La Une de Minute, journal d’extrême droite, a créé un émoi considérable en attaquant Christiane Taubira, avec une référence ouvertement raciste : « Maligne comme un singe, Taubira retrouve la banane »...
Christiane Taubira, ministre de la Justice et artisane de la loi sur le « mariage pour tous », est aussi femme et noire. Elle est devenue ces derniers mois la cible de l’extrême droite. Le 17 octobre, Anne-Sophie Leclere, candidate Front national aux municipales, comparait Christiane Taubira à un singe. Il y a eu encore ces enfants qui, dans le cadre d’une initiative de « la manif pour tous » à l’occasion d’un déplacement de la ministre de la Justice à Angers, ont crié « La guenon, mange ta banane ! »Notre solidarité avec Mme Taubira est évidente et la dignité dont elle fait preuve face à la violence de ces attaques racistes force le respect. Mais comment être surpris par cette Une de Minute ? il ne s’agit après tout que d’un torchon d’extrême droite à la diffusion confidentielle. Et comment s’étonner que des candidats d’un parti xénophobe tiennent des propos racistes ?
Le retour des réacs et des fachosMais si les propos racistes débordent d’un peu partout, c’est bien qu’il y a un contexte qui rend cela possible. Nous venons de vivre une séquence politique, autour des mobilisations contre le mariage pour tous qui a redonné confiance à l’extrême droite. La violence des propos homophobes, les liens — y compris coude à coude dans les manifestations — entre la droite et de l’extrême droite tissés ces derniers mois, leur capacité retrouvée à prendre la rue, ont profondément modifié la situation politique en France.Tout cela s’est préparé durant les années Sarkozy, au cours desquelles les glissements et les dérapages xénophobes ont servi de système de communication. Que l’on se souvienne du discours de Dakar où il affirmait que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire » ou des discours de la campagne présidentielle de 2012 (inspirés ou écrits par Patrick Buisson... ancien directeur de la rédaction de Minute !). On pourrait encore évoquer les divers propos des ministres du gouvernement Sarkozy (Hortefeux, Guéant ou Morano), et on pourra ajouter à cela — entre autres — l’emballement législatif anti-immigréEs qui a marqué cette période.
Derrière les postures, les renoncementsAujourd’hui les propos de l’actuel ministre de l’Intérieur Valls, en particulier sur les Roms, ne dénotent pas tout à fait dans le tableau. Tout cela n’est pas à mettre au même niveau, mais participe d’une ambiance malsaine.C’est presque une banalité de le dire, mais la crise qui frappe aujourd’hui les peuples en France et en Europe nourrit ce genre de dérives. Son développement, le développement du chômage engendre la montée de l’extrême droite presque partout en Europe, une montée qui s’accompagne d’une stigmatisation croissante des populations étrangères, qui peut aller parfois, comme en Grèce, jusqu’aux ratonnades, voire au meurtre...Face à cette situation, les postures indignées ne peuvent suffire. La participation à un meeting, de Manuel Valls au côté de la Garde des sceaux pour dénoncer les attaques dont elle est victime, ressemble à une farce. Car face à la montée de l’extrême droite, Manuel Valls ne fait pas parti de la solution, mais plutôt du problème. Un problème qui est bien la politique du ministère de l’Intérieur et plus largement d’un gouvernement, dont on peut se demander ce qu’y fait Christiane Taubira.
S’attaquer aux racinesLa réponse à la situation demande des réactions sérieuses. Combattre l’extrême droite et ses idées sur tous les terrains, et s’engager résolument dans une lutte qui s’attaque au terreau dont se nourrit l’extrême droite. On ne lutte pas contre le racisme en expulsant des jeunes lycéens, ni en détruisant des campements de Roms. On ne combat pas l’extrême droite en menant une politique toujours plus sécuritaire et toujours plus répressive. On ne combat pas la droite en menant une politique de droite. On n’est pas de gauche en étant aux ordres du Medef.Il est temps de changer de logiciel. Et si on essayait de s’en prendre aux patrons plutôt qu’aux immigréEs ? Si on finançait l’éducation, plutôt que les entreprises au nom de la « compétitivité » ? Si on taxait Bolloré, Arnault et tous leurs copains du CAC 40, plutôt que les salariéEs, les chômeurEs et les retraitéEs ?Il y a urgence à mener une réelle politique sociale, de redistribution des richesses, qui n’hésite pas à s’en prendre aux plus riches... Cette politique n’aurait pas besoin de boucs émissaires pour masquer les désastres sociaux qu’elle engendre.Tous ensemble, ya basta !
Pierre Baton