Publié le Mercredi 5 avril 2017 à 14h49.

« Bavures » et répression : Qui nous protège de la police ?

Moins de deux semaines après la forte mobilisation du 19 mars pour la Marche pour la justice et la dignité, deux nouveaux crimes viennent alourdir le sombre palmarès des tueurs en uniforme. Les deux victimes de ces crimes policiers sont issues, l’une de la communauté des « gens du voyage », l’autre de la communauté chinoise...

Jeudi 30 mars, Angelo Garand, détenu en fuite depuis septembre dernier, est présumé avoir trouvé refuge sur un domaine de Seur (Loir-et-Cher). Les flics locaux font appel au GIGN et cernent les lieux. Le fugitif tente d’échapper à l’arrestation en « brandissant un couteau » face à des gendarmes lourdement armés et protégés. Il est « neutralisé »... ce qui en langage policier veut dire abattu de plusieurs balles. Les deux gendarmes auteurs des tirs invoquent la légitime défense, et, après une courte garde à vue, sont remis en liberté. Soyons rassurés, l’IGPN mène l’enquête ! 

Un important dispositif policier a été mis en place pour dissuader toute protestation locale. La famille d’Angelo conteste la version policière et envisage la constitution d’un comité vérité et justice. Une cagnotte a été mise en place afin que celle-ci puisse nommer un avocat et se constituer partie civile.

En plein Paris

Quatre jours plus tôt, le dimanche 26 mars, cité Curial dans le 19e arrondissement de Paris, M. Liu Shaoyo, un Chinois de 53 ans, est abattu dans son appartement par des membres de la BAC. Appelés par des voisins pour une banale histoire de voisinage, les flics n’ont pas hésité à défoncer la porte, faisant irruption, arme au poing, protégés par des gilets pare-balles.  Là, ce sera la menace d’une paire de ciseaux de cuisine qui aurait contraint nos braves policiers à « neutraliser » cet homme, c’est-à-dire à le tuer sous les yeux de sa famille... Rassurons-nous, l’IGPN mène aussi l’enquête !

Rapidement connu, le drame suscite une vive émotion dans la communauté chinoise, et dès le lendemain, des rassemblements auront lieu chaque soir devant le commissariat du 19e où,  en particulier des jeunes viendront exprimer leur colère, leur indignation, et leur volonté que toute la lumière soit faite sur ce qui apparaît clairement comme un nouveau crime policier. Des rassemblements qui seront violemment réprimés par la police, entraînant de nombreux blessés, des dizaines d’interpellations et mises en garde à vue.

Dimanche 2 avril, plus de 6 000 personnes ont rendu un dernier hommage à Liu Shaoyo avec une présence policière insupportable et provocatrice qui a entraîné de nouveaux affrontements avec des jeunes survoltés criant « police assassins ! » Manifestant au coude à coude avec d’autres jeunes déjà convaincus de l’urgence  et de la nécessité de s’organiser face aux violences policière, les jeunes chinois ou franco-chinois que l’on avait peu vus à la Marche du 19 mars exprimaient également leur dégoût face au traitement médiatique dégueulasse des événements. 

« On serait donc manipulés par des communistes et des mafieux. C’est bien, il y a tous les clichés en une seule fois », s’exprimait ainsi un responsable de l’AJCF (association des jeunes chinois en France). Le temps des « vieilles associations » qui appellent au calme est révolu : « les assos sont débordées, nous en avons marre d’être invisibles », « non, on ne peut pas réduire ce meurtre à une ’’affaire de chinois’’ ». « C’est comme pour Théo ou Adama »...

Mettre fin à cette danse macabre !

Confortés par les dispositions d’un état d’urgence permanent et par l’impunité que leur assure la « présomption de légitime défense », les flics, largement imprégnés par les idées racistes et xénophobes, usent et abusent d’un véritable permis de tuer.

Les discours ultra sécuritaires véhiculés par les candidatEs à l’élection présidentielle les y encouragent. De la « tolérance zéro » de Macron, du rêve de rétablir la peine de mort de Le Pen, aux illusions d’une « police républicaine » pour d’autres, les habitantEs des quartiers populaires et les acteurs du mouvement social n’ont rien à attendre des institutions pour les protéger de la police. Ce n’est que dans la rue, dans des mobilisations, en développant le soutien aux victimes des violences policières, que nous pourrons tous ensemble imposer un programme d’urgence : pour le désarmement de la police, la dissolution des BAC, et de l’IGPN, scandaleusement respectée comme structure vertueuse et indépendante alors qu’elle n’est qu’un organisme de blanchiment des « bavures » policières.

La marche du 19 mars était un point de convergence qui ne saurait se limiter à une manifestation annuelle. Ce n’est qu’en renforçant ou en créant des collectifs dans les quartiers, les facs, les lycées, les lieux de travail, contre les violences policières, le racisme et l’islamophobie, que nous construirons un rapport de forces permanent.

Alain Pojolat

Voir aussi le dossier police et justice en pages 6-7