. Dans le cadre de la lutte purement économique, le capital restera toujours le plus fort. La classe ouvrière n'existe que lorsqu'elle affronte politiquement le capital. C'est-à-dire quand, en « agissant du dehors » de la sphère des rapports entre ouvrier et patron, elle conduit « une action politique générale » (Marx).

La constitution des gens d'en bas en sujet de l'action révolutionnaire demande au monde militant anticapitaliste d'avoir une approche globale, de savoir la décliner dans chaque lutte locale et surtout de savoir poser les questions susceptibles de créer du commun et favorisant la désacralisation du pouvoir du capital.

 

Émile 93