Il n’aura fallu attendre que quelques heures le soir des attentats du 13 novembre pour que la haine islamophobe se déchaîne, non seulement du côté de l’extrême droite et de la droite extrême, mais aussi dans les plus hautes sphères de l’État : déclarations outrancières, amalgames douteux, stigmatisation collective…
Des paroles, tout d’abord, puis des actes : agressions contre des personnes, dégradations de mosquées, le tout dans un contexte d’opérations policières dirigées prioritairement contre des individus et des lieux de culte musulmans.Impossible de recenser ici l’ensemble des déclarations ouvertement islamophobes qui ont été proférées par des personnalités publiques dans la foulée des attentats. Une mention particulière toutefois à Philippe de Villiers qui, le soir du 13 novembre, dénonce la « mosquéisation » de la France, faisant malheureusement écho à bien d’autres de ses collègues de la droite de la droite.Puis, dans les jours qui ont suivi, c’est la rhétorique de la « désolidarisation » qui s’est développée, comme dans la foulée des tueries de janvier : moins haineuse en apparence que l’islamophobie ouverte de certains, l’injonction faite aux musulmans à se « désolidariser » des terroristes et de Daesh n’en est pas moins insupportable. Ainsi, Alain Juppé lorsqu’il déclare le 17 novembre que « les Français musulmans doivent dire clairement qu’ils n’ont rien à voir avec ces barbares de l’État islamique », mais aussi Manuel Valls lorsqu’il affirme sur le plateau du Petit Journal le 24 novembre que « l’islam [doit] couper toute complaisance vis-à-vis de ces terroristes ».Par de telles déclarations, Juppé, Valls et consorts sous-entendent en effet que les musulmans de France (et d’ailleurs) seraient a priori suspects de « complaisance », ou qu’ils auraient quelque chose « à voir » avec les terroristes. Répétons-le : l’injonction à la « désolidarisation » a ceci de pervers qu’elle laisse supposer que les musulmans seraient par nature solidaires du terrorisme tant qu’ils n’ont pas déclaré le contraire. Ou comment jeter la suspicion sur l’ensemble des musulmans de France…
Agressions, dégradations, perquisitions
Ces déclarations s’accompagnent d’une multiplication dans le cadre de l’état d’urgence d’opérations policières dirigées contre des individus et des lieux de culte musulmans. Perquisitions de domiciles, contrôles au faciès, « visites » de mosquées… Là encore la liste est trop longue pour recenser l’ensemble de ces opérations arbitraires qui n’ont débouché sur rien (aucune interpellation, aucune preuve matérielle de lien avec le terrorisme), mais ont contribué, par leur médiatisation, à entretenir et renforcer un climat de défiance, voire de haine à l’égard des musulmans.Dès lors, nulle surprise à ce que de nombreux individus passent à l’acte en agressant physiquement des personnes « musulmanes d’apparence » ou en s’en prenant à des lieux de culte : insultes, menaces, coups de poing ou de cutter, tags racistes ou inscriptions néonazies sur des mosquées… Le pire a même été évité à Avranches, où deux individus ont tiré au fusil de chasse sur la devanture d’un kebab, expliquant lors de leur procès qu’ils voulaient « faire quelque chose contre l’islamisme »...Un climat délétère donc, largement entretenu par des responsables politiques irresponsables qui, à défaut d’assumer leur propre bilan, préfèrent désigner un bouc-émissaire, légitimant les discours les plus racistes et réactionnaires et encourageant les passages à l’acte. La riposte s’organise, notamment au sein des réseaux de lutte contre l’islamophobie, mais le mouvement ouvrier est pour l’instant timide, pour ne pas dire absent. L’islamophobie d’État et la répression de la contestation sociale sont pourtant les deux faces complémentaires de l’état d’urgence, celles de la fabrication d’« ennemis de l’intérieur » qui auraient tout intérêt à s’élever ensemble contre les dangereuses dérives en cours.
Julien Salingue