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Drupal\footnotes\Plugin\Filter\FootnotesFilter->process('La question des classes sociales est à nouveau un peu passée de mode. Des sociologues continuent à étudier les différents groupes sociaux et l’extrême-gauche à se référer à la lutte des classes mais, au moins en France, domine largement le thème de l’opposition entre les métropoles assimilées à la bourgeoisie traditionnelle ou nouvelle et les zones périurbaines et rurales où seraient reléguées les classes populaires.Un des principaux tenants de cette opposition est Jean-Claude Michéa. Nous avons publié dans notre numéro 87 de mai 2017 un entretien avec Isabelle Garo qui traite de ses positions : <a href="https://npa2009.org/idees/politique/jean-claude-michea-la-reaction-sous-le-masque-de-lanticapitalisme[/fn">https://npa2009.org/idee…</a>]
La pertinence du rassemblement des exploité-e-s et opprimé-e-s comme fondement d’un projet émancipateur est relativisée par les tenants du projet transversal de <em>« construction d’un peuple »</em>, à l’instar de Chantal Mouffe qui, après Ernesto Laclau, se veut l’inspiratrice d’un <em>« populisme de gauche »On peut lire, sur Chantal Mouffe, son entretien avec Regards en 2016, intitulé « Il me semble urgent et nécessaire de promouvoir un populisme de gauche » : <a href="http://www.regards.fr/web/article/chantal-mouffe-parler-de-populisme-de-gauche-signifie-prendre-acte-de-la-crise[/fn">http://www.regards.fr/we…</a>]</em>. Pour une fraction de la gauche radicale, la classe dominante se réduit aux « 1 % »  auxquels s’opposeraient quasi-indistinctement les 99 % ; vision justement dénoncée par Serge Halimi dans<em> « Le leurre des 1 % »</em>.Le Monde diplomatique, juillet 2017.
Quant à l’analyse des classes en Europe, s’il existe divers travaux universitaires, la gauche radicale en France s’est polarisée sur l’existence ou non d’une bourgeoisie européenne fusionnant tout ou partie des bourgeoisies nationales, tout en affirmant, de façon juste (mais parfois un peu abstraitement), la solidarité des exploités de tout le continent face aux dénonciateurs du « plombier polonais ».
Dès l’introduction de leur ouvrage, Cédric Hugrée, Etienne Pénissat et Alexis Spire (ci-dessous désignés comme HPS) affirment l’essence de leur projet : réintroduire les classes sociales et les inégalités dans la lecture des clivages qui partagent les populations au sein de l’Union européenne (UE). Certes, les rapports de classe se sont largement construits dans le cadre des Etats mais, au sein de chaque pays participant à l’UE, ces rapports sont désormais remodelés par le cadre européen.
<strong>Un travail sociologique fondé sur des enquêtes statistiques</strong>
Qu’on ne s’attende pas à trouver dans cet ouvrage des références directes à Marx – les auteurs se situent plutôt dans la postérité de Bourdieu. Il s’agit ici de se livrer à un travail sociologique empirique. Sont utilisées quatre  grandes enquêtes statistiques européennes, pour trois d’entre elles supervisées par Eurostat (l’office statistique de l’UE) et pour l’autre relevant de la Fondation de Dublin qui observe les conditions de travail.
Cela permet d’obtenir une masse de données, avec des limites inhérentes soit aux questions des enquêtes, soit aux conditions dans lesquelles celles-ci sont menées dans les différents pays. Pour agréger ces données, a été utilisée une nomenclature européenne récente qui distingue trente groupes socio-professionnels, que HPS ont agrégés en trois classes sociales en utilisant différentes dimensions des hiérarchies sociales (possession de capitaux, niveau culturel, statut professionnel, conditions de travail). Ils distinguent donc les classes populaires, les classes moyennes et les classes supérieures.
HPS soulignent eux-mêmes les limites de cette classification, notamment à propos des « classes moyennes ». D’ailleurs, tout en parlant de « trois classes », ils utilisent toujours le pluriel pour les désigner : les classes populaires, les classes moyennes, les classes supérieures. Nous revenons plus loin sur ce problème mais il faut noter d’emblée que cette classification agglomère des salariés et des non-salariés (ces derniers, avec la petite paysannerie, représentent même une partie importante de l’agrégat « classes populaires » à l’Est de l’Europe). 
Les données publiées par la Commission européenne mettent surtout en évidence les disparités entre Etats  (pour comparer les pays entre eux, voire pour les mettre en concurrence) et portent peu sur les groupes sociaux. Les travaux menés par Piketty ont le mérite de montrer les inégalités de richesse, mais les auteurs soulignent que se limiter aux inégalités passe sous silence les autres dimensions essentielles des classes sociales : subordination des classes populaires par rapport aux centres de pouvoir, rapports de force politiques, évolution interne des différentes classes… Le terme de « classes populaires » est largement absent des débats européens : d’autres mots sont généralement utilisés, tels que « pauvres » ou « exclus » qui, comme HPS le soulignent, réduisent les positions à une somme de situations individuelles et rendent invisibles les rapports de domination.
<strong>Prolétariat et classes populaires ne disparaissent pas</strong>
Les différentes prophéties sur l’homogénéisation des structures sociales en Europe et sur la dissolution du prolétariat dans une immense classe moyenne ont été démenties par les faits. De même pour le discours sur la marche inéluctable de l’Europe vers une « société de la connaissance » où, avec les robots, les métiers manuels peu qualifiés disparaitraient.
En fait, les disparités entre structures sociales nationales se maintiennent. L’industrie a globalement régressé  en Europe, surtout à l’Ouest,  mais est loin de s’être évanouie : elle occupe entre 20 et 30 % des actifs dans la plupart des pays d’Europe centrale et orientale, contre 17 % à l’Ouest de l’Europe (et 21 % en Allemagne, dont l’évolution est particulière).
Cela renvoie notamment aux vagues de délocalisation, par exemple dans l’automobile. Le gonflement du tertiaire a comme conséquence l’expansion de métiers tertiaires qualifiés, mais n’est pas synonyme de disparition des classes populaires. On voit également progresser des métiers dont la qualification est peu reconnue (et les salaires faibles) : aides-soignantes, aides à domicile, magasiniers, vendeuses, etc.
Les classes populaires représentent 43 % des actifs européens (les classes moyennes et supérieures, respectivement 38 % et 19 %). Elles se situent au-dessus de cette moyenne à l’Est et au Sud, où elles ont été particulièrement frappées par la crise et les politiques néolibérales : les salaires y sont bas et de nombreux jeunes ou travailleurs sont contraints d’émigrer.
Dans les autres Etats-membres comme la France ou l’Allemagne, les classes moyennes  (telles que définies par les auteurs) et les classes populaires s’équilibrent plus ou moins, avec des différences entre Etats. Les classes populaires sont essentiellement composées de salariés (ouvriers et employés), auxquels s’ajoutent dans la classification adoptée, pour 15 % du total, des agriculteurs et des artisans ainsi que des « travailleurs autonomes », nombreux en Espagne.
Une des caractéristiques des classes populaires européennes est la mise en concurrence : interne aux différents pays (ainsi, les camionneurs indépendants servent à peser sur les camionneurs salariés ; l’emploi de salariés sous des statuts différents joue dans le même sens) ou entre les pays (avec les délocalisations). Du fait des mouvements migratoires, la composante étrangère est plus importante dans les classes populaires que dans les autres classes.
Au-delà de la diversité des situations nationales, les membres des classes populaires sont partout plus exposés au chômage que les autres classes sociales. Les contrats précaires y sont plus fréquents et le taux de temps partiel y est plus élevé. Ce temps partiel est plus souvent subi et cette forme de travail touche avant tout les femmes ; la flexibilisation des marchés du travail impulsée par le patronat et les gouvernements se fait en premier lieu à leur détriment.
Le vieillissement de la population et le développement du travail des femmes (en particulier des plus qualifiées) entraînent, dans le cadre d’un système patriarcal, la prise en charge des vieillards et des tâches ménagères par des femmes des catégories populaires, souvent étrangères. Les membres des classes populaires sont les plus exposés à la pénibilité et aux risques du travail. Les progrès technologiques ne mettent pas fin aux contraintes qui pèsent sur eux, comme en témoignent les conditions de travail dans les entrepôts d’Amazon.
Dans toute l’Europe, les inégalités en termes de santé augmentent : une fraction des classes populaires doit renoncer à des soins pour des raisons économiques, ou parce qu’il faut attendre trop longtemps avant de pouvoir accéder à un médecin.
Certes, il y a des écarts au sein des classes populaires, entre les ouvriers agricoles et ceux de l’électronique par exemple, mais les traits communs l’emportent : vulnérabilité économique, situation de subordination, mise en concurrence, subordination politique. Les mobilisations sociales sont difficiles mais existent, sans toutefois se fédérer.
<strong>Des classes moyennes hétérogènes</strong>
Viennent ensuite les classes moyennes qui, dans la classification de HPS, représentent 38 % des actifs. Tout en construisant cette catégorie, les auteurs insistent sur les risques de son usage fallacieux et extensif afin de camoufler les conflits de classe. Ils distinguent au sein des classes moyennes quatre pôles, caractérisés chacun par le secteur d’emploi (privé ou public – le public constituant une part importante de l’emploi des classes moyennes) et par la situation dans le travail : une certaine autonomie ou bien une position de subordination. Ceux qui sont en situation d’autonomie sont en général plus diplômés.
Les auteurs regroupent dans les classes moyennes les enseignants, les techniciens de l’industrie, les professions intermédiaires de santé (comme les infirmières), les employés de bureau, les commerçants, etc. Ces catégories bénéficient de conditions d’emploi et de travail globalement meilleures que celles des classes populaires, mais des disparités importantes existent en leur sein en termes de risque de chômage et de bien-être au travail. La propriété du logement y est plus fréquente que dans les classes populaires et les pratiques culturelles (habitudes de lecture…) les en distinguent aussi.
Les classes moyennes du public subissent directement les conséquences des politiques d’austérité tandis que celles du privé se sentent fragilisées, elles-mêmes ou pour l’avenir de leurs enfants. Il en résulte une montée du scepticisme par rapport à l’Union européenne, avec dans le Sud de l’Europe des mobilisations sociales (comme le mouvement des Indignés espagnols), tandis qu’en Europe centrale et orientale le mécontentement est capté par des forces nationalistes.
<strong>Les classes supérieures ne se réduisent pas aux 1 %</strong>
Enfin, les classes supérieures. Les auteurs insistent sur le fait que l’on ne peut les réduire aux « 1 % » dénoncés par le mouvement Occupy Wall Street : d’autres fractions des classes supérieures concourent au maintien d’un ordre social dont elles tirent avantage. Relèvent donc des classes supérieures ceux qui disposent d’un pouvoir dans le domaine économique (chefs d’entreprise et cadres dirigeants) ou dans l’appareil d’Etat (hauts fonctionnaires), ainsi que les sommets des professions libérales et intellectuelles. Au total, 19b % des actifs. Ces classes supérieures sont d’abord <em>« ceux et celles qui définissent les règles du travail »</em> pour elles-mêmes et surtout pour l’ensemble des salariés.
Les membres de ces classes se distinguent évidemment par leur richesse économique. Alors que pour la majorité de la population les revenus proviennent pour la plus large part de l’activité individuelle de chacun, les membres des classes supérieures cumulent des salaires (élevés) et des revenus de leur capital (bousier, foncier, immobilier). Au sein même des classes supérieures, les inégalités sont cependant considérables et le sommet (les 1 %) capte une part de plus en plus grande des revenus.
Les revenus élevés des classes supérieures sont souvent justifiés dans le discours dominant par les risques associés à leurs responsabilités ;  HPM soulignent le caractère fallacieux de cet argument : les dirigeants peuvent plus facilement que les salariés se protéger des conséquences d’une erreur (en ne risquant le plus souvent qu’une baisse de leurs revenus).
Une autre justification de la légitimité des classes supérieures est la possession de compétences particulières ; celles-ci sont associées à des filières scolaires sélectives vers lesquelles s’orientent prioritairement leurs enfants de ces classes et dont ils constituent une part essentielle des effectifs. Mais le « capital culturel » ne se limite pas à la possession d’un diplôme, il renvoie aussi à une forte consommation de biens culturels et à des compétences permettant de voyager et de travailler au-delà des frontières nationales. HBM font remarquer que les classes supérieures, toujours promptes à vanter la nécessité de l’ouverture sur l’international, sont dans leur composition peu ouvertes aux étrangers non européens, contrairement aux classes populaires.
La domination sociale des classes supérieures se double d’une domination politique, illustrée de façon de plus en plus caricaturale par la disparition des ouvriers et des classes populaires en général des institutions politiques, y compris parmi les élus des partis sociaux-démocrates et communistes. Cette domination politique est renforcée par la symbiose entre classes supérieures et haute administration de l’Etat.
Est également mis en exergue le renforcement de la ségrégation des espaces dans un certain nombre de grandes villes européennes, à l’Ouest comme à l’Est (à Londres comme à Budapest), avec des quartiers accaparés par les plus riches. Les classes populaires ne disparaissent pas des centres-villes, mais leur profil s’y modifie, les ouvriers étant remplacés par un nouveau prolétariat du tertiaire comportant une forte proportion d’étrangers. La ségrégation sociale marque aussi les banlieues, avec des communes où sont relégués des classes populaires et d’autres qui sont résidentielles.
<strong>L’articulation des niveaux national et européen</strong>
Tous les groupes sociaux sont d’une façon ou d’une autre remodelés par la division du travail entre pays européens : si la détermination nationale reste forte, les rapports de domination ne sont plus strictement nationaux et bon nombre d’institutions nationales (jusqu’aux systèmes d’éducation) sont restructurées. Ces évolutions sont plus ou moins contraignantes pour les membres des différentes classes. 
Globalement, les classes supérieures se trouvent dans la situation la plus favorable. HPM soulignent leur relative homogénéité et une convergence au-delà des frontières nationales plus marquée que pour les autres classes. Elles manifestent généralement une forte adhésion à l’Union européenne et aux politiques menées dans ce cadre. Mais cela ne signifie pas que les différentes classes supérieures nationales pèsent de la même façon dans l’espace européen.
Les classes supérieures de l’Est de l’Europe sont, pour reprendre une expression des auteurs, des <em>« dominants dominés »</em> dépendant de normes et de modes d’organisation qui leur sont imposés. Ainsi, bon nombre de grandes entreprises de ces pays sont désormais pilotées par des capitaux étrangers et « managées » sur place par des cadres venus d’autres pays européens ; pour espérer y faire carrière, les cadres de l’Est doivent maitriser parfaitement l’anglais et calquer leur comportement mais aussi leur mode de vie et leur habillement sur le « modèle » du manager occidental.
Les classes moyennes et populaires sont plus disparates et plus marquées par les différences entre les Etats où elles vivent. La situation des différentes classes populaires varie ainsi selon le rythme et les modalités des restructurations économiques, la place de l’agriculture, l’importance du travail non déclaré, l’envergure des systèmes de protection sociale… A tout point de vue, c’est en Europe de l’Est  et du Sud que leur situation est la plus difficile.
Quant aux classes moyennes, leur configuration est pour une part modelée par l’importance du secteur public, même si les spécificités en sont de plus en plus attaquées par les politiques néolibérales menées avec la bénédiction de l’UE. Pour les membres des classes moyennes et populaires, l’unification européenne telle qu’elle se fait est plus souvent porteuse de contraintes et d’incertitude. 
Les trajectoires de « ceux d’en bas » apparaissent donc plus disparates et éclatées que celles des classes supérieures. Cela complique la constitution d’un mouvement social européen, d’autant que – soulignent les auteurs – ni les partis de gauche ni les syndicats ne prennent en charge les problèmes communs aux différents pays d’Europe, comme les conditions d’emploi et de travail.
<strong>Dangers et limites des populismes</strong>
Dans ce contexte, un grand espace est laissé au populisme de droite qui, comme l’écrivent justement les auteurs, réussit à <em>« transformer un mécontentement social en repli national »</em>. Certains (les auteurs citent Podemos et la France insoumise) prétendent répondre à ce danger par un <em>« populisme de gauche »</em>, opposant le peuple à l’oligarchie et valorisant le cadre national comme espace de protection.
HPS en soulignent les limites : il s’agit au mieux de réponses à court terme face au dumping social et à la casse des services publics. Le véritable enjeu est de reconstruire un rapport de forces social plus large que les cadres nationaux et, pour reprendre la dernière phrase de l’ouvrage,<em> « une gauche sociale et politique capable de se déployer à la même échelle que celle des firmes capitalistes, c’est-à-dire au niveau européen »</em>. On ne peut que souscrire à cette conclusion.
Divers aspects de cet ouvrage mériteraient discussion : une définition quelque peu éclectique des classes, l’agrégation des salariés et des non-salariés (qui à notre avis pose surtout problème pour les classes moyennes), des « classes moyennes » dans lesquelles sont inclus des groupes professionnels qui font indéniablement partie du prolétariat moderne (comme les informaticiens et techniciens, les infirmières, les réceptionnistes et guichetières). Nous avons noté d’ailleurs au début de cet article que tout en parlant de trois classes, le pluriel était toujours employé pour les désigner.
D’un point de vue marxiste, il y a matière à objecter face à ces classes qui ne sont pas vraiment définies par des rapports sociaux de production et dont les rapports réciproques ne sont que peu caractérisés. Ainsi que le résume Alain Bihr, auteur d’une synthèse sur la conception marxiste des classes sociales : <em>« ce sont les rapports entre les classes plutôt que les classes sociales qu’il faut placer au centre de l’analyse : (…) les classes n’existent et ne peuvent se comprendre que dans et par les rapports qui les unissent entre elles. Rapports qui trouvent leurs fondements dans les rapports capitalistes de production, avec leurs dimensions irréductibles d’exploitation et de domination. »« Les rapports sociaux de classes, entretien avec Alain Bihr », Mediapart, 21 janvier 2014, <a href="https://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet/article/210114/les-rapports-sociaux-de-classes-entretien-avec-alain-bihr">https://blogs.mediapart…</a> Dans cet entretien, Alain Bihr présente son ouvrage « Les rapports sociaux de classes », Lausanne, Editions Page deux. Ce livre est accessible en version électronique : <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/bihr_alain/rapports_sociaux_de_classes/rapports_sociaux_de_classes.html">http://classiques.uqac.c…</a> </em>
Reste que cet ouvrage, et c’est son grand intérêt, fournit au lecteur une masse d’informations et des repères utiles pour engager « l’analyse concrète d’une situation concrète ».<a href="https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1920/06/vil19200612.htm[/fn">https://www.marxists.org…</a>]
<em><strong>Henri Wilno</strong></em>
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Publié le Mardi 21 février 2012 à 20h01.

Pierre Bourdieu : l’héritage critique d’un sociologue de combat

 

Dix ans après la mort du sociologue Pierre Bourdieu, on voudrait ici – sans aucune prétention à l’exhaustivité et en laissant à d’autres la tâche de discuter à fond la pertinence sociologique et politique de son œuvre1 – rappeler quelques acquis de son travail et souligner l’actualité de la perspective critique qu’il n’a cessé de défendre et de mettre en œuvre, depuis son premier livre sur l’Algérie à la fin des années 1950 jusqu’à celui sur la domination masculine 40 ans plus tard, en passant par ses travaux sur l’art, l’École, les pratiques culturelles, le langage, les classes dominantes, l’État, etc.

avant toute chose, il importe de récuser la thèse répandue qui oppose deux Bourdieu radicalement distincts : un Bourdieu savant, praticien rigoureux de l’enquête et défenseur d’une sociologie exigeante ; et un Bourdieu militant, celui des années 1990, de la Misère du monde et de la critique des médias. S’il y a bien une inflexion dans la trajectoire du sociologue, même s’il n’a pas attendu les années 1990 pour prendre position dans l’espace public2, Bourdieu s’en est expliqué à de nombreuses reprises : c’est l’emprise croissante du néolibéralisme, notamment au sein de la gauche institutionnelle et du monde intellectuel, qui a poussé le sociologue à intervenir de manière plus directement politique qu’auparavant (voir l’encadré), et à multiplier les initiatives pour faire émerger ce qu’il appelle alors un « intellectuel collectif », luttant sur le terrain des idées contre l’idéologie néolibérale, en la démystifiant à l’aide des armes construites par les sciences sociales.

Mais, surtout, si cette opposition entre deux Bourdieu constitue une fausse piste, c’est qu’il n’a jamais cessé – à travers ses travaux sociologiques – de poser des questions éminemment politiques et de s’inscrire dans une perspective critique. À ce titre, on peut affirmer que ses interventions politiques des années 1990 prolongent en bonne partie ses travaux sociologiques, même si elles rompent effectivement avec la coupure, davantage revendiquée auparavant, entre la production scientifique et l’intervention politique. Bien qu’il ne se soit jamais revendiqué du marxisme3, Bourdieu a maintenu un dialogue constant avec l’œuvre de Marx, mais a surtout cherché à traiter les problèmes que ce dernier n’avait pu qu’effleurer, et que les théoriciens marxistes de son temps (notamment Althusser) appréhendaient selon lui de manière schématique ou en succombant à des formes diverses d’économisme.

Du fait de sa richesse, il y a une multitude de manières d’aborder l’œuvre de Bourdieu. Nous avons choisi de partir d’une question qui nous semble traverser l’ensemble de son travail et que l’on peut énoncer de la manière suivante : comment s’opère la reproduction sociale des rapports de domination (de classe, de genre, de race), dans des sociétés qui assurent le respect de certaines libertés (de réunion, d’information, etc.), ne répriment pas systématiquement les diverses formes d’opposition, et proclament l’égalité de touTEs devant l’État ?

Une sociologie de la violence symbolique

Une dimension très importante de la sociologie de Bourdieu tient dans l’idée que, pour comprendre pourquoi des rapports de domination se maintiennent – entre classes sociales, entre hommes et femmes, entre groupes définis racialement –, la référence à la violence physique ne suffit pas.

Pour ne prendre que cet exemple, dans le cas de la domination exercée par une classe, on ne peut s’en tenir à invoquer les forces de répression (police, armée, justice, prison). En effet, la classe dominante – noblesse, bourgeoisie ou bureaucratie, peu importe – n’en fait usage qu’en dernier ressort, justement quand les rapports d’obéissance et de subordination entre classes ont déjà perdu leur évidence et qu’ils sont contestés par les classes dominées. Ce sont donc les conditions du maintien de ces rapports de subordination qu’il importe d’examiner, ce qui peut nous aider à comprendre sous quelles conditions des rapports pourraient se trouver déstabilisés.

La réponse proposée par Bourdieu à l’énigme du maintien d’un ordre social inégalitaire peut être résumée à travers le concept de violence symbolique, qu’il a notamment mobilisé dans ses travaux sur l’École (en collaboration avec Jean-Claude Passeron). La principale caractéristique de la violence symbolique, outre qu’elle ne fait pas appel à la contrainte physique, c’est qu’elle s’exerce avec le consentement, au moins partiel, de l’individu dominé ou du groupe dominé.

Plus précisément, le consentement des dominés – c’est-à-dire la croyance dans la légitimité des rapports entretenus avec les dominants – est à la fois le produit et la condition de la violence symbolique. On peut notamment voir à l’œuvre ce consentement toutes les fois où un groupe dominé (prolétariat, femmes, minorités raciales, etc.) tend à percevoir le monde social, et sa place dans le monde social, à travers les catégories propres aux groupes dominants. Alors se trouve reconnue comme naturelle et légitime la domination dont il est l’objet, et méconnue l’inégalité foncière qui est au principe de cette domination.

Bourdieu ne nie donc pas les fondements matériels de tout rapport de domination, la division inégalitaire du travail domestique par exemple dans le cas de la domination masculine. Mais il cherche en chaque cas à montrer qu’une domination ne saurait se maintenir sans produire des instruments de légitimation à l’usage des dominants et des dominés, permettant de faire apparaître comme évidente – et donc d’éterniser – cette domination.

L’exemple de l’École

Prenons l’exemple de l’école, parce qu’amenés à défendre une certaine vision de l’école publique nous oublions trop souvent de faire la critique de sa contribution à la reproduction de l’ordre établi. Bourdieu a très tôt saisi son importance quant à la légitimation des rapports de classe dans les sociétés modernes4.

L’école prétend transmettre de manière neutre une culture présentée comme universelle et que chaque élève, peu importe son origine de classe, pourrait s’approprier avec la même aisance. Tout d’abord, c’est oublier que la culture scolaire est elle-même en partie arbitraire, ou plus précisément qu’elle constitue un produit complexe :

-   du développement des connaissances humaines (potentiellement universelles, selon l’organisation sociale dans laquelle elles s’insèrent) ;

- mais aussi d’éléments culturels issus de la nécessité, pour les classes dominantes, de reproduire leur domination.

Ce qui se joue à l’école, nous disent donc Bourdieu et Passeron, ce n’est pas seulement une transmission de savoirs mais aussi un rapport de forces culturel entre classes sociales, ou plutôt une transmission de savoirs dans le cadre d’un rapport de forces culturel5.

C’est aussi passer sous silence que, selon leurs ressources économiques mais surtout culturelles (qui dépendent en bonne partie de leurs niveaux d’études), les parents préparent très inégalement leurs enfants à s’approprier la culture scolaire. L’école prétend donc traiter également des enfants qui s’avèrent socialement inégaux devant une culture qui apparaîtra familière aux uns et étrangère aux autres.

Pour ces raisons, et comme en matière économique, le capital (culturel) va au capital (culturel). Ainsi, au nom de leurs difficultés d’acquisition des savoirs scolaires, la majorité des enfants des classes populaires se trouvent exclus des filières les plus « nobles », et plus généralement de l’enseignement dit « général »6, quand ils ne sont pas orientés, parfois très précocement, dans des filières de relégation, menant presque exclusivement à des emplois de stricte exécution.

La facilité avec laquelle certains enfants des classes populaires peuvent s’imaginer qu’ils sont incapables d’acquérir les savoirs scolaires, qu’ils sont voués à être des « manuels » (qui s’opposeraient à des « intellectuels ») ou condamnés à n’être que les exécutants de volontés extérieures, peut alors être comprise comme un effet de la violence symbolique qui s’exerce à l’école, du fait de la distance inégale entre la culture scolaire et les différentes cultures de classe, et qui est d’autant plus efficace qu’elle prolonge l’expérience de leurs parents dans le monde du travail.

On voit ici la contribution idéologique de l’école à la reproduction de l’ordre des choses : convaincre chacunE que son destin scolaire et social n’est que le produit de son talent individuel ou de son mérite personnel ; transfigurer les hiérarchies de classe en hiérarchies à la fois justes (les plus méritants dirigent) et fonctionnelles (les plus talentueux dirigent).

L’emprise du capital culturel

Le capital culturel, dont les diplômes sanctionnent l’acquisition, tend à produire des effets particulièrement pernicieux dans la mesure où il agit de manière très peu visible. S’il contribue à légitimer les rapports de domination, c’est qu’un grand nombre de gens, même de bonne volonté et se situant sur le terrain de la transformation sociale, acceptent sans réflexion les hiérarchies établies par l’école, parce qu’elles sont profondément incorporées.

S’appuyant sur ces hiérarchies généralement tenues pour légitimes, un mépris de classe va aisément pouvoir s’exprimer sous la forme de ce que Bourdieu appelait un « racisme de l’intelligence » : celui qui conduit les experts à renvoyer le peuple et ses manifestations à l’ignorance, ou plus prosaïquement toute personne « cultivée » à moquer les pratiques culturelles propres aux classes populaires, à assimiler à une forme de barbarie la non-connaissance de telle ou telle référence culturelle, etc.

Le capital culturel, c’est donc d’abord le rapport social qui unit (et sépare) ceux à qui la société – à travers son école – reconnaît de l’intelligence, et ceux qu’elle parvient à convaincre, malheureusement trop souvent, qu’ils ne comprennent rien, qu’ils ne sauraient avoir voix au chapitre puisqu’ils n’appartiennent pas au « cercle de la raison » (pour reprendre l’expression d’Alain Minc…), qu’ils sont inaptes à prendre position et parti dans le cours des choses.

En somme, ce que la sociologie de Bourdieu propose de crucial pour nous, ce sont des instruments permettant de comprendre – et d’agir, y compris dans nos rangs, sur – les mécanismes de domination symbolique. Tâche d’autant plus importante que, comme on l’a dit plus haut, ces mécanismes assurent la reproduction silencieuse de l’ordre des choses, et notamment des rapports de classe, en parvenant à extorquer une forme de consentement, de la part des dominés, à cet ordre.

En guise de conclusion, il faut insister sur la pertinence de la sociologie de Bourdieu pour les forces qui travaillent à l’émancipation de toutes et tous, et sur sa capacité à démonter des mécanismes de domination de toutes sortes : domination de classe, de genre, de race ; domination exercée à travers l’école, les grands médias, les entreprises ou l’État. Les outils conceptuels qu’elle propose nous paraissent un complément indispensable aux armes théoriques façonnées par Marx pour expliquer le fonctionnement du capitalisme, tout en maintenant un dialogue fécond avec le marxisme sur des points importants que nous n’avons pu aborder ici, notamment les classes sociales dont Bourdieu a toujours considéré qu’elles constituaient un instrument indépassable de compréhension du monde social.

Ugo Palheta

1. Pour une discussion des rapports entre sociologie et politique, voir notamment l’article de Daniel Bensaïd initialement paru à la mort de Bourdieu dans Contretemps : http://www.contretemps.e…

2. Qu’on pense aux textes que Bourdieu a consacrés à l’Algérie durant la période de révolution anticoloniale, qui ont été rassemblés de manière posthume dans : Esquisses algériennes, Paris, Seuil, Liber, 2008.

3. La puissance de l’orthodoxie stalinienne qui se faisait passer pour marxisme, notamment à l’École normale supérieur où il fit ses études dans les années 1950, n’est sans doute pas pour rien dans le rapport ambivalent de Bourdieu à l’héritage de Marx.

4. Dans son livre la Noblesse d’État, il faisait même de l’émergence d’un « mode de reproduction à composante scolaire » l’un des traits caractéristiques de la modernité.

5. Voir les deux livres de P. Bourdieu et J.-C. Passeron : Les héritiers, Paris, Minuit, 1964 ; et La reproduction, Paris, Minuit, 1970. Voir aussi P. Willis, L’école des ouvriers, Marseille, Agone, 2011.

  1. Ainsi, au début des années 2000, seuls 19 % des jeunes appartenant aux classes populaires accédaient aux filières de l’enseignement général, contre 81 % des jeunes issus des milieux les plus favorisés socialement.

Bourdieu et le mouvement de l’hiver 1995

S’opposant à un groupe d’intellectuels « de gauche » soutenant la réforme Juppé (Alain Touraine, Paul Ricoeur, François Dubet, etc.), Pierre Bourdieu prononce durant le mouvement de grève de l’hiver 1995 un discours de soutien devant des cheminots grévistes. Dans ce discours, il conteste précisément le jugement d’irrationalité prononcé par les « élites » à l’encontre des travailleurs grévistes et en appelle à une « reconquête de la démocratie ». En voici quelques extraits :

« Je suis ici pour dire notre soutien à tous ceux qui luttent, depuis trois semaines, contre la destruction d’une civilisation, associée à l’existence du service public, celle de l’égalité républicaine des droits, droits à l’éducation, à la santé, à la culture, à la recherche, à l’art, et, par-dessus tout, au travail. Je suis ici pour dire que nous comprenons ce mouvement profond, c’est-à-dire à la fois le désespoir et les espoirs qui s’y expriment, et que nous ressentons aussi ; pour dire que nous ne comprenons pas (ou que nous ne comprenons que trop) ceux qui ne le comprennent pas, tel ce philosophe qui, dans le Journal du Dimanche du 10 décembre, découvre avec stupéfaction « le gouffre entre la compréhension rationnelle du monde », incarnée selon lui par Juppé – il le dit en toutes lettres –, « et le désir profond des gens ». […]

C’est cette certitude technocratique qu’exprime Juppé lorsqu’il s’écrie: « Je veux que la France soit un pays sérieux et un pays heureux ». Ce qui peut se traduire: « Je veux que les gens sérieux, c’est-à-dire les élites, les énarques, ceux qui savent où est le bonheur du peuple, soient en mesure de faire le bonheur du peuple, fut-ce malgré lui, c’est-à-dire contre sa volonté ; en effet, aveuglé par ses désirs dont parlait le philosophe, le peuple ne connaît pas son bonheur - en particulier son bonheur d’être gouverné par des gens qui, comme M. Juppé, connaissent son bonheur mieux que lui ». Voilà comment pensent les technocrates et comment ils entendent la démocratie. Et l’on comprend qu’ils ne comprennent pas que le peuple, au nom duquel ils prétendent gouverner, descende dans la rue – comble d’ingratitude ! – pour s’opposer à eux.

Cette noblesse d’État […] a fait main basse sur l’État ; elle a fait du bien public un bien privé, de la chose publique, de la République, sa chose. Ce qui est en jeu, aujourd’hui, c’est la reconquête de la démocratie contre la technocratie : il faut en finir avec la tyrannie des “experts”, style Banque mondiale ou FMI., qui imposent sans discussion les verdicts du nouveau Leviathan (les “marchés financiers”), et qui n’entendent pas négocier mais “expliquer” ; il faut rompre avec la nouvelle foi en l’inévitabilité historique que professent les théoriciens du libéralisme ; il faut inventer les nouvelles formes d’un travail politique collectif capable de prendre acte des nécessités, économiques notamment (ce peut être la tache des experts), mais pour les combattre et, le cas échéant, les neutraliser ».

Lire Bourdieu

Des livres d’introduction à Bourdieu :

- A. Accardo, Introduction à une sociologie critique : lire Pierre Bourdieu, Marseille, Agone, 2006.

- L. Pinto, Pierre Bourdieu et la théorie du monde social, Paris, Seuil, « Points », 2002.

Des livres pour commencer à lire Bourdieu :

- Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1980.

- Choses dites, Paris, Minuit, 1987.

- Raisons pratiques, Paris, Seuil, 1994.

Des livres d’intervention :

- La misère du monde (coordonné par P. Bourdieu), Paris, Seuil, 1993.

- Sur la télévision, Paris, Raisons d’agir, 1996.

- Contre-feux, Paris, Raisons d’agir,1998.

- Contre-feux 2, Paris, Raisons d’agir,2001.

- Interventions. 1961-2001. Science sociale et action politique, Marseille, Agone, 2002.

Quelques grands livres de Bourdieu :

- La distinction, Paris, Minuit, 1979.

- Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980.

- La noblesse d’Etat, Paris, Minuit, 1989.

  • Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997.