Publié le Mardi 24 septembre 2019 à 11h05.

Immigration : L’Aide médicale d’État attaquée

Le gouvernement a chargé des inspecteurs de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales ) et de l’IGF (Inspection générale des finances ) d’une mission proposant une remise en cause de l’Aide médicale d’État (AME). Leurs propositions seront discutées dans le cadre du débat sur l’immigration à partir du 30 septembre au Parlement. 

Macron s’était pourtant engagé à ne pas toucher à l’AME. Les temps ont changé : « En prétendant être humaniste on est parfois trop laxiste », vient-il de déclarer en draguant sur les terres de la droite et du Rassemblement national.

L’AME, instaurée en 1999, est une couverture maladie destinée aux seulEs étrangerEs en situation irrégulière. Ils et elles doivent, pour en bénéficier, justifier d’au moins 3 mois en France, et avoir un revenu inférieur à 746 euros par mois. Ils sont actuellement 300 000 à en bénéficier. Mais la démarche administrative est complexe, et rassembler les documents nécessaires est un véritable parcours du combattant, qu’il faut renouveler chaque année.  Les ruptures de droits sont alors fréquentes, avec des conséquences délétères sur la santé.

Les remises en cause envisagées semblent être de tris ordres : instauration d’un ticket modérateur, réduction du panier de soins et création de centres de soins dédiés aux sans papiers. 

Vers un renoncement au soin

L’attaque financière n’est pas une nouveauté : déjà en 2002, une 1ère tentative de mettre en place un ticket modérateur n’avait pas abouti ; en 2011, Sarkozy instaurait une franchise annuelle de 30 euros, abandonnée en 2012 ; en juin 2018, la droite propose, sans succès, un vote au Sénat pour limiter l’AME aux soins urgents.

L’argument toujours avancé est le coût de l’AME : 943 millions, soit 0,5% des dépenses de l’assurance maladie. À titre de comparaison, les seuls dépassements d’honoraires étaient de 3 milliards en 2017…

Touts pénalisation financière aboutira inexorablement à des retards et à des renoncements aux soins pour des personnes en très grande précarité, vivant dans des conditions indignes et dont la priorité n’est déjà pas la santé, mais la survie au jour le jour. En les éloignant encore un peu plus du soin, ils présenteront des pathologies plus avancées avec des complications… qui coûteront toujours plus cher à la collectivité.

La limitation annoncée du panier de soins est tout aussi inquiétante, tant du point de vue de la santé individuelle que de la santé publique. Le panier de soins actuel garanti aux bénéficiaires de l’AME est déjà plus réduit que celui des bénéficiaires de la CMU-C, notamment pour les prothèses dentaires et les lunettes, mais aussi pour l’accès à des actes et des campagnes de prévention. Mais la restriction évoquée concernerait les soins psychiatriques ! Les conséquences seraient désastreuses : les sans-papiers et les migrantEs présentent touTEs, à des degrés divers, des signes de souffrance psychique. Ils et elles ont vécu un triple traumatisme : celui de l’exil, celui du long et douloureux trajet migratoire et celui des conditions de vie inhumaines chez nous. Les priver d’une écoute et de soins psys est une faute majeure…

Aberration médicale, faute éthique

Des centres de soins pour les sans-papiers ? Il s’agit là clairement de ficher, de contrôler,

de préparer l’expulsion et l’éloignement de « l’indésirable », avec le ministère de l’intérieur qui est à la manœuvre. Cela rappelle la réforme du Droit au séjour pour raisons médicales (DASEM) qui peut accorder à des étrangerEs malades un titre de séjour si, dans leur pays, ils n’ont pas accès à des soins vitaux. Depuis une loi de 2016, l’évaluation médicale de la demande qui relevait des ARS rattachées au ministère de la Santé a été transféré aux médecins du pôle santé de l’OFII, sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. Conséquence : dès 2017, le taux d’avis favorable avait chuté de 25%, avec des centaines de personnes atteintes de troubles psychiques et de maladies graves dont la protection juridique a été supprimée et la continuité des soins menacée.

Au total, restreindre l’AME est une aberration médicale, un non-sens économique et une faute éthique. Contrer les attaques à venir est une nécessité. Garantir et pérenniser un accès à la santé égal pour touTEs, quel que soit le statut lié au séjour, justifie d’intégrer l’AME dans la couverture médicale universelle. Une seule carte vitale pour touTEs mettrait à l’abri des remises en question récurrentes de l’AME.

C’est possible : le gouvernement espagnol a intégré, en juin 2018, les soins des sans-papiers dans le régime de couverture maladie universelle.

Chistian Bensimon