Routine de l’horreur programmée : c’est désormais dans un quasi-silence médiatique qu’ils et elles s’échouent mortEs sur les plages de Libye, d’Italie ou de Grèce, comme ces dizaines de corps échoués en Libye ce dimanche...
Négation de l’humanité : ils et elles sont déplacés comme des objets d’un lieu à un autre sans jamais être écoutés. Ils et elles sont blessés par les matraques, quand ils et elles revendiquent simplement leur existence. Ils et elles sont coupés par les barbelés et les lames acérées des murs des frontières... Tout cela se passe en Europe. Aujourd’hui. Cela se passe en France.
Ils et elles, ces hommes, ces femmes, ces enfants, dénommés migrantEs, sans-papiers ou réfugiéEs, disent l’ampleur de la barbarie qui contamine notre société. C’est la véritable barbarie, celle qui défie toute intelligence, car, rapport après rapport, tous les chiffres disent l’accueil possible, les bâtiments disponibles, et même les avantages d’une ouverture des frontières.
Le message du gouvernement
Pendant des semaines les autorités ont voulu couvrir cette barbarie par des discours sur « l’accueil ». Le dernier épisode de cette stratégie s’est joué la semaine dernière avec l’évacuation du lycée désaffecté occupé Jean-Quarré dans le 19e arrondissement de Paris. Après cinq mois de campements et d’occupations dans la capitale, le pouvoir a cru effacer la dernière trace visible, collective, de la présence des migrantEs. À l’occasion de cette évacuation s’est renforcé un système de collaboration entre la police, la mairie, les éluEs, la presse et certaines associations. On a même vu un groupe de policiers en civil endosser les gilets des employéEs de la mairie de Paris pour entrer dans le lycée...
La voie est alors libre pour la mise en œuvre de ce qui constitue la véritable politique du gouvernement : accueillir le moins possible de migrantEs. Faire surtout passer ce message : vous n’êtes pas bienvenuEs ici.
Du 22 au 24 octobre, 150 migrantEs ont été arrêtés à Calais et envoyés dans des centres de rétention à Toulouse, Nîmes, au Mesnil-Amelot... avant expulsion. Des Syriens, des Soudanais, des Afghans, des Irakiens, des Iraniens... Et la centaine de migrantEs laissés sur le carreau suite à l’évacuation de Jean-Quarré ont été matraqués puis pourchassés lors de la manifestation du samedi 24 octobre. Trois ont été blessés.
La machine à trier
La voie est libre pour légitimer la mise en place d’une véritable machine policière pénétrant tous les secteurs de la société pour atomiser, surveiller, contrôler, trier, arrêter. Alerte : cette machine ne s’arrêtera pas à broyer les migrantEs. Expérimentée depuis longtemps dans les quartiers populaires, elle est en train de devenir un système de gouvernement qui broiera aussi bien les grévistes d’Air France que les manifestantEs de la COP21.
L’UE se donne, elle, pour objectif de « déporter » 400 000 réfugiéEs arrivés depuis janvier. Alors le nouveau discours se met à tourner en boucle : il faut renforcer les frontières, accélérer les procédures avant expulsion, repousser les migrantEs. Et tout à coup, les moyens non disponibles pour l’accueil se mettent à exister : pour envoyer des flics dans les Balkans, affréter des avions, créer une nouvelle unité Frontex et des centres de tri dans les pays du sud...
La résistance concrète
Cette progression de la barbarie doit être combattue. Un campement est en train de se reconstituer, comme un défi, en plein centre de Paris, sur la place de la République, adossé aux tentes déjà présentes de plusieurs semaines du DAL, et lieu de rencontres des sans-papiers parisiens. Comme un symbole contre ceux qui voudraient opposer les migrantEs aux sans-abris, les réfugiéEs aux sans-papiers.
Après le succès de la manifestation du 4 octobre dernier, de nouvelles échéances vont être discutées. Et ce samedi a lieu à Paris la Marche de la dignité et contre le racisme.
Parce que la machine qui se met en place contre les migrantEs développe ses tentacules dans toute la France, la résistance concrète au côté des migrantEs, dans les centres d’hébergement qui deviennent centres de tri et dans les centres de rétention, peut s’organiser dans de plus en plus de villes et se coordonner avec les résistances à Calais, Paris, Menton et Marseille.
En lançant un défi aux frontières, les migrantEs imposent que se tissent des liens avec les mouvements de solidarité qui se développent en Angleterre, en Italie et dans les autres pays européens.
L’espoir contre la barbarie.
Denis Godard