Caroline Izambert, enseignante en histoire-géographie au lycée Jean-Rostand à Villepinte (Seine-Saint-Denis), fait partie du collectif Cette France-là1. Elle participe à la publication d’annales sur le traitement réservé aux étrangers en France. Nous enseignons dans le même lycée de Villepinte. Peux-tu raconter ce dont nous avons été témoins avec d’autres collègues, le 5 janvier 2009 ?En rentrant de notre établissement, à la gare RER de Sevran-Beaudottes, nous avons assisté à un contrôle d’identité au cours duquel des policiers ont fait tirer à pile ou face un jeune homme qui n’avait pas ses papiers pour savoir s’ils le gardaient ou le laissaient monter dans le train. Certes, il ne s’agissait pas d’une bavure spectaculaire mais d’une pratique choquante, d’une mise en scène de l’arbitraire policier porteuse d’une violence symbolique insupportable. Quelle a été alors ta réaction ?Passée la colère et l’émotion, j’ai proposé que nous saisissions la Commission nationale de déontologie et de sécurité, « chargée de veiller au respect de la déontologie des personnes exerçant […] des activités de sécurité ». Cette autorité administrative n’a pas pour but de sanctionner mais d’émettre des recommandations. C’était aussi une façon de tester l’indépendance de cette institution et son attention à des faits qui peuvent paraître mineurs mais dont la répétition nourrit l’hostilité entre la police et beaucoup de personnes vivant dans des quartiers populaires. Contrairement à une démarche judiciaire qui ne peut être engagée que par une personne directement impliquée, la commission peut être saisie par de simples témoins. La validité de notre témoignage était renforcée par le fait que nous étions cinq fonctionnaires à relater des faits concordants. Un parlementaire devant porter la saisine, Martine Billard, députée du Parti de gauche, a accepté de nous accompagner. Après plus d’un an de procédure et quelques moments de découragement – nous avons dû exposer la scène par écrit plusieurs fois – la commission a fini par rendre un avis. Celui-ci dénonce que la police a été incapable de fournir les éléments pour identifier les policiers présents à la gare ce soir-là et demande que des mesures soient mises en place pour assurer la « traçabilité » des contrôles. Finalement, c’est une question tout autre que celle qui avait motivé notre démarche qui est soulevée et en cela, c’est très intéressant. Hélas – et c’est peut-être la meilleure preuve de son efficacité – la Commission va bientôt être abrogée au profit d’une institution « de défense des droits » aux attributions beaucoup plus floues. Penses-tu que pourraient se développer des initiatives citoyennes de type cop watching2 ?Même si la vigilance citoyenne n’est pas de nature à transformer l’institution policière, on peut espérer que ce type de démarche amène les policiers à prêter attention à l’image qu’ils renvoient dans leurs interventions publiques et modifient leurs pratiques. D’autre part, il permettrait que tous ceux qui se sentent ou non victimes d’abus s’emparent de la question. Cela peut être une façon de sortir du huis-clos entre les jeunes de banlieue et la police. Parallèlement, des données solides doivent être produites pour connaître l’ampleur des bavures, des pratiques illégales, des gardes à vue injustifiées… En France, la première étude quantitative sur les contrôles d’identité, menée l’année passée par des chercheurs du CNRS, Fabien Jobard et René Lévy, a montré scientifiquement ce qu’on pressentait : les minorités visibles, noirs et Maghrébins surtout, ont beaucoup plus de risques d’être contrôlés que les blancs. Ironie du sort, ce travail a été financé par une fondation américaine, l’Open Institute. Tu fais partie du collectif Cette France-là. Quelle est votre démarche ?L’idée est de produire les annales de la politique d’immigration de Sarkozy depuis son arrivée au pouvoir. Le volume 2 de notre travail vient de sortir. Notre ambition est de démontrer qu’en matière d’immigration, la politique répressive mise en place est non seulement contraire aux droits fondamentaux des personnes mais aussi à la rationalité dont elle se réclame. Pour remplir les quotas annuels d’expulsion, aujourd’hui portés à 28 000, il faut interpeller quatre fois plus de personnes, soit plus de 100 000. Cela nourrit les contrôles au faciès et se fait au détriment du travail d’enquête sur les délits les plus graves. 1. L’intégralité du Vol. 1 est disponible sur : www.cettefrancela.net2. « Surveillance des flics ».Propos recueillis par Sylvain Pattieu