L’islamophobie en France n’est pas seulement un marronnier médiatique, c’est une discrimination qui progresse : la période des fêtes de fin d’année est traditionnellement le moment de sorties sur les prétendues « racines chrétiennes » de la France. Cette année, comme depuis plusieurs années, et malgré les décisions de justice récurrentes, la droite LR et l'extrême droite ont fait de l’installation de crèches catholiques, dans les mairies où ils sont élus, le drapeau de la guerre de civilisation islamophobe qu'ils entendent mener au nom des « valeurs chrétiennes » de la France. Une campagne raciste qui se fait en toute impunité car toutes les plaintes pour non respect de la loi de 1905 émanent essentiellement des associations démocratiques et jamais des représentants de l'État, les préfets, qui se cantonnent à un silence complice. Cette situation ne peut que renforcer la confiance de tous ces émules du « grand remplacement ».
« Des Bataclan à l’envers »
Ainsi, la période a également été l’occasion pour la revue de Michel Onfray, Front Populaire, qui se revendique « souverainiste » et qui est surtout réactionnaire, d’ouvrir ses pages à l’écrivain Michel Houellebecq, véritable gloire littéraire de la décennie dernière, pour un hors-série de fin d’année. Ses positionnements, sous couvert de fiction, sont ouvertement misogynes et racistes et s’inscrivent dans une longue tradition française d’une littérature d’opinion d’extrême droite, opposée à la modernité : son ouvrage Soumission, paru en 2015, se présentait nettement comme un scénario de politique-fiction islamophobe en multipliant les sorties les plus infamantes sur l’islam comme religion, sur les musulmans et les musulmanEs dans leurs pratiques, intentions et personnes.
Cette fois, ce n’est plus sous couvert d’une dissociation de son œuvre d’artiste et de ses positionnements en tant qu’homme que Michel Houellebecq s’est exprimé et a répété ces propos. Nous saluons en ce sens la démarche de la Grande Mosquée de Paris, et nous rappelons à travers cette démarche l’efficacité du CCIF et désormais du CCIE dans ces procédures, d’intenter un procès à Michel Houellebecq pour incitation à la haine, même si nous sommes convaincus que le terrain juridique ne doit pas être le seul lieu de la lutte contre l’islamophobie. Comme la Grande Mosquée et bien d’autres, nous sommes particulièrement outréEs par les propos suivants :
« Des gens s’arment. Ils se procurent des fusils, prennent des cours dans les stands de tir. Et ce ne sont pas des têtes brûlées. Quand des territoires entiers seront sous contrôle islamique, je pense que des actes de résistance auront lieu. Il y aura des attentats et des fusillades dans des mosquées, dans des cafés fréquentés par les musulmans, bref des Bataclan à l’envers. […] Le souhait de la population française de souche, comme on dit, ce n’est pas que les musulmans s’assimilent, mais qu’ils cessent de les voler et de les agresser. Ou bien, autre solution, qu’ils s’en aillent ».
Omniprésence et banalisation de l’islamophobie
Nous considérons cette publication comme le signe d’une aggravation de la pression subie par les musulmanEs et du déchaînement d’une parole raciste qui ne sévit plus seulement sur les plateaux télés, mais qui s’exprime de façon décomplexée également dans l’intelligentsia française. La polémique récente au sujet du propos de Jean-Claude Dassier, ancien directeur de la chaîne d’informations LCI (« Les musulmans, ils s’en foutent de la République, ils ne savent même pas ce que le mot veut dire. »), et qui n’a pas été contesté sur le plateau de CNEWS, souligne l’omniprésence de ce discours et sa banalisation. Nous réitérons notre solidarité à l’égard des musulmanEs discriminéEs et attaquéEs quotidiennement.
Nous affirmons l’urgence de la lutte antifasciste et antiraciste contre l’extrême droite et ses groupuscules armés, encouragés entre autres par Michel Houellebecq, alors qu’ils ont déjà manifesté leur brutalité lors de la coupe du monde de football par des ratonnades en marge des matchs de l’équipe marocaine.
Nous récusons l’opposition entre les « Français de souche » et les « Musulmans », d’une part parce qu’elle rappelle et réactive une nouvelle fois les catégories mobilisées par l’administration coloniale et que la persistance de ce vocabulaire est intolérable et d’autre part surtout parce qu’elle est le lieu d’une stratégie rhétorique qui cultive l’idée d’un « choc des civilisations » en réponse à une « islamisation » qui n’est que le nom pudique du « grand remplacement » théorisé par Renaud Camus à l’extrême droite.
Nous réaffirmons l’urgence d’une mobilisation active, qui intègre et dépasse les combats juridiques, contre l’islamophobie dans toutes les sphères de la société et nous sommes déterminéEs à participer à sa construction, avec toutes celles et tous ceux qui partagent la conscience de cette urgence.
Le 2 janvier 2023