Ce 19 décembre, à l’Assemblée nationale, Macron et Darmanin ont offert sur un plateau une victoire politique à l’extrême droite, sur le dos de milliers de personnes qui n’ont pas le privilège d’avoir la sacro-sainte carte d’identité française. Cette loi « Asile et immigration » votée tavec les voix du FN/RN et des LR consacre les délires sécuritaires et racistes qui saturent depuis des années les discours officiels et les médias mainstream et visent à construire un ennemi intérieur, bouc émissaire pour toutes les crises du capitalisme.
Si elle se situe dans la continuité des politiques migratoires racistes de l’État depuis plus de cinquante ans, cette nouvelle loi souligne la porosité grandissante entre les idées de l’extrême droite et de la droite classique, participe à la fascisation de la société. De fait, elle constitue un basculement par l’affirmation sans complexe du racisme d’État et de la préférence nationale.
L’immigration : variable d’ajustement et mépris de classe
Article 1 de la loi Darmanin : « Le Parlement détermine, pour les 3 années à venir le nombre des étrangers admis à s’installer durablement en France, pour chacune des catégories de séjour à l’exception de l’asile, compte tenu de l’intérêt national… » Dit sans ambages, avec ces quotas (d’êtres humains), les migrantEs ne sont « admis » que comme une pure force de travail, une marchandise à user et abuser selon les intérêts du capitalisme national, et notamment dans les « métiers en tension » sinistrement connus pour la surexploitation qui y règne.
Même la faible ouverture que signifiait le titre de séjour (TS) pour ces métiers, initialement prévu par le projet de loi d’être automatiquement accordé, n’est devenue, au fil des discussions parlementaires, sous les coups de boutoir de la droite sénatoriale, qu’une simple « possibilité », soumise à des conditions encore plus arbitraires et drastiques que celles de la circulaire Valls de 2012 qui ouvrait – déjà sous conditions – une possibilité de régularisation par le travail pour tout type de métier. Là, ne sont concernés que les « métiers en tension ». La loi (et non plus une simple circulaire) stipule, avec une hypocrisie hallucinante, que ces travailleurEs sans papiers postulant à ces métiers – et qui donc, jusque-là, n’ont pas le droit de travailler – doivent fournir douze fiches de paie dans les 24 derniers mois pour une résidence d’au moins trois ans ! Autrement dit, l’État non seulement cautionne la violation par les patrons des règles du droit au travail – violation qui permet la surexploitation – mais l’assume totalement en l’inscrivant dans la loi. Et, comble d’arbitraire, elle donne tout pouvoir aux préfets pour décider si oui ou non ces travailleurEs répondent à deux conditions : respecter les « valeurs de la République » et ne constituer aucune menace à l’« ordre public »… À nouveau le soupçon raciste, islamophobe, que les migrantEs sont de potentiels délinquantEs et terroristes.
Le « droit des étrangers » : un continuum de répression, de violence, d’humiliation
Les politiques migratoires depuis les années 1930 ont toujours été dictées par la volonté de l’État de contrôler, trier, enfermer et se débarrasser de touTEs ceux qu’il considère à un moment ou un autre « indésirables », et toujours en fonction des besoins du capitalisme. Et même si, selon les alternances politiques droite/gauche, les législations les ont assouplies ou durcies, il n’en demeure pas moins que ce que l’État français fait depuis des décennies aux étrangerEs (entendre par là toutes celles et ceux non européens issus des pays sous domination impérialiste) n’est qu’un continuum de répression, de violence et d’humiliation.
Cette loi (la vingtième en 40 ans) est le dernier avatar de la législation sur le droit au séjour des étrangers devenue en 2005 le Code d’entrée et de séjour des étrangers des demandeurs d’asile (CESEDA), un code d’exception. Il annula les Ordonnances de 1945 qui déjà organisaient le contrôle répressif des étrangerEs et soumettaient l’autorisation d’exercer une activité professionnelle au ministre du Travail, en précisant « la profession et la zone dans laquelle l’étranger peut exercer son activité ». Il est une accumulation de textes et de circulaires qui ont durci constamment les conditions de séjour des étrangerEs et qui constituent un labyrinthe juridique totalement inaccessible aux principaux concernéEs et par là même efficace pour servir les objectifs de lutte contre l’immigration « légale » et « illégale ».
C’est sous ce régime d’exception – hérité de la logique coloniale du Code noir ou du Code de l’Indigénat – que vivent quotidiennement des millions de personnes avec ou sans papiers, qui participent à la vie de ce pays mais qui n’ont aucun droit de citoyenneté, dont le droit de vote, et dont la vie dépend de l’arbitraire d’une administration de plus en plus brutale, imprégnée de racisme systémique.
Une machine infernale pour précariser, contrôler, expulser, terroriser
Darmanin et ses acolytes de droite et d’extrême droite se sont acharnés à colmater au maximum les petites brèches qui subsistaient dans le mal nommé « droit des étrangers » pour ne laisser la place qu’à l’arbitraire le plus total et leur rendre la vie encore plus impossible qu’avant. Même si quelques dispositions sont censurées par le Conseil d’État, la conception de cette loi reste entière : une machine infernale à fabriquer des sans-papiers, précariser, contrôler, expulser, terroriser. Pour illustrer, quelques mesures de la loi :
• Le « droit du sol » (droit automatique à la nationalité française pour unE jeune néE en France de parents étrangers, à sa majorité), cassé par Pasqua en 1993 – déjà sous pression du FN – puis rétabli en 1998, est à nouveau attaqué. Le/la jeune devra en faire obligatoirement la demande qui, en fonction de critères pour le moins flous, pourra être ou non satisfaite par le préfet.
• Autre nouveauté, le système dit d’examen « à 360° ». La personne étrangère qui sollicite un titre de séjour (TS) pour une situation définie (il en existe une cinquantaine !) pourra se voir proposer un autre TS, moins favorable, à nouveau au bon vouloir des services préfectoraux. À prendre ou à laisser et sans recours possible ! À savoir que le TS le plus courant a longtemps été celui de 10 ans, arraché en 1984, sous Mitterrand, par la mobilisation des jeunes des quartiers populaires (cf. l’Anticapitaliste n°685). Mais tous les gouvernements, de droite comme de gauche, obsédés par la volonté de « contrôler les flux migratoires », n’ont eu de cesse de réduire en miettes cette disposition qui permettait au moins une certaine stabilité de la vie quotidienne.
• De plus, afin de limiter au maximum l’installation pérenne de ceux et celles qui y auraient droit au titre du respect de la vie familiale, les conditions déjà drastiques en vigueur depuis 2012 avec Valls puis Collomb en 2018 sont durcies par les nouvelles dispositions, au mépris de toutes les lois internationales sur le respect de la vie familiale. Le regroupement familial était déjà soumis à l’obligation d’une résidence stable depuis 18 mois, d’un CDI, d’un logement (dont la superficie est fixée par les préfectures et contrôlée par les mairies), il se voit maintenant conditionné en plus par l’obligation pour les épouses ou époux concernés d’une connaissance du français validée par un organisme officiel dans le pays d’origine. Une multiplication d’obstacles quasi insurmontables pour nombre de familles.
• Du même acabit, l’obtention d’un TS « Vie privée et familiale », de plein droit jusqu’en 2018 pour unE conjointE de FrançaisE ou unE parent d’enfant français, puis progressivement battu en brèche, devient aujourd’hui soumis à des conditions que beaucoup ne pourront remplir sans droit au travail : assurance maladie, revenus stables et réguliers, logement suffisamment grand… Et, tous ces obstacles surmontés, le TS ne sera qu’un TS précaire d’un an renouvelable moyennant à chaque fois le paiement d’un timbre fiscal (plus de 200 euros). Un véritable racket ! L’administration se donne le droit de contrôle sur la vie privée et familiale des étrangerEs, et ce d’autant plus facilement que depuis la loi Collomb les services préfectoraux ont un accès libre aux données personnelles des demandeurEs (Sécurité sociale, CAF, banque, EDF…). Aimer, construire une famille, vivre avec les sienEs... est devenu au fil des réformes un calvaire pour bon nombre d’entre eux/elles.
• Désormais les préfets ont toute latitude aussi pour refuser le renouvellement de n’importe quel TS, y compris celui de dix ans, sous l’obscur motif de « trouble à l’ordre public ». Quand on sait les agissements policiers et les condamnations de justice racistes et de classe, on peut imaginer que tout peut être prétexte à un « trouble à l’ordre public ».
• La criminalisation par la pénalisation pour séjour irrégulier supprimée en 2012 revient sur le tapis avec une amende à la clé de 3 750 € et bien sûr une OQTF1, ce qui interdira toute possibilité d’obtenir ultérieurement un TS.
• Le régime de la double peine étant rétabli, plus aucune des protections antérieures (liens familiaux, santé, présence avant 13 ans sur le territoire) n’empêchera une expulsion immédiate.
• Quant à l’enfermement dans les CRA2, pour être bien sûr que nul ne passe entre les mailles du filet et afin d’expulser plus rapidement sans aucune protection juridique, il est prévu que l’intervention du juge des libertés prévue jusqu’à présent dans les 48 heures (ce qui de temps en temps permettait la libération de personnes retenues) passera à quatre jours, le temps d’expulser avant même l’intervention du magistrat soi-disant garant de la légalité. Et pour en rajouter à l’humiliation, le délai raccourci à deux jours entre deux placements en rétention administrative aura comme conséquence la possibilité de l’enfermement répété et quasi continu de personnes étrangères.
• Quant aux mineurEs isolés (MNA) non seulement le non-accueil continuera à en laisser des centaines à la rue et à leur infliger l’humiliation des tests osseux, mais en plus, la proposition d’exclure de l’accompagnement les jeunes majeurEs suiviEs par l’ASE3 lorsqu’ils et elles font l’objet d’une OQTF les laisseront un peu plus à l’abandon sans aucune protection.
Le naufrage du droit d’asile et les frontières assassines
Depuis les années 2000 la politique de l’UE de guerre aux migrantEs a provoqué des milliers de mortEs aux frontières de la forteresse Europe.
Le droit d’asile étant inscrit dans le droit international, il a bien fallu faire avec mais au moindre coût et surtout avec l’objectif de réduire au maximum le nombre de protections accordées. Depuis 2015 avec la soi-disant « crise migratoire », on a vu la redoutable efficacité des services de l’État pour mettre en place un accueil sciemment sous-dimensionné laissant à la rue des milliers de personnes livrées au harcèlement quotidien des flics racistes. Les CMA4 n’ont cessé d’être restreintes. Et surtout les conditions d’accès à une demande d’asile et les procédures mises place pour les traiter à l’OFPRA5 et à la CNDA6 ressemblent aujourd’hui plus à une vaste loterie qu’à une véritable prise en compte des destins tragiques des demandeurEs d’asile.
Mais cela ne suffisait pas aux législateurs zélés. Pour décourager les déboutéEs du droit d’asile de se maintenir sur le territoire, une OQTF sera signifiée systématiquement dès la fin de la procédure et le droit à la santé (ACS, ex-CMU7) immédiatement supprimé. Et, pour se débarrasser de ces « indésirables » au plus vite, une justice expéditive et à moindre frais se donne de moins en moins les moyens d’examiner leur situation : un seul juge remplacera les trois juges qui siégeaient à la CNDA et les audiences par visioconférence particulièrement déshumanisantes se généraliseront.
« Les valeurs de la République » ou la préférence nationale
« Respect des valeurs républicaines », une injonction rabâchée en toute circonstance et surtout quand il s’agit des étrangerEs qui sont sommés de les respecter sous menace d’expulsion. TouTEs le candidatEs à un TS long ou à la naturalisation sont priés de signer un minable CIR8 les obligeant à des formations qui leur permettront d’assimiler la culture française – qui est bien évidemment supérieure ! – indispensable à leur « intégration ». Iels devront aussi s’engager à respecter les « valeurs » de cette république qui leur fait l’honneur de les accepter : Égalité, Fraternité, Liberté et... Laïcité. À cela vient s’ajouter aujourd’hui l’engagement que les enfants suivent une éducation républicaine (!) mais aussi que le niveau de français certifié par des organismes agréés (et payants) soit au moins celui du collège et pour certains TS celui du baccalauréat. Ce qui va éloigner au moins 40 % des personnes susceptibles d’y être éligibles, en particulier les femmes qui sont souvent plus éloignées de l’accès à la scolarité.
Au cœur de ces injonctions réside une monstrueuse mystification, car ce sont bien ces principes que cette république foule aux pieds quotidiennement, tout particulièrement concernant les personnes racisées et les migrantEs.
En guise d’« égalité », leur république instaure une préférence nationale – qui ne dit pas son nom – pour repousser encore plus l’accès aux prestations sociales à vocation universelle dont bénéficiaient auparavant les titulaires de TS en augmentant le temps nécessaire de résidence, de trois à cinq ans. Ce qui va aggraver la précarité des plus pauvres.
La « fraternité » c’est, pour les Ciotti, Le Pen et Macron, s’en prendre aux plus vulnérables, remettant en cause notamment leur accès à la santé avec les attaques contre l’AME9 (qui fera finalement l’objet d’un traitement à part – ce qui ne présage rien de bon) mais aussi interdisant aux sans-papiers l’accès aux hébergements d’urgence.
Leur « liberté », c’est d’enfermer dans des CRA pendant des mois des milliers de personnes dont le seul délit est de ne pas avoir de TS.
Leur « laïcité » ne vaut que pour alimenter la campagne islamophobe et diviser les classes populaires au bénéfice du système capitaliste en place.
Unité d’action contre la loi Darmanin !
Il est important que le vote de cette loi ait suscité à gauche un rejet unanime et des mobilisations unitaires immédiates. Mais beaucoup le font en criant à la trahison de la « République » et de ses « valeurs ». C’est oublier un peu vite les trahisons de la gauche au gouvernement, et notamment en matière d’immigration. C’est oublier aussi que, loin d’être la « patrie des droits de l’Homme », cette république est depuis longtemps devenue celle de l’« exploitation de l’Homme par l’Homme » et des guerres coloniales qui, au prix de massacres et de pillages, ont fait la « Grandeur de la France »… impérialiste !
Il est plus que temps qu’à gauche on prenne la mesure de la dérive réactionnaire à l’œuvre dans ce pays. Avec l’adoption – grâce à un bloc entre droite extrême, macronistes et extrême droite – d’une loi qui reprend des pans entiers de la politique ultra-raciste de Le Pen, et venant après l’acceptation de l’extrême droite dans le soi-disant « arc républicain contre l’antisémitisme », un pas vient d’être franchi. Le mouvement ouvrier et social a plus que jamais la responsabilité, d’opposer à cette dérive réactionnaire un front unique d’action, de mettre au cœur de sa riposte antifasciste la lutte antiraciste, en défense des migrantEs et des populations racisées, et d’œuvrer à une alternative vraiment à gauche.