Le jeudi 2 juillet, les migrantEs du 18e ont voulu manifester un mois après l’évacuation du campement de La Chapelle. Cette fois la police n’a pas démantelé le campement, elle les a empêchés d’en sortir !
Après 7 endroits évacués en 3 semaines, ils et elles sont toujours là, irréductiblement là, revenus à la Halle Pajol, là où avait eu lieu l’expulsion la plus violente par la police le lundi 8 juin. La solidarité joue toujours activement pour la nourriture, les vêtements, les médicaments, les cours de français, le suivi juridique et l’aide médicale. Il y a mêmes des ateliers de théâtre.
« Aux yeux de tous » : ce slogan s’affiche en grandes lettres blanches sur fond noir sur le torse de certains migrantEs. Sans doute la distribution d’un reste de stock de T-shirts promotionnels pour ce film sorti il y a 3 ans. Ici, cela prend une dimension subversive car les migrantEs sont des « êtres humains oubliés » comme l’écrit l’un d’eux, Yousif A. Haliem, dans son récit Le voyage de la mort.
Ici, ils et elles veulent afficher qu’ils et elles existent quand le pouvoir voudrait les nier.
Quelque chose a changé
À la différence des campements éphémères de ces dernières semaines, celui-ci tient depuis maintenant trois semaines. Preuve d’un certain rapport de forces, il devient le lieu d’un autre danger.
La mairie a installé des toilettes et fait même appel à des associations pour l’assistance au camp. L’enjeu n’est plus de détruire le camp mais d’éviter qu’on en parle. Sans espoir de sortie de la rue, alors que la fatigue, le jeûne du ramadan, la chaleur, l’extrême précarité de la rue, exacerbent toutes les tensions, la lutte des migrantEs pourrait se perdre. Et l’inhumanité de leur traitement redevenir atrocement banale, « oubliée ». Alors, le campement pourra disparaître.
À la chasse a succédé la tactique du boa constrictor, celle qui consiste à étouffer la lutte pour la détruire. Un des « anciens » du quartier, Bernard, s’est insurgé : « Nous ne sommes pas là pour la gestion de la misère. Il n’y a pas d’humanité possible sans subversion. Ce pour quoi on se bat c’est pour des droits ». De nombreux migrantEs qui ont participé à la lutte collective des premières semaines ont été disséminés dans des centres d’hébergement. Arrivant sur le campement, des nouveaux pensent que c’est le gouvernement qui gère leur situation, qu’il suffit donc d’attendre.
Pendant ce temps
Or ce qui n’a pas changé, c’est la politique des autorités.
Pendant ce temps, un texte est discuté au Sénat puis à l’Assemblée nationale sur le droit d’asile. Ce qu’en dit la Coordination française pour le droit d’asile ? « La CFDA réitère ses inquiétudes quant à un discours politique teinté d’humanisme mais qui masquerait mal une politique du chiffre inavouée et des préoccupations de gestion des flux. »
Pendant ce temps, les ministres de l’Intérieur français et britannique ont décidé d’un fonds commun de 15 millions d’euros à Calais pour « sécuriser » les plages, le tunnel et le port, et renforcer le mur de la honte.
Pendant ce temps, les portes d’entrée d’un immeuble vide, à 100 mètres de la Halle Pajol, un ancien centre des impôts, ont été blindées. Des fois qu’il viendrait à l’idée des migrantEs que quand des êtres humains sont à la rue et qu’un immeuble est vide, la moindre « humanité » serait de l’investir...
Ce qui n’a pas changé
Ils le disent et le répètent à chaque réunion sur le campement : « Beaucoup sont mortEs, dans le désert, en Lybie, en Méditerranée. Nous avons traversé dans des barques, ne sachant pas si nous allions en sortir vivantEs. Et on nous demande encore si nous voulons rester ici ? Nous ne sommes pas là pour manger ou pour dormir. Nous voulons vivre. Nous voulons un lieu où nous serons ensemble pour faire nos démarches, obtenir notre régularisation. »
Une juriste du Gisti ajoute que leur lutte collective est aussi une nécessité pour la garantie de leurs droits à plus longue échéance. Car, même si ils et elles arrivent à entamer leur démarche de demande d’asile, au stade actuel 80 % des demandeurs sont déboutés. Et parmi eux, il y aussi des sans-papiers, des Tunisiens, des Algériens, des Guinéens, des Maliens...
Aux yeux de toutes et tous
Dans une étude, Antoine Pécoud, dénonce « l’absence de référence à l’idée de libre circulation » dans toutes les réflexions internationales : « Les politiques à l’égard des étrangers se caractérisent donc, encore aujourd’hui, par la “tyrannie du national” (Noiriel, 1991), c’est-à-dire par la prépondérance d’une approche fondée sur l’État et son droit souverain à contrôler la mobilité humaine. »
Ne reste comme logique du pouvoir que le développement d’une société du contrôle avec des moyens de plus en plus perfectionnés et répressifs qui affectent l’ensemble des rapports sociaux.
C’est cette logique que battent en brèche les migrantEs. Quand ils et elles s’affichent « aux yeux de tous », les migrantEs se battent aussi « au nom de tous et toutes ». Contre un ordre qui déshumanise toute la société, détruit jusqu’à l’idée de solidarité. Revenir à l’indifférence serait consentir à cet ordre, accepter tous les reculs. Cela même à quoi les Grecs ont aussi dit non.
Denis Godard