La publication par l’Insee d’un ouvrage « Immigrés et descendants d’immigrés en France » mérite qu’on s’y attarde, tant pour son contenu, que pour les commentaires qu’elle a suscités. L’ambition affichée dans le communiqué de presse présentant cet ouvrage n’est autre que de faire le point sur « la situation des immigrés et de leurs descendants en France en matière de démographie, de flux migratoires, d’éducation, d’emploi et de conditions de vie ». Vaste programme !Ce communiqué pointe trois faits qu’on pourrait aisément ranger dans la catégorie des évidences s’ils ne remettaient pas en question les fondements mêmes de la politique migratoire de nos gouvernements successifs et ne donnaient pas matière, d’autre part, à des interprétations tellement diverses qu’elles nous renvoient, au-delà des chiffres, à la seule chose qui, en définitive fasse sens : le positionnement politique.En premier lieu, il est en effet relevé que « les caractéristiques sociodémographiques des immigrés et de leurs descendants sont très variées et dépendent notamment de l’origine géographique (UE27/hors UE27), des motifs (professionnels, familiaux…) et des circonstances de la migration ».L’accent est mis par ailleurs sur les interactions entre les origines et l’éducation, l’emploi et la résidence.On serait tenté de dire qu’il n’y avait peut-être pas besoin d’un rapport de l’Insee pour cela ! À ceci près qu’on pourra se tourner alors vers ceux qui, en très haut lieu (ô la gauche !), ont jugé bon de mettre « l’immigration » sous la coupe du seul ministère de l’Intérieur (vous avez dit « caractéristiques très variées », « interactions » ?). Et on pensera peut-être également à une première réponse à faire à ceux qui parlent en toute généralité des « immigrés » et des « problèmes » qu’ils leur posent.Enfin, le communiqué note que les descendants d’immigrés « connaissent des situations plus favorables que les immigrés, mais plus difficiles que les personnes ni immigrés ni descendantes d’immigrés » et « rencontrent cependant des difficultés importantes pour accéder à l’emploi ». Mais concernant cet accès à l’emploi, l’Insee souligne que « les inégalités sociales conservent un rôle explicatif non négligeable. En particulier, la formation initiale constitue une cause de différenciation importante dans l’accès à l’emploi des jeunes nés et scolarisés en France ». Or, en ce qui concerne la formation initiale, précisément, il est observé que les parcours sont « fortement influencés par les inégalités sociales et les ressources scolaires familiales » (tiens !) et que, par exemple, « à caractéristiques sociodémographiques semblables, les inégalités liées à l’origine face au baccalauréat disparaissent presque toutes ».Si ces résultats sont loin d’être, à proprement parler, surprenants, les commentaires auxquels ils donnent lieu ne manquent pas d’intérêt. En la matière, la palme revient sans conteste à celui du FN qui a publié un communiqué se fondant sur le rapport pour affirmer : « Contrairement aux affirmations souvent colportées, les personnes d’origine immigrée ne sont nullement pénalisées, s’agissant notamment de l’accès aux études supérieures ou à l’emploi » et citer à l’appui de cette proclamation la phrase : « quand l’origine sociale, le niveau de diplôme des parents, la structure familiale et la taille de la fratrie sont pris en compte, la réussite dans le secondaire des enfants d’immigrés n’est pas moins bonne que celle des descendants de natifs ». Le communiqué du FN ajoute : « En revanche, ce rapport indique que la discrimination liée aux origines sociales reste une réalité. Or, c’est précisément de celle-là dont on ne parle jamais ! ». Et de conclure : « Le Front national considère que la lutte contre les discriminations dont les Français les plus modestes sont les victimes doit être une priorité politique, en restaurant les valeurs républicaines et en refondant l’école sur la méritocratie ». On reste pantois devant le renversement auquel il est procédé : à partir d’une phrase dont l’intention évidente est de battre en brèche les préjugés qui essentialisent les difficultés des enfants d’immigrés, le FN se prétend conforté dans sa négation des discriminations ethniques et parvient à développer un discours démagogique embarquant sans peine les fameuses « valeurs républicaines » et renvoyant sans fausse honte à une idéologie méritocratique.Nous n’avons là toutefois qu’une illustration un peu caricaturale de l’usage (ou du mésusage) de statistiques dont « l’objectivité » ne permet en rien de se départir d’une approche politique. Quand de surcroît, les données, dans leur multitude, ne parviennent pour l’essentiel au public qu’à travers le filtre des médias et des organisations politiques qui les sélectionnent et les diffusent au prorata de leur influence, on peut douter de leur capacité à renouveler les termes du débat.Ainsi, alors que la majorité des commentaires de la presse portent sur la « diversité » (le mot à retenir selon le Monde) et, selon les cas, les « difficultés » ou les « inégalités » des enfants d’immigrés sur le marché de l ‘emploi voit-on le Figaro s’intéresser de près aux données démographiques, aux flux migratoires et à l’importance numérique particulière de la « deuxième génération » en France. Aucun de ces choix n’est innocent. Il conviendra donc de revenir sur ce dossier pour procéder également à notre propre lecture politique des statistiques qui nous sont livrées.François Brun
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