Publié le Mercredi 2 novembre 2016 à 11h19.

La vraie “jungle”, c’est ce système

Présentée comme une « mise à l’abri » humanitaire, la destruction du bidonville de Calais ne règle en rien la situation de milliers de migrantEs...

Dispersés sur le territoire, hébergés pour quatre mois dans des centres d’accueil et d’orientation, ou contraints de retourner à la clandestinité... Les rafles et les pelleteuses, à Paris comme à Calais, ne pourront rien face à la volonté irrépressible de circuler et de s’installer.

Retour sur un démantèlement « humanitaire »

Indécemment conçue et mise en scène telle une grande rencontre sportive ou musicale, les organisateurs préfectoraux de la destruction de la « jungle » de Calais se félicitaient d’avoir attribué plus de mille accréditations aux médias du monde entier, soit plus que pour le festival de Cannes... Dès lundi 24 octobre, les migrantEs médusés ont vu des équipes télé, des photographes, des journalistes, accompagnés de gardes du corps, arpenter leurs ruelles en quête de frissons. Il leur faudra attendre mardi après-midi pour immortaliser l’héroïne du jour, la préfète Fabienne Buccio, entourée d’un escadron de flics et de gendarmes, survolée par un hélicoptère, venue siffler le début des travaux de démolition.

Simultanément, les premières incendies embrasaient le campement. Notre préfète ethnologue expliquait alors que c’était « une tradition chez les Afghans lorsqu’ils quittaient leur maison »... Les « incendiaires » nous ont donné une toute autre version : l’expression d’un dernier acte de dignité et de rage... de ne pas laisser aux flics et à leurs pelleteuses la joie de détruire leurs habitations. Préférant la fuite, notre préfète se gardera bien d’aller à la rencontre de la manifestation surprise menée par une cinquantaine de jeunes femmes érythréennes, bientôt rejointes par d’autres, qui a parcouru le campement jusqu’au terminal de départ des cars, protestant contre les conditions indignes du démantèlement, contre la situation faite aux femmes migrantes et aux enfants.

Le traitement répugnant réservé aux mineurs

Résignés plus que convaincus, hésitants, par petits groupes, les habitantEs du bidonville ont rejoint les cars pour une vague destination... « C’est mieux d’accepter la Bretagne ou l’Alsace ? L’Auvergne ou les Pyrénées ? La Provence c’est raciste ? Les « dublinés » vont-ils être expulsés ? Les procédures de demande d’asile entamées à Calais vont-elles suivre ou faudra t-il tout recommencer à zéro ? »...

Entassés dans des containers sordides au milieu des débris d’une ville qu’on vient de raser (y compris les écoles de fortune animées par des bénévoles), fuyant une zone cauchemardesque pour un nouveau campement discret, ou s’installant épuisés dans un parc du centre-ville, 1 500 à 2 000 « bambinos » (c’est comme ça qu’on les appelle) sont laissés à l’abandon ou presque. Les plus « chanceux » – quelques centaines ? – pourront peut-être rejoindre leurs familles en Grande-Bretagne, c’est du moins ce que prétendent les autorités. Sélectionnés comme du bétail par des équipes de flics français et britanniques pour déterminer arbitrairement leur âge (on parle même d’analyses dentaires pour l’entrée au Royaume-Uni...), qu’adviendra-t-il des « recalés » ?

Et maintenant, faire échec aux manifestations racistes, développer la solidarité

Comme on pouvait s’y attendre, et contrairement aux affirmations d’Emmanuelle Cosse, des centaines de réfugiéEs chassés de Calais sont aujourd’hui de retour sur Paris et viennent grossir les rangs des campements de Jaurès, Flandres et quai de Jemmapes. Fort de ce qu’il prétend être un succès (!), le gouvernement entend récidiver en détruisant les camps parisiens où « résident » plus de 2 500 personnes, alors que la capacités d’accueil du futur CAO situé porte de la Chapelle n’est que de quelques centaines de places...

Face à cette nouvelle menace de dispersion, invisibilisation nous devons exiger avec les réfugiéEs l’accès immédiat à un toit pour touTEs, l’arrêt des contrôles et des brutalités policières, la régularisation de tous les sans-papiers, l’ouverture des frontières et le droit à l’installation.

Les 450 CAO répartis sur l’ensemble du territoire sont autant de lieux propices à une intervention antiraciste concrète : pour y rencontrer les migrantEs, veiller avec eux au suivi de leurs dossiers, construire des passerelles avec la population, et organiser la riposte aux mobilisations hostiles. En quelques semaines, une quinzaine d’initiatives du F-Haine et des identitaires ont été mise en échec par la mobilisation...

Le vent est en train de tourner, sachons en profiter !

Alain Pojolat