Publié le Dimanche 16 décembre 2012 à 10h33.

Dossier : Immigration et racisme : La continuité c'est maintenant !

En temps « normal », la gauche gestionnaire préserve et défend les reculs imposés par la droite et distille quelques gouttes progressistes. En temps de crise, cette même gauche approfondit ces reculs. De manière directe en poursuivant la casse de tous les acquis sociaux et des service publics. De manière indirecte par son suivisme, son immobilisme ou son attentisme sur les questions sécuritaires, « sociétales » et migratoires. En clair, dans la conjoncture : à programme minimum, recul maximum !Au fil des semaines, la politique du gouvernement social (un peu) – libéral (à la folie) se configure. Et cette politique n’étant pas dépourvue de cohérence, les politiques migratoires et sécuritaires qui sont indissociables de sa ligne générale y tiennent toute leur place. Il s’agit d’une politique de centre droit : la droite « classique » glissant vers la droite extrême, cet espace est désormais disponible avec, pour feuille de route, une méthode – qui se veut soft – de préservation des rapports de domination, notamment de classe et de race, qui structurent notre société. Donc, une seule solution : la continuation ! À tous les étages. Dossier réalisé par la commission migrations-antiracisme du NPA

Inventaire de la continuitéContinuation dans les politiques d’expulsion, avec, dans la ligne de mire les Roms qui représentent un maillon faible en terme de possibles réflexes antiracistes de la population : s’acharner lâchement sur eux conduit à légitimer les descentes sauvages sur les camps par des fractions de la population.Continuation dans une politique de régularisation des sans papiers au compte-gouttes avec reprise ou invention de nouveaux critères qui, en dépit des belles paroles, continuent à faire la part belle à l’arbitraire préfectoral, tels que la « maîtrise orale élémentaire de la langue française » (!), et des taxes toujours exorbitantes (y compris pour le simple dépôt d’un dossier, sans garantie pour l’avenir).Continuation dans la fourniture aux patrons d’une main-d’œuvre privée des moyens de défendre ses droits sur le marché du travail (dans la restauration, l’agriculture, le bâtiment,  tous les secteurs de l’intérim et les services à la personne où de très nombreuses femmes employées au noir sont surexploitées), situation appelée à perdurer quand on ne sort de l’irrégularité que pour arracher un titre de séjour précaire.Continuation dans la part prise à la politique de fermeture des frontières de l’Union européenne, responsable de milliers de morts.   Continuation dans les discriminations tous azimuts, notamment pour l’accès à l’emploi et au logement qu’encourage la perpétuation, voire l’entretien (par certaines déclarations du ministre de l’Intérieur en particulier) d’un sale climat dans lequel pratique et propos xénophobes et racistes tendent à se banaliser.Continuation dans les provocations constantes à l’encontre des habitants des quartiers populaires, qui, des contrôles au faciès incessants aux poursuites en bagnoles en passant par l’usage du Taser et par les tabassages se concluent trop souvent par des meurtres.Continuation dans la désignation, par un silence coupable et complice, voire par des déclarations inconsidérées et propres à inspirer tous les amalgames, de la fraction musulmane de la population (française ou non) à la vindicte publique. Continuation d’une politique coloniale : révision a minima du passé colonial, traitements discriminants dans les DOM-TOM (avec mention spéciale à Mayotte), ghettoïsation des quartiers populaires (indigènes intérieurs), risque d’intervention imminente au Mali, complaisance affichée à l’égard du super-État colonial d’Israël.Continuation dans le suivisme à l’égard de ce que « l’opinion », toujours conçue comme irrémédiablement conservatrice, est supposée penser, d’où le refus de toute confrontation idéologique avec les réactionnaires ou les conservateurs : la notion d’égalité des droits est ainsi passée par pertes et profits, qu’il s’agisse de la débandade sur le droit de vote ou des premiers signes de recul sur le mariage gay.Face à une telle politique, nous ne pouvons nous contenter d’avoir contribué à virer Sarkozy et sa bande. Nous ne pouvons avoir qu’une réponse : résistance ! Pour des internationalistes et anticapitalistes conséquents, le double front de la libre circulation et de l’égalité des droits est capital. Ce terrain est aussi celui sur lequel une réelle opposition de gauche au gouvernement est à même de se constituer et de se conforter.C’est ce que nous devrons démontrer en donnant le maximum de puissance et de visibilité à la journée internationale pour les droits des migrants du 18 décembre où, deux jours après la mobilisation en faveur du mariage homosexuel, le mouvement antiraciste doit faire apparaître l’étendue de l’arc de forces qu’il rassemble.Droit de vote des étrangers : est-ce trop demander ?«J’ai dit au gouvernement, aux responsables de groupes (parlementaires) de travailler pour constituer une majorité. Quand cette majorité sera envisagée, je prendrai mes responsabilités. Mais pas avant ». De quoi parle François Hollande, au juste ? Du droit de vote des étrangers extra-communautaires. On peut admirer la force de conviction (et la sophistique) d’un président socialiste fraîchement élu : en bon gestionnaire politicien de l’ordre existant, il veut être certain de réussir avant de se lancer dans la bataille.Succession de reculC’était pourtant un engagement du candidat Hollande. Mais en terme de promesses non tenues, sur ce thème, il a de qui tenir ! Déjà François Mitterrand n’avait pas tenu parole en 1981, puis rebelote en 1988. Soi-disant, « l’état des mœurs ne le permettait pas. ». Et en 2000, Lionel Jospin abdique encore, aux portes du Sénat.Le PS affiche sur les questions sécuritaires et migratoires, comme sur tant d’autres, une évolution lente et inexorable depuis 1981 : en dépit de l’évocation persistante de la « Patrie des Droits de l’homme » c’est, dans les actes, la copie mal dissimulée de la droite, et parfois la surenchère, qui l’emportent. À tel point que l’« affichage de gauche » a aujourd’hui presque disparu. Quant à la référence à l’apport bénéfique des immigrés à la Nation (la leur), elle renvoie trivialement… à la possibilité d’obtenir une main-d’œuvre corvéable à merci.Trop occupée à interpréter, comme pour le mariage homo, ce qu’ils veulent comprendre de l’état des mœurs ; inquiète face aux retombées électorales consécutives à l’intégration d’un nouveau groupe au corps électoral (c’était un des arguments contre le droit de vote des femmes) ; tétanisée face aux prévisibles contre-attaques de la droite, la gauche de gouvernement recule devant l’ouverture d’un large débat public.En baissant les armes sur cette réforme, elle renonce à s’opposer frontalement à l’intensification des campagnes racistes et xénophobes et à leurs effets. C’est le choix de la lâcheté et de la désertion. On vit ici, on vote ici !Comment un pays peut-il se prétendre démocratique quand il restreint autant le corps électoral, s’oppose aussi clairement à l’implication de tous les résidents dans la vie de la cité ? Il y a ceux qui participent, qui peuvent décider, prendre part aux décisions… et il y a les laissés pour compte, les sous-citoyens. Le NPA demande le droit de vote et d’éligibilité des étrangers extra-communautaires à toutes les élections. C’est une exigence essentielle, une étape vers l’égalité des droits sociaux et politiques pour tous, dans un monde sans frontières où la liberté de circulation et d’installation serait la norme. Car c’est toute la société qui est concernée ! Celle à qui l’on fait croire qu’elle est intégralement représentée… alors que c’est une infime minorité qui se représente elle-même et dirige pour son camp social.Rappelons par principe à la bourgeoisie, et n’oublions pas non plus de notre côté, ce que disait la Constitution de 1793 : « Tout étranger de vingt et un ans, qui, domicilié en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard, est admis à l’exercice des Droits de citoyen français »...Devoir d’insolence antiraciste : ce n’est qu’un début !Le score inquiétant du Front national aux dernières présidentielles, la récurrence de leur thèmes repris par l’ensemble du spectre politique institutionnel et républicain renforcent l’avancée du racisme et de l’islamophobie. Cet effet est amplifié par les sempiternels « buzz » médiatiques. En caricaturant légèrement, la République serait en proie à des ennemis internes, musulmans vivant en banlieue : ils voleraient des pains au chocolat tout en brandissant le Saint Coran pour convertir tous les pauvres. Cette mystification des musulmans est allée jusqu’à interdire le droit de manifester. Le retour des « classes dangereuses »Cet acquis des mouvements sociaux, remis en cause sans objections, a de quoi nous inquiéter. Car entre-temps, les fachos occupent le devant de la scène. La mise en avant de ces thèmes ont des effets réels. Ils entérinent des choix politiques : en France, il existe effectivement des zones de non-droit, un traitement inégal et systématique des Roms, arabes, noirs, asiatiques, et musulmans, plus ou moins amalgamés dans les fameuses « classes dangereuses ». On aurait pu penser que la reconnaissance à demi-mots des crimes d’état du 17 octobre 1961 par Hollande serait signe de quelques restes des timides engagements du PS contre le racisme. Or, le même jour, une plainte déposée par l’AGRIF (association dirigée par des anciens membres de l’OAS et proches du FN)  a été reçue, contre le sociologue Saïd Bouamama et le chanteur Saïdou du groupe Zone d’expression populaire, au motif du racisme anti-blanc et autres atteintes à des valeurs nationalistes. Plutôt à l’intégrité coloniale de la France ? L’AGRIF s’est contentée d’appuyer et de mettre en œuvre tout le discours selon lequel il existerait un « racisme anti-blanc ». On atteint des sommets d’absurdité car c’est aux victimes du racisme que serait imputé le racisme. L’objectif est également d’effacer les politiques d’État qui le structurent, et de solidifier un camp idéologique pour faire face à la crise économique.Construire des campagnes antiracistesLes offensives répétées contre les militants du camp anti-raciste font de cette plainte, encore une fois, un acte hautement politique. Elles perpétuent le négation des crimes policiers dont le récent non lieu des policiers responsables de la mort de Mohamed Boukrourou. La campagne Devoir d’insolence a pour objectif de coordonner toutes les initiatives de quartier, de comités antiracistes existant en France pour impulser une réponse unifiée à l’échelle nationale. Être à la hauteur des enjeux veut dire : 100 comités, 100 000 signatures, un maximum de concerts et de manifestations diverses. Localement, des comités se mettent en place, à Lille, Paris, Toulouse, dans le Gers. De même, la campagne du Collectif contre l’islamophobie en France : distributions de pains au chocolat, campagne d’affichage et réunions publiques sur toute la France montre que la volonté de s’organiser et de résister existe déjà.Nous avons là des outils militants sur lesquels nous appuyer pour répondre à l’offensive idéologique. Un site internet existe (www.devoirdinsolence.fr ) et fournit à la fois du matériel de diffusion, et de réflexion : textes, extraits du livre « Nique la France », pétition, etc. Renforcer notre camp passe par la prise en compte en son cœur des problématiques antiracistes. En ces temps de crise et de montée des idées d’extrême droite, le temps nous est compté, à nous de renverser la tendance !Discours du Front national : (Dés)articulations du social et du racialIl y a quelques semaines, un rapport de l’INSEE soulignait : « quand l’origine sociale, le niveau de diplôme des parents, la structure familiale et la taille de la fratrie sont pris en compte, la réussite dans le secondaire des enfants d’immigrés n’est pas moins bonne que celle des descendants de natifs ». Le communiqué du FN, consécutif à la publication de ce rapport, s’appuyait alors sur cette phrase pour déclarer : « ce rapport indique que la discrimination liée aux origines sociales reste une réalité. Or, c’est précisément de celle-là dont on ne parle jamais ! ». Et de conclure : « Le Front national considère que la lutte contre les discriminations dont les Français les plus modestes sont les victimes doit être une priorité politique ».Démagogie sociale, politique racistePremière étape de l’entourloupe : à partir d’une phrase battant en brèche les préjugés relatifs aux « origines » et ramenant les difficultés des enfants d’immigrés sur le terrain social, le FN prétend quitter le terrain racial pour le terrain social. Deuxième étape de l’entourloupe, le sophisme : si à niveau social égal, blancs et non-blancs réussissent de la même manière… c’est que l’on favorise les non blancs. Il existerait donc une sorte de negative action… autrement dit un racisme anti-blanc. Ainsi, si un blanc chôme ou se voit confié les pires travaux, ce n’est donc pas en raison de son niveau social et de la crise… mais parce qu’un arabe, de même niveau social, lui a pris sa place. Immigration = chômage. La vieille équation.C’est ce type de discours qui a plus ou moins été tenu entre le congrès de succession en janvier 2011 et les premiers temps de la campagne présidentielle : une démagogie sociale superficielle, confusionniste et crypto-raciste. Mais la campagne s’approfondissant, coincée entre Mélenchon euphorique et Sarkozy prêt à tout, le ton se durcit. S’en suivirent alors quelques semaines d’un véritable vomissement digne des années 30. Dévoiler l’impostureNous tenons là les deux variantes de discours actuel du FN, qui alternent et cohabitent en fonction des besoins. D’un côté des arguties confusionnistes, à l’image de ce rapport de l’INSEE instrumentalisé. Dans ce cas, le racial se mêle au social, mais ni l’un ni l’autre ne ressort vraiment. Le travail est ici insidieux, presque subliminal. On ratisse large et lentement. De l’autre, des bouffées rouge-brunes, à l’image des derniers discours de campagne. Dans ce cas, la démagogie sociale se radicalise, prend des formes anti-système, mais se dissocie du discours racial qui se radicalise aussi, dans les formes paranoïaques bien connues (envahissement, terrorisme, etc). C’est que la « juiverie internationale » n’est plus là pour faire le lien entre la crise et le racisme. Le travail est alors édifiant, saisissant, excitant. Après avoir ratissé, on ramasse. Au delà des réponses stratégiques et des mobilisations concrètes, comment contrer ces deux variantes du discours du FN ?Contre les arguties, il faut délier crise et immigration, dévoiler le racisme sous-jacent, la fausseté de l’engagement social du FN et discréditer en bloc la vacuité de ses prétendues réponses économiques, sans se laisser piéger dans une argumentation technique qui ferait de lui un interlocuteur respectable.Contre les bouffées rouges-brunes, il faut dénoncer le FN comme un parti du système capitaliste, et s’appuyer sur ses délires racistes pour rappeler qu’il reste pour l’instant le parti de l’extrême droite, loin de la respectabilité qu’il se construit, et toujours nostalgique des pires régimes…