Depuis l’évacuation du campement de La Chapelle, début juin, près de 700 migrantEs ont été dispersés dans des centres d’hébergement. Ils seront bientôt mille, car le campement d’Austerlitz va être évacué avec le soutien des associations...
Pardon ! Le terme utilisé est « mise à l’abri ». L’argument est de mieux en mieux rodé du côté des différents acteurs de ces opérations : c’est faire preuve d’humanité que de répartir les migrantEs dans des centres d’hébergement plutôt que les laisser à la rue. Présenté comme cela, l’argument semble imparable. Mais fondamentalement les migrantE exigent bien plus qu’un abri temporaire : ils et elles demandent des droits, à circuler et/ou à s’installer.
Alors la question réelle est la suivante : est-ce que ces centres d’hébergements sont des solutions temporaires facilitant une solution pérenne... ou des obstacles à leur régularisation ? Et l’autre question est : y a-t-il une alternative ?
Trier et expulser plus vite...
La réponse à la première question est en train d’être fournie par le gouvernement qui a fait voter le mercredi 15 juillet une réforme du droit d’asile et fait discuter à l’Assemblée depuis le début de la semaine une nouvelle loi sur les droits des étrangers. La logique de la première loi est d’accélérer les procédures et, selon les termes même de Cazeneuve, de rendre plus efficace l’expulsion des déboutés du droit d’asile. Bref, on trie plus vite pour expulser plus vite.
La seconde loi, dans la même logique, va bien plus loin. Donnant des pouvoirs accrus de surveillance et de contrôle aux préfectures (via l’école, la sécurité sociale, EDF, le contrôle des hébergements...), elle précarise tous les étrangers susceptibles d’être « expulsables » à tout moment. Tout en ouvrant de nouvelles brèches pour le développement d’une société de contrôle et de répression.
La « solution » des centres d’hébergement, soutenue par des associations et des organisations politiques et menée en concertation avec les autorités, prend alors toute sa signification. Fragmentant les migrantEs, elle brise leur capacité collective d’imposer un rapport de forces vis-à-vis des autorités. Elle les soumet individuellement à une orientation politique qui limite l’accès à la régularisation.
Retour à la Halle Pajol
Y a-t-il une alternative ? Car en l’absence de celle-ci, on comprend facilement que les migrantEs acceptent la solution des centres d’hébergement, d’une part parce que c’est quand même préférable à la rue, d’autre part parce qu’ils et elles pensent entamer ainsi le processus vers leur régularisation.
Depuis deux mois, l’alternative est sans doute plutôt incarnée par la lutte menée dans le 18ème arrondissement de Paris. Les quinze derniers jours l’illustrent en partie. Le soir même de la dernière évacuation en date, le 9 juillet, une manifestation de plusieurs centaines de personnes, partie de République et censée s’arrêter à Barbès, revenait à la Halle Pajol.
Le campement s’est réinstallé rapidement et compte maintenant plus de 200 migrantEs, pour beaucoup des nouveaux et des nouvelles. Une nouvelle manifestation a eu lieu une semaine plus tard. Une fête a rassemblé des centaines de migrantEs et soutiens le 14 juillet. En lien avec Vintimille à la frontière italienne, des mobilisations devraient avoir lieu le week-end du 25 et 26 juillet. Même si elles sont parfois chaotiques, les assemblées réunissent actuellement de nombreux migrantEs.
Mais cela ne suffira pas. Il y a actuellement plus de migrantEs dans les centres d’hébergement que sur le campement. Le campement se renouvelle, lui, à chaque évacuation, menaçant en permanence, par la pression des problèmes quotidiens, de tomber dans une gestion uniquement humanitaire.
Soutenir et encourager la lutte collective
La capacité des migrantEs à construire un rapport de forces et à poser de manière collective leurs revendications rend désormais urgente et incontournable leur organisation sur chaque centre et la coordination entre les centres et le campement. Nous en sommes encore loin. Des points d’appui existent parce que des migrantEs hébergés reviennent régulièrement sur le campement et que des contacts existent avec des migrantEs dans de nombreux centres.
À défaut, le campement deviendra une simple zone d’attente – hypothétique – vers des centres d’hébergement, et les migrantEs dans les centres seront totalement soumis à la gestion individuelle et administrative de leur situation.
C’est aussi une nécessité pour les soutiens. En l’absence d’une organisation collective des migrantEs, quelle que soient nos intentions, nous serons conduits à reproduire vis-à-vis des migrantEs les rapports de domination qui sont dans la logique même d’une politique qui justifie le contrôle de l’immigration par le gouvernement.
Soutenir et encourager une lutte collective des migrantEs en lien avec le mouvement des sans-papiers, relier cette lutte à Calais ou Vintimille, mais aussi aux luttes syndicales, en premier lieu dans les secteurs où la nouvelle loi exige la collaboration des personnels avec la préfecture pour dénoncer les migrantEs, voilà ce que devraient défendre activement les organisations de gauche. Contre toute complicité avec l’État.
Denis Godard