Alors que les autorités françaises s’alignent sur les politiques des dirigeants de la droite extrême et de l’extrême droite européennes et qu’à gauche, la revendication de liberté de circulation et d’installation est mise à mal par les tentations souverainistes et chauvines, les initiatives se multiplient, aux quatre coins du pays, pour établir des solidarités concrètes avec les migrantEs.
Limoges : l’accueil des migrants passe par un toit !
Le collectif « Chabatz d’entrar » (« Finissez d’entrer ») regroupe depuis fin 2016 des individus, des associations, des syndicats et des partis politiques dont le NPA, avec comme volonté de promouvoir l’accueil des migrants pour la libre circulation de tous.
Une première victoire contre la Région
Le collectif s’est battu, non sans mal, pour qu’aucune famille ne soit à la rue l’hiver dernier, mais dès le mois d’avril, la préfecture remettait les gens dehors. Face à cette situation, et démuni de solution d’hébergement, le collectif décidait alors, le 11 mai, d’ouvrir aux migrantEs un grand bâtiment abandonné depuis près de 8 ans : l’ancien Centre régional de documentation pédagogique (CRDP) appartenant à la Région Nouvelle Aquitaine. L’eau a été rétablie, sur les 3 étages, les bureaux aménagés en chambres, les salles en cuisines collectives et « les robins des bois » de la CGT-EDF ont remis l’électricité. Une soixantaine de migrantEs et de sans-abris y ont trouvé un refuge qui leur permet de se ressourcer, mais aussi de s’organiser.
En juin, la Région a pris, dans un premier temps, contact avec le collectif, nous demandant « gentiment » de libérer ce lieu car soudainement, elle en avait besoin, assurant qu’elle mettrait en place un dispositif de relogement, mais uniquement pour les familles en situation régulière ! Dispositif qui n’a vu le jour que le 8 août mais, parallèlement, le 14 août, la Région déposait au tribunal administratif une requête en référé demandant l’expulsion des occupantEs. A alors débuté alors une campagne du collectif pour sensibiliser la population, relayée par les médias locaux.
Le 29 août, lors du jugement, 200 personnes se sont rassemblées devant le tribunal pour clamer leur indignation et, le lendemain, à notre grande joie... le tribunal a renvoyé la Région à ses chères études, estimant qu’elle n’apportait aucun élément valable sur l’urgence de l’expulsion !
Une petite victoire qu’habitantEs et collectif apprécient, tout en ayant conscience que la situation d’occupation est toujours précaire et que les difficultés sont toujours devant nous pour obtenir 200 places (besoins recensés) d’hébergement inconditionnel et pérenne sur Limoges.
Actions pour protéger les expulséEs
Ces derniers mois, les situations « Dublin » se multiplient, l’État choisissant plus systématiquement de refuser le dépôt du droit d’asile en France pour celles et ceux qui ont débarqué en Italie : AfghanEs, SoudanaisES, ÉrythréenEs. Les initiatives de défense se sont alors multipliées.
En juin 2018, un rassemblement au tribunal pour demander l’annulation de l’OQTF (obligation de quitter le territoire français) reçue par un jeune opposant soudanais a été l’occasion de dénoncer la situation dramatique du Soudan où sévit le dictateur Omar El-Béchir, poursuivi depuis 2008 par un mandat d’arrêt de la Cour pénale Internationale pour « génocide » et « crimes contre l’humanité ». Pourtant la France et l’Europe collaborent avec le Soudan en signant des « accords de coopération renforcée en matière de migration », avec versement d’aides !
En juillet, c’est pour protéger un jeune Soudanais que des habitantEs de Faux-la-Montagne (23) et des communes alentour se sont mobilisés à près de 150, devant la gendarmerie de Royère de Vassivière, pour empêcher son expulsion vers l’Italie, et à plus de 200 devant la gendarmerie de Felletin. Après avoir déployé 60 gendarmes, gazé les habitantEs de tous âges rassemblés en soutien, les autorités ont évacué le jeune Soudanais par un trou dans le grillage et l’ont transféré, ligoté, en centre de rétention. Finalement, il a pu échapper au retour en Italie, suite à un délai dépassé, et la préfète Magali Debatte a dû accepter qu’il dépose une demande d’asile en France.
En ce mois de septembre, c’est un autre jeune Soudanais qui a été convoqué à la gendarmerie de Guéret pour recevoir son avis de transfert vers l’Italie, avec le risque d’un renvoi au Soudan (ce qui veut dire la prison, la torture et/ou la mort). Plus de 200 soutiens se sont retrouvés pour demander à la préfète d’accorder la demande d’asile en France. Le jeune a été embarqué en direction d’un centre de rétention administratif en Essonne. Le soir, une centaine de soutiens regroupés dans la mairie de Guéret ont obtenu une entrevue à la préfecture, mais la délégation de 6 personnes (dont 2 maires), soutenue par une centaine de manifestants, s’est retrouvée face à un mur. Un ultime recours juridique a permis de libérer A., mais il reste soumis à un transfert vers l’Italie…
Au cours de ces 2 jours, nous étions plus d’une centaine de soutiens à nous retrouver pour réfléchir aux moyens de s’opposer à ces lois iniques (avec la nouvelle loi asile-immigration, refuser l’embarquement est désormais un délit et revenir en France après une expulsion peut valoir 3 ans de prison) : comment rendre plus efficaces ces résistances qui ont lieu dans de nombreux endroits, comment toucher plus largement la population contre laquelle ces lois liberticides et inhumaines ne manqueront pas de se retourner un jour ?
Le mouvement lyonnais de solidarité avec les migrants
Les choix politiques racistes, anti-migratoires et répressifs de la préfecture du Rhône, qui bafoue constamment le droit d’asile, et de la Métropole de Lyon présidée par LREM, qui développe l’externalisation de son service d’Aide sociale à l’enfance (décision initiale votée à l’unanimité, du PG au FN), ne permettent pas de mettre les moyens nécessaires à une politique d’accueil. Face à cette situation, il existe trois pôles de résistance militante dans l’agglomération lyonnaise.
Le réseau des squats
La majorité de la jeunesse solidaire des exiléEs s’investit dans l’occupation de bâtiments vides. Il en existe une dizaine dans l’agglomération, dont l’Amphi Z qui abrite 200 exiléEs. Ces lieux sont propices à l’auto-organisation. Au-delà de la gestion collective des aspects pratiques inhérents à la vie en commun, les demandeurEs d’asile s’organisent contre la préfecture et la Métropole, en animant rassemblements et manifestations sur leurs propres mots d’ordre. Le plus récurrent est la non application de la procédure Dublin. La préfecture ayant en effet le pouvoir discrétionnaire de faire passer les demandes d’asile de la procédure Dublin à la procédure normale, les dublinéEs, avec un ensemble de soutiens organisés, mettent régulièrement la pression sur l’État. Ce réseau d’occupations est le plus exposé à la violence des forces de l’ordre : les expulsions illégales de squats sur ordre de la Métropole sont permanentes, et font parfois des blesséEs. Mais à chaque fermeture d’un squat, les jeunes en ouvrent un autre. Il y a près de 25 000 logements vacants rien que dans la ville de Lyon : de quoi satisfaire largement les besoins primaires d’accueil. Pourtant, la Métropole a fait voter un plan de télésurveillance de ses bâtiments vides (caméras de surveillance et alarmes) pour un montant de... 1,8 million d’euros. Le gouvernement est sur le point de faire enregistrer la loi ELAN, dont l’article 58 ter criminalise les occupantEs sans titre. La guerre est permanente contre ces mouvements d’occupation qui, outre les questions d’hébergement, étendent leurs actions à l’aide aux inscriptions à l’université, contre les centres de rétention administrative, ou contre les expulsions en empêchant l’embarquement dans les avions. Des initiatives sont prises pour fédérer au niveau national l’ensemble des lieux d’occupation similaires.
Le collectif 69 de soutien aux réfugiéEs et migrantEs
Créé en 2015, il regroupe une trentaine d’organisations associatives, syndicales et politiques, ainsi qu’un collectif issu de squats. Ce collectif unitaire permet de mutualiser les informations et de coordonner les actions entreprises en solidarité avec les exiléEs dans le Rhône. Il dénonce la politique générale de contrôle des flux migratoires, combat les lois racistes et liberticides des gouvernements Hollande puis Macron, dénonce la politique irresponsable de la Métropole quant à l’hébergement et la (non)prise en charge des mineurEs isolés, organise réunions publiques, rassemblements et manifestations, et parvient à mettre en mouvement des syndiquéEs. Sa base politique est remarquable pour ce type de collectif large : refus du tri des immigréEs selon le pays d’origine ou les causes de leur exil, droit d’asile sans restriction, abrogation des accords de Dublin, des papiers pour touTEs, abrogation de Frontex, abrogation des lois qui entravent la liberté de circulation et permettent de multiplier les expulsions, fermeture des centres de rétention administrative, exigence de budgets consacrés à l’accueil et non à la chasse aux migrantEs, liberté de circulation et d’installation, prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance de touTEs les mineurEs isolés étrangers et scolarisation de tous, droit au travail et au logement pour touTEs. Ses initiatives sont particulièrement bien suivies, avec des réunions publiques de plus de 500 personnes, des manifestations à 1500. Si ce collectif entretient des liens étroits avec le réseau des squats, sa stabilité est régulièrement mise à l’épreuve du fait de la tentation, pour certaines associations, de l’accompagnement de la Métropole. Davantage que le réseau des squats, il attache une importance cruciale à se tourner vers les travailleurEs.
Le réseau des associations (plus ou moins) institutionnelles
C’est sans aucun doute le pôle de résistance qui brasse le plus de monde, mais aussi le plus hétérogène. Sur une orientation humanitaire, les bonnes volontés s’activent quotidiennement pour venir en aide matérielle aux exiléEs : mise en place de distributions de repas, hébergement chez des personnes, soutien juridique, administratif, psychologique, sanitaire, etc. Un réseau impliquant des enseignantEs et des parents d’élèves s’active par exemple sur un nombre important d’établissements scolaires de l’agglomération pour répondre aux besoins d’urgence des enfants sans toit. Les associations de quartiers se sont multipliées depuis 2015, témoignant d’un réel souci de solidarité de la population. La plupart des associations ont pris part aux États généraux des Migrations pour tenter d’infléchir la loi asile-immigration. Si elles produisent un ensemble de documentations absolument cruciales pour se faire une idée précise de la situation, beaucoup de ces associations ont une phobie de l’engagement politique qui les conduit à accepter le principe de la gestion des flux migratoires et les oriente vers des stratégies quelque peu éloignées des deux autres pôles : frilosité à mobiliser dans la rue, propension à espérer influencer les éluEs par pétitions ou lettres, revendications d’accompagnement de la Métropole qui satisfont les intérêts macronistes par le développement du bénévolat au détriment de la création de postes de travailleurEs sociaux, etc. Ces énergies sont toutefois réelles et il ne tient qu’à nous de les orienter sur le terrain de l’opposition à toute politique de contrôle des flux migratoires, en massifiant les mobilisations de rue, sur fond d’auto-organisation des exiléEs.
Ouistreham (Calvados) : la solidarité en actions
Ouistreham, petite ville normande du Calvados, a vu arriver une centaine de migrantEs suite au démantèlement de la « jungle » de Calais et de Grande-Synthe. Ce petit port transmanche, avec deux départs de ferry quotidiens, ne permet qu’à quelques personnes de traverser la Manche chaque semaine. Le maire LR de la ville, Romain Bail, a essayé par tous les moyens de déloger les migrants qui étaient arrivés dans le port. Son attitude a indigné nombre d’habitantEs, qui ont mis en place un Collectif d’aide aux migrants (Camo) l’été dernier.
L’attitude scandaleuse du maire
Refus d’ouvrir gymnase ou abri quelconque pour les migrants, discours alarmants sur le climat d’insécurité, fermeture des toilettes publiques, appel aux forces de l’ordre pour démanteler un squat, duvets et affaires des réfugiés brûlés : voilà la politique du maire. Et c’est en s’appuyant sur un décret affirmant que les objets abandonnés sur la voie publique doivent être évacués qu’il fait enlever les tentes, duvets et couvertures utilisés par les migrantEs ! Les objets sont ensuite mis à la décharge avant d’être brûlés, après des saisies opérées au moment où les affaires restent sans surveillance lorsque les migrantEs essaient de monter à bord des camions. Ainsi, en mars dernier, des bénévoles du Camo ont dû retirer rapidement tentes et duvets servant à abriter les réfugiés avant que les policiers municipaux et gendarmes ne les brûlent. Dernier fait de bravoure des flics : les 19 et 20 septembre, ils ont gazé des migrants, dont un jeune de 14 ans, qui a été retrouvé inanimé et est revenu difficilement à lui à l’arrivée des secours appelés par les bénévoles.
Les migrants d’Ouistreham sont souvent mineurs, exclusivement des hommes, venant principalement du Soudan. L’incendie d’un squat situé à Caen, situé à 14 kilomètres de là, a récemment fait venir les dizaines de personnes qui y étaient hébergées.
Devant le refus du maire de Ouistreham d’ouvrir quelque lieu que ce soit, le maire d’une commune voisine de 6 kilomètres, Colleville-Montgomery, a ouvert en février les portes du gymnase municipal pour les accueillir. Des bénévoles ont transporté les migrants sur ces quelques kilomètres.
Les actions du collectif
Dans ces conditions, des habitantEs se sont organisés depuis une année. Le Camo s’est associé à plusieurs manifestations. Celle d’octobre 2017 a réuni près d’un millier de personnes à Ouistreham, pour réclamer un abri décent pour la centaine de migrants qui dorment dehors tous les soirs. Nous dénonçons également le harcèlement dont les réfugiés sont victimes. Une vingtaine d’associations et d’organisations étaient signataires de l’appel, dont Médecins du monde Normandie ou le Planning familial 14, en plus du collectif d’aide aux migrants de Ouistreham. Ils réagissaient aussi aux déclarations du préfet vantant « l’accueil exemplaire de l’État ».
Devant l’étendue des besoins, des déclinaisons du collectif ont vu le jour. En juin, le collectif comptait déjà 150 bénévoles, structuré en différents secteurs : Camo repas, Camo dodo (pour l’hébergement par des bénévoles pendant quelques jours), Camo vêtements, Camo collation, Camo coiffure, et Camo santé, avec le prêt d’une ancienne ambulance par un collectif d’aide aux migrantEs de Dieppe. Le dernier en date est le Camo douche. Il y a aussi le Moca (Mouvement ouistrehamais de collecte associative, qui a pour objet d’organiser la collecte matérielle et financière. Il s’agit d’aider les bénévoles, qui souvent préparent les repas sur leurs propres deniers.
À l’approche de l’été, la politique municipale s’est durcie : il ne fallait pas que ces campements soient visibles par les touristes. Les gendarmes sont alors venus évacuer les lieux jusqu’à quatre fois par semaine. Selon France terre d’asile, des policiers sont venus « trier » les migrants, en organisant une file pour les plus âgés et une autre pour ceux qui paraissaient plus jeunes. Sept personnes ont été envoyées au CHU de Caen pour procéder à des tests osseux : radio des poignets, des dents et du crâne, sans autorisation d’un juge, ce qui est illégal.
L’extrême droite, par l’intermédiaire d’un groupe, le Parti de la France, créé par Carl Lang, ancien bras droit de Le Pen, a bien essayé d’organiser des contre-manifestations, qui ont été un fiasco : la première en février a regroupé une quarantaine de militants d’extrême droite, contre plus de 300 contre-manifestantEs, et leur prise de parole a été couverte par l’Internationale. La deuxième était prévue pour juin, mais devant l’appel à contre-manifester, elle n’a pas eu lieu…
Briançon : les chercheurs et chercheuses de paix
À Briançon, l’arrivée régulière de migrantEs, à 90 % venus d’Afrique de l’ouest (essentiellement francophone) se développe depuis des années. La plupart se présentaient à Vintimille, dans le sud-est, mais a fermeture de cette frontière au printemps 2017 a provoqué la montée d’un bon nombre de ces migrantEs vers le passage du Montgenèvre vers Briançon, puis vers le col de l’Échelle voisin.
MigrantEs traqués
Depuis juin 2017, des dizaines de migrantEs arrivent quotidiennement à Briançon avec l’intention de chercher du travail en Europe. 5000 sont passés au « refuge solidaire », ouvert en juillet 2017, dont le but affirmé est d’être « un hébergement d’urgence [qui] permet aux migrants de se reposer, de se nourrir, de bénéficier de soins, et d’une écoute, pour qu’ils puissent ensuite continuer leur parcours ». Parmi eux, 90 % viennent d’Afrique de l’ouest, dont la moitié de Guinée Conakry, avec au total 50 % de mineurEs. Théoriquement, la procédure Schengen 2 leur impose de faire leur demande d’asile, politique ou économique, dans le premier pays d’Europe où leurs empreintes ont été prises, en général l’Italie, mais l’administration italienne est débordée (et maintenant quasiment opposée à enregistrer les demandes), et ces migrantsE poursuivent jusqu’en France avec le désir de gagner un autre pays d’Europe.
Le contrôle aux frontières des personnes à la peau noire contraint celles-ci à mettre leurs vies en danger pour éviter les refoulements quasi systématiques. Pour appliquer les consignes de la préfecture et du ministère, la police et la gendarmerie traquent les exiléEs aux frontières, dans la montagne, jusqu’à provoquer des blesséEs et des mortEs, comme Blessing Matthew le 7 mai 2018. Comme l’attestent de nombreux témoignages, certains policiers poursuivent, piègent, giflent, déshabillent, volent et menacent à l’arme à feu des personnes, en toute impunité dans l’invisibilité de la montagne.
Solidarité criminalisée
Dans le même temps la fraternité pratiquée par ceux qui refusent cette mise en danger des personnes est passible d’une accusation de trafic d’êtres humains, alors qu’ils cherchent à prévenir les risques mortels en montagne, en accord avec les droits et les libertés fondamentales.
Le 21 avril 2018, un groupuscule suprémaciste identitaire a installé une pseudo-frontière au col de l’Échelle en y transportant une cabane par hélicoptère et en y manifestant devant les médias convoqués pour l’occasion. Ce groupe n’a pas été inquiété par la police. Le lendemain, 22 avril, notre marche de la solidarité pacifique en réaction à ces nervis racistes a réuni des centaines de personnes. Mais cette fois, quatre des personnes ayant participé ont été convoquées le 17 juillet pour une garde à vue au motif « d’aide à l’entrée d’étrangers en situation irrégulière sur le territoire français, en bande organisée ». Deux poids deux mesures ! Une procédure qui s’inscrit dans le cadre de l’enquête ouverte lors du procès des « 3 de Briançon », convoqués au tribunal au mois de mai pour avoir « facilité ou tenté de faciliter l’entrée irrégulière en France », et dont le procès a été reporté au 8 novembre à Gap.
Tout cela vient à la suite des nombreuses pressions, intimidations, convocations en « audition libre », harcèlement téléphoniques, surveillances de domiciles, etc. que subissent depuis des mois les personnes solidaires ou bénévoles dans les refuges de toute la région.
À Nantes, une dimension militante novatrice
Les actions en faveur des migrantEs ont une longue histoire à Nantes, mais l’expulsion, à la rentrée 2017 des anciens locaux des Beaux-Arts, a non seulement favorisé une exposition au grand jour d’une situation humanitaire infernale, mais aussi de nouvelles pratiques, de nouveaux réseaux qui sont venus se superposer aux solidarités plus anciennes du tissu associatif. Centrée au départ sur l’occupation de lieux, la lutte des migrants et de leurs soutiens a vite intégré toutes les dimensions nécessaires à leur installation.
Main de fer contre mains tendues
Trois moments clé ont donné à la lutte une image particulière, mêlant occupations, activités de soutien et expulsions. L’occupation du campus a rendu visible la question et a permis que s’agglomèrent de nouveaux soutiens, dans la jeunesse et les milieux syndicaux. Suite à l’expulsion après un trimestre d’occupation des locaux universitaires de la Censive, un ancien Ehpad était occupé.
Les migrants passent alors d’un effectif de deux petites centaines a près de 600, en partie issus d’Afrique francophone. Si la vie à Brea, ce nouveau lieu occupé, connaît une vie intense et organisée les premières semaines, l’expérience s’est effondrée face à la répression et aux limites logistiques et humaines. L’échec de l’occupation d’un ancien lycée professionnel, près du quartier Chantiers Navals, a clos provisoirement le cycle des occupations, après une douzaine d’expulsions. Ce qui a provoqué un regroupement de migrantEs avec des tentes au square Daviais, en plein centre-ville à l’été 2018. S’est regroupée en ce lieu une deuxième vague de migrantEs, SoudanaisES du Darfour et ÉrythréenEs en majorité. Le 20 septembre, suite à une injonction suscitée par la Mairie, 698 migrantEs ont été délogés et transportés, dans des bus municipaux avec des chauffeurs réquisitionnés, vers cinq gymnases. Pour être triés pendant dix jours au mépris de leurs droits élémentaires de demande du droit d’asile, séparés de leurs soutiens, et finalement répartis dans des petites communes. Ces centres de tri donnent le ton, et la mise en scène de divergences entre la maire Rolland (socialiste) et la préfète de choc Klein ne masquent pas de vraies convergences : pour les représentants de l’État et les responsables politiques locaux, Nantes n’est pas une ville d’accueil.
Partir de rien, tout construire
Pourtant, ici comme ailleurs, une ville ne résume pas à ses institutions. À partir de presque rien, des initiatives se sont construites, très souvent spontanées. Ainsi près de 200 familles hébergent des migrantEs, tandis que des habitantsE du quartier ont apporté de l’aide, de la nourriture, des vêtements. Parmi ces expériences, certaines impriment un caractère novateur. La rencontre, en effet, entre des équipes militantes et ces solidarités spontanées a permis de reconstruire des espaces abandonnés par les politiques publiques. D’un côté le courant autonome a poursuivi sa tradition d’occupation de lieux, en y ajoutant, en plus des activités de défense, de soutien, et d’inscriptions de jeunes dans des lycées, la mise en place d’un lieu de restauration autogérée, « l’Autre cantine ». Avec les bonnes volontés, dépassant largement leur réseau, cette initiative peut fournir jusqu’à 500 couverts par jour.
Pour notre part, dans le collectif des sans-papiers de Nantes (Cspn), nous avons mené le travail dans trois directions : l’éducation, la santé et l’auto-organisation. Avec le soutien d’enseignantEs, quatorze migrants ont pu être inscrits à l’université avec un logement ; une équipe d’enseignantEs a assuré des cours dans les lieux occupés, et c’est avec surprise que l’on a vu des lycées catholiques accueillir, en filières générale et professionnelle, des jeunes parfois majeurs. En outre, une équipe de médecins, composée désormais d’une quinzaine de personnes, a pu être constituée : dentistes, généralistes, psychiatres… assurent des permanences santé qui ne désemplissent pas. Des cabinets sont prêtés pour les opérations importantes, des pharmaciens ont utilisé leurs stocks, et l’expérience fait discuter dans un milieu pas toujours ouvert à la dimension sociale. Un succès qui amène des surprises, puisque les urgences nous envoient des patients…
Enfin, le point le plus difficile est de faire s’orienter ces solidarités vers le politique, et plus largement de développer l’activité propre des migrantEs. Une réussite fut le meeting destiné à présenter, par leur propres interventions, le sort des migrantEs, au public nantais : avec le soutien de tout l’arc syndical, 170 personnes, dont près de 50 migrants, se sont retrouvées, ce qui a permis de consolider des liens et d’élargir les soutiens. Au point de provoquer des collaborations inédites entre le Cspn, Rahim – une association de quartier de femmes musulmanes –, et la Maison du pain, association chrétienne africaine qui organise des collectes importantes de nourriture auprès de son réseau de petits commerçants.
Les difficultés sont nombreuses, et les tensions entre collectifs ne sont pas rares, tant sur les choix tactiques que sur les modes d’action. Mais la présence de ces nouvelles disponibilités militantes oblige souvent les équipes à plus de responsabilités. À contre-courant, et avec toute cette urgence, c’est un appel d’air encourageant.
Par nos correspondants