Publié le Dimanche 15 mars 2015 à 20h53.

Lutte des mineurs isolés étrangers : “L’occupation, une bonne idée pour faire avancer les choses”

Entretien. Mohamed est malien, Massoud est afghan. Jeunes étrangers isolés et sans ressources, ils se retrouvent devant la Plateforme d’accueil et d’orientation pour les mineurs isolés étrangers (PAOMIE) de Paris, d’où depuis deux mois est partie une lutte pour la prise en charge de tous les mineurs isolés... comme le prévoit normalement la loi (voir l’Anticapitaliste n°276). Dans ce cadre, une occupation de la PAOMIE a eu lieu jeudi 26 février. Jusqu’ici, la mairie « socialiste » de Paris, dont dépend la structure, fait la sourde oreille et un rassemblement de soutien a eu lieu samedi 7 mars devant l’Hôtel de ville. Mohamed et Massoud nous raconte leur parcours, là-bas... et ici.D’où venez-vous ?Mohamed : Je viens du Mali, de la région de Kayes, d’un village de quelques centaines de personnes. Là-bas, beaucoup de gens viennent en France car il n’y a pas trop de moyens pour vivre, pas de possibilités pour étudier. Mes parents vivent de petites cultures, comme tout le monde au village.Massoud : Je viens d’Afghanistan, de la région de Nangarhar. À cause de la guerre, j’ai vécu jusqu’à mes 9 ans au Pakistan avec ma famille, puis je suis retourné en Afghanistan avec eux. Mon père est chauffeur et ma mère est à la maison avec mes sœurs. Beaucoup de jeunes émigrent de cette région car elle n’est pas sûre. C’est une région qui est à la frontière du Pakistan, il y a à la fois beaucoup de criminels et beaucoup de talibans. Les villes sont sûres mais pas la campagne. Moi, je travaillais dans une autre région, en tant qu’homme de ménage dans un hôpital à Kandahar financé par les Américains.Comment êtes-vous arrivés en France ?Mohamed : J’ai traversé le Sahara dans une voiture, puis après je suis arrivé en Libye. Là-bas c’est très dangereux pour les Noirs. J’ai vu des Noirs se faire tuer pour rien, parce qu’ils étaient accusés d’être des anciens soldats de Khadafi. J’ai pris un bateau pour l’Italie, c’était très dangereux aussi, et de l’Italie, je suis arrivé en France. Ça m’a pris deux mois.Massoud : Je suis venu principalement à pied, même si je me suis aussi attaché sous des camions ou que j’ai voyagé caché dans un train. J’ai traversé l’Iran, la Turquie, la Bulgarie, l’Autriche, l’Italie, puis je suis arrivé en France. Nous sommes beaucoup d’Afghans à faire ça. Ça m’a pris 6 mois. À d’autres, ça leur prend 9 mois.Pourquoi êtes-vous partis ?Mohamed : Chez moi il n’y a rien comme ressources, et aussi ce n’est pas trop sûr. C’est proche de la frontière, et quelquefois, quand des gens veulent des enfants soldats, ils viennent les prendre là. Et il y avait la guerre en Mauritanie...Massoud : Moi, les talibans m’ont accusé d’être un espion américain parce que je travaillais dans un hôpital financé par les Américains, un hôpital qui aidait les drogués – il y a beaucoup de gens qui se droguent en Afghanistan –, cela alors que je ne soutiens pas du tout les Américains. Plusieurs fois, les soldats américains et même français ont fouillé l’hôpital où je travaillais la nuit, à la recherche de talibans blessés. Je leur ai demandé : « Pourquoi êtes-vous en Afghanistan ? » ; ils m’ont dit : « Pour la démocratie »... Mais je sais que c’est pour leurs intérêts.Qu’est-ce-que vous voulez faire en France ?Mohamed : Je veux avoir un avenir. Mes parents n’ont rien eu pour moi, et moi je veux avoir des choses pour mes enfants, pour qu’ils ne soient pas comme moi.Massoud : Je veux être ingénieur, c’est ma passion. Ma famille est très pauvre, et à Kandahar je devais déjà travailler pour les soutenir financièrement. Maintenant je veux travailler pour pouvoir étudier.Pouvez-vous nous raconter ce qui est arrivé à Ahmed, un autre jeune étranger isolé ?Mohamed : Ahmed vient du Maroc. Sa famille voulait le faire travailler sur un chantier, mais il a refusé, il voulait aller à l’école. On lui a donné des coups de bâton dans l’œil. Il est venu en France mais à la PAOMIE on ne l’a même pas envoyé chez le médecin. Il avait une infection depuis deux mois. La nuit avant l’occupation, il est allé à l’hôpital et là-bas, ils ont vu qu’il avait l’œil crevé. Il a perdu son œil. La PAOMIE n’en a rien à faire parce qu’on est étrangers. La seule chose qu’il veut, c’est aller à l’école. Il dit : « c’est pas grave si j’ai perdu mon œil, tant que je peux aller à l’école ».Les gens de la PAOMIE et de l’ASE (Aide sociale à l’enfance) n’ont rien fait, et les médecins ont dû appeler le juge pour savoir s’il était pris en charge. Les médecins ont dit qu’ils allaient le garder une semaine pour qu’il puisse se laver, se reposer, etc.Que pensez-vous de l’occupation de la PAOMIE qui a eu lieu le jeudi 26 février ?Mohamed : L’occupation, c’est une bonne idée pour faire avancer les choses. Les gens sont très fatigués, la PAOMIE fait n’importe quoi. Les délais sont très longs, et quelquefois ils nous font attendre trois heures pour nous faire revenir le lendemain. Dans les entretiens d’évaluation, on voit ce qu’ils écrivent sur leurs papiers et ce n’est pas ce que l’on dit. Ils déclarent que nous sommes majeurs, disant que l’on parle trop bien pour des mineurs, ou ils font des tests osseux qui ne veulent rien dire.Propos recueillis par Stan MillerRécit d’une occupationJeudi 26 février, une cinquantaine de mineurs isolés étrangers (MIE) et leurs soutiens ont occupé dès 16 heures la Plateforme d’accueil et d’orientation pour les mineurs isolés étrangers (PAOMIE), pour exiger la prise en charge immédiate des MIE comme le prévoit normalement la loi. La directrice de la PAOMIE a rétorqué en réunion de négociation qu’elle n’avait « aucun contact avec la mairie » (sic) et que de toute façon les gens étaient en vacances...Rapidement, une vingtaine de policiers sont arrivés (certains équipés de mitraillettes...), pour empêcher ceux qui manifestaient à l’extérieur de rejoindre l’occupation (jusqu’à une centaine de personnes), ne reculant devant aucune provocation pour déclencher une bagarre avec les jeunes. Et vers 21 heures, dernier ultimatum de la police avant évacuation, les MIE décidant d’opposer une résistance passive. Regroupés sur le sol, mineurs et soutiens se sont fait vider un par un (40 policiers suréquipés pour 40 occupants à ce moment-là...).Bilan de l’occupation : pas de gains concrets, mais une exposition au grand jour de l’hypocrisie de la mairie de Paris. Le sentiment est partagé chez les mineurs et les soutiens d’avoir relevé la tête, et pris le chemin de l’intensification de l’affrontement. Une occupation qui en appelle d’autres.