Dans un communiqué publié la semaine dernière intitulé « ChoquéEs bien sûr. Et puis ? » la Marche des Solidarités a écrit : « Si le gouvernement veut en finir avec les images qui montrent la réalité de sa politique, nous, nous voulons en finir avec ce que ces images montrent. »1
Il y a eu les images de l’évacuation de la place de la République et celles du tabassage de Michel Zecler. Mais il y a eu aussi la vidéo de cette femme qui crie « Where is my baby ! I lose my baby » dans un canot au large des côtes de la Libye le jeudi 12 novembre. Son bébé de 6 mois est mort. Le même jour les différents naufrages ont fait une centaine de mortEs. Une autre vidéo montre un enfant de six ans qui demande à son père le lendemain « Où est maman ? ». Le corps de celle-ci a été repêché.
Et puis. Une situation qui tourne de plus en plus sale
C’est la propriété presque indécente des images : on peut les rembobiner. Rembobiner les images de la répétition de tous les crimes et tabassages policiers, la plupart racistes. Rembobiner les images des évacuations violentes de migrantEs par la police sur la place de la République durant l’hiver 2015-2016. Rembobiner les images du cadavre du petit Aylan noyé sur une côte turque en septembre 2015.
Mais on ne peut pas rembobiner la situation qu’elles révèlent et qui tourne de plus en plus sale.
Cela impose d’en tirer les leçons. Pas contre l’indignation, au contraire, pour éviter qu’elle se tarisse à force d’impuissance et qu’elle ne devienne indifférence… ou pire.
Arrêtez de dire que les gouvernements en place, et en réalité tous les politiciens, font de la démagogie pour flatter leur électorat. Face à une crise structurelle du capitalisme qui creuse et creusera toutes les inégalités sociales, les inégalités de classe, celles et ceux qui le dirigent, le gèrent, n’ont d’autre voie que d’essayer de souder les populations derrière l’État et la nation, de moins en moins « démocratique », de plus en plus policier et raciste.
Voilà la raison du tournant de Macron, du « libéralisme économique et politique » à l’autoritarisme nationaliste labellisé « républicain ».
Contre les compromis et les compromissions
D’où la connexion entre offensive islamophobe, renforcement des pouvoirs de la police et politique anti-migratoire. Et de nous faire croire que c’est le véritable prix à payer pour éviter l’arrivée au pouvoir des « vrais » fascistes. Quand cela ne fait que leur préparer le terrain. Et, à « gauche » de ne discuter que du montant de la facture (un peu plus ou un peu moins d’islamophobie, de nationalisme, de défense de « la République » etc.).
Dans tout cela, ces derniers mois, le mouvement des sans-papiers et la Marche des Solidarités ont bousculé l’édifice des compromis et des compromissions. Sur des mots d’ordre que peu de forces et d’associations auraient osé défendre il y a encore peu, un mouvement s’est développé ces derniers mois sur tout le territoire, entraînant des dizaines de milliers de manifestantEs.
Si les images de sans-papiers et migrantEs en combattantEs et non plus seulement en victimes ont encore peu percé, c’est bien parce que c’est encore une manière d’invisibiliser la question politique globale qu’ils et elles posent : celle d’un changement radical de logique basé sur la construction d’une solidarité de classe internationaliste qui dépasse les calculs boutiquiers. Qui ne se résume pas à une arithmétique d’addition de fronts au nom de la convergence ou d’une intersectionnalité vidée de signification stratégique.
Construction affichée du bras de fer
Après plusieurs mois où le mouvement s’est développé en interpellant le pouvoir politique, le mépris affiché par celui-ci, malgré les marches qui ont parcouru le pays en septembre et octobre et malgré l’imposante manifestation du 17 octobre, exige une nouvelle phase, celle de la construction affichée du bras de fer.
D’où la stratégie de l’Acte 42 qui appelle à un renforcement des collectifs de sans-papiers, du mouvement national de collectifs de solidarité et à une plus forte implication du mouvement syndical. L’appel a déjà été signé par plus de 250 collectifs, associations, syndicats, organisations politiques. Une coordination nationale réunissant une quinzaine de villes et régions se réunit toutes les semaines. Des manifestations sont en train de s’organiser sur tout le territoire pour le 18 décembre à l’occasion de la journée internationale des migrantEs. Pour faire passer le message d’une montée en régime la manifestation parisienne se prolongera par l’occupation de la place de l’Hôtel de Ville.
Le texte de l’Acte 4 appelle aussi à « préparer les conditions d’une journée de grève interprofessionnelle pour l’égalité et la régularisation des sans-papiers ». Cela ne se décrète bien sûr pas, mais cela se construit. Le jour où une partie un peu significative des personnels de l’éducation, des cheminotEs, des postierEs, des soignantEs, etc. se lèveront pour faire grève pour la régularisation des sans-papiers, on pourra alors commencer à parler d’une « avant-garde » anticapitaliste non auto-proclamée donnant une alternative à toute la société.
Il en va bien sûr de la situation concrète et dramatique des migrantEs et sans-papiers et derrière eux et elles de toutes les victimes du racisme et de la précarité. Mais l’enjeu va bien au-delà : forger un mouvement de classe en antagonisme avec la « protection » de l’économie française, de l’État, de la « République ». Pour préparer les confrontations de plus en plus dures à venir et ouvrir un espoir aux indignations.