Capitaines courage contre vague brune : les « affaires » Carola Rackete et Pia Klemp comme symboles de la nécessaire lutte contre les politiques criminelles des gouvernements de l’Union européenne.
Malgré la fermeture imposée par les autorités italiennes, malgré le rejet des recours auprès de la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme), malgré le silence de l’Union européenne et de ses États membres, malgré les risques très importants de poursuites qui l’attendaient à l’arrivée, après 17 jours d’errance avec 42 personnes exténuées à son bord, Carola Rackete, capitaine du Sea Watch 3 a pris la décision d’entrer dans les eaux italiennes afin d’accoster à Lampedusa et de débarquer les personnes secourues.
Capitaines courage
Une fois son bateau arraisonné, elle a été arrêtée par une vingtaine de policiers et assignée à résidence sur les ordres du fasciste italien Salvini. Cela avait déjà été le cas d’une autre capitaine, Pia Klemp, accusée elle aussi par la justice italienne d’aide à l’immigration clandestine et de complicité avec les « passeurs » alors qu’elle a sauvé plus d’un millier de vies en Méditerranée. Depuis, Carola a été relâchée, mais elle n’est pas tirée d’affaire puisqu’une enquête est menée. Les réactions de protestation et de solidarité avec les deux capitaines courage, dans toute l’Europe, ont certainement joué en leur faveur.
Ces événements dramatiques se répètent malheureusement : Sea Watch, Aquarius, Pro-Arms… nombreux sont les bateaux d’ONG à avoir été bloqués en mer et interdits d’accoster dans le port le plus proche, en violation complète du droit de la mer et des conventions internationales. Les attaques contre les ONG de sauvetage ne datent pas d’hier, mais ont été construites et renforcées durant plusieurs années, à coups de discours laissant sous-entendre un lien entre ONG et « passeurs », de législations de plus en plus répressives, d’indifférence généralisée face à la violation des droits des personnes exilées.
Une politique meurtrière et liberticide
Ces poursuites sont à remettre dans le contexte plus général de la construction d’une Europe forteresse empêchant l’accès au territoire européen : délivrance restrictive de visas, construction de murs, contrôle militarisé des frontières aériennes, terrestres et maritimes, renvois forcés dans les pays d’origine et sous-traitance du contrôle des migrations à des États peu ou pas du tout démocratiques, comme le Maroc, la Turquie et la Libye. Dans ce dernier pays, une guerre civile fait rage autour de Tripoli entre le Gouvernement d’union nationale (GNA) reconnu par l’ONU et les forces du maréchal Haftar. Des milliers de personnes migrantes enfermées dans les geôles libyennes se retrouvent en première ligne : le soir du 2 juillet, une attaque aérienne sur le camp de détention pour migrantEs de Tadjourah dans la banlieue est de la capitale libyenne a fait plus de 60 mortEs et 80 blesséEs.
L’extrême droite renforcée
Les partis d’extrême droite ou de droite extrême se renforcent en Europe. Là où ils sont au pouvoir, ils appliquent une politique drastique de fermeture des frontières, de traque des migrantEs ouvertement raciste. Mais ils agissent avec la complicité et l’accord des gouvernements et institutions européennes, à commencer par celle du gouvernement français. Calais, Vintimille, Mayotte… sont des terrains d’expérimentation des moyens policiers de surveillance et de répression. Cette guerre aux migrantEs n’empêche pas ces derniers de venir, mais les pousse à emprunter des voies de passage toujours plus dangereuses. Depuis 2000, plus de 50 000 personnes sont mortes aux frontières de l’Europe, en mer Méditerranée, devenue un immense cimetière marin, aux frontières terrestres de l’UE ou aux frontières des territoires ultra-marins.
Défendre la liberté d’installation et de circulation
Les premières victimes de cette politique sont bien sûr les migrantEs. Mais elle empoisonne l’ensemble des sociétés européennes en distillant la suspicion, le racisme, le rejet des étrangerEs, l’habitude de la répression, l’idée fausse et dangereuse qu’il n’y aurait pas de place pour tout le monde, autant de poisons qui nourrissent les fascismes de tout bord.
Nous ne pouvons compter ni sur les gouvernements en place ni sur les instances internationales pour contrer les logiques nationalistes nourries d’analyses erronées des questions migratoires, qui guident pourtant les politiques actuelles. L’alternative doit passer par la mobilisation massive des peuples à l’échelle mondiale. Il y a dans le monde de nombreuse personnes qui se lèvent, agissent pour défendre les droits humains. Cela montre que la bataille n’est pas perdue. Il va falloir continuer à la mener et l’amplifier malgré les vents mauvais, avec les premierEs concernéEs : les migrantEs. Il faut construire une vraie solidarité internationale pour la liberté de circulation et d’installation, seul moyen d’empêcher l’hécatombe des migrantEs, seule revendication qui permette réellement de faire respecter l’égalité des droits. Cela nécessite en même temps de se battre pour une juste répartition des richesses, pour que les richesses des pays pauvres ne continuent pas à être transférées vers les pays les plus riches. De la même façon, pour accueillir dignement les réfugiéEs, assurer une véritable égalité des droits, il faut dans notre propre pays lutter pour une répartition des richesses qui permettra d’avoir des logements, des hôpitaux, des écoles, des revenus suffisants pour toutes et tous.
Correspondante (Commission nationale immigration-antiracisme)