Entretien.Yousif Fatihelrahman (Fathi) est délégué des réfugiés du campement de la rue Pajol dans le 18e arrondissement de Paris. Avec lui, nous revenons en particulier sur l’organisation de la lutte par les migrantEs eux-mêmes, ainsi que sur leurs revendications.
Peux-tu te présenter et définir ton rôle sur le site ?
Je m’appelle Yousif Fatihelrahman, journaliste soudanais arrivé ici en France via la Turquie et l’Italie. Le rôle que je joue en tant que délégué est le suivant : je suis un membre coordinateur de différentes commissions de travail dont nous nous sommes dotés. J’assure le lien avec les organisations qui soutiennent les réfugiéEs. Moi et quelques autres faisons également un travail de conscientisation, et également pour faciliter les démarches dans les différents rouages de l’administration, afin d’éviter aux migrantEs qu’ils ne soient discriminés par leur ignorance de la législation. J’assure également le porte-parolat vis-à-vis des médias afin de contrer la propagande négative et essayer de rétablir la vérité.
Justement, parlons des médias. Anne Hidalgo maire de Paris et le ministre de l’Intérieur prétendent que le mouvement est manipulé par des organisations d’extrême gauche, notamment le NPA. Que leur réponds-tu ?
Nous, les migrantEs n’avons pas été manipulés ou récupérés, ni utilisés pour servir une propagande politique quelle qu’elle soit. Nous ne sommes les porte-paroles d’aucun parti ou courant politique. C’est un mensonge qui tend à nuire à notre mouvement et à ses revendications. Par ailleurs, toute personne qui veut connaître la situation n’a qu’à nous rendre visite.
Au niveau de la gestion du campement, il semble que l’auto-organisation a beaucoup progressé : assemblées générales non mixtes (c’est-à-dire sans les soutiens), prise en charge par les commissions (propreté, sécurité, santé, alimentation...), organisation des manifestations...
La plupart des gens qui sont sur le campement viennent de zones de conflits et d’instabilité sécuritaire. Parmi eux, il y a énormément de personnes éduquées, instruites, qui ont un certain niveau de conscience et une certaine capacité à s’auto-organiser. Cela n’empêche pas qu’ils ont besoin de courants politiques qui les soutiennent, besoin de la solidarité de cette société civile. Mais ils sont capables de s’organiser sans que personne ne puisse exercer de pressions, ça c’est clair. Bien sûr, je comprends que dans un mouvement de lutte et de soutien à nos revendications, certains pourraient exercer des pressions d’ordre politique ou idéologique, mais jusqu’à présent, nous n’avons cédé à aucune d’entre elles. Nous continuons la lutte sur la ligne qui nous paraît le plus juste.
À l’occasion de vos manifestations, on a vu la présence de collectifs de sans-papiers, notamment de la CSP 75. Considères-tu qu’il y a un lien entre la lutte des sans-papiers et le mouvement des migrantEs ?
Il y a, en ce qui concerne les Soudanais et les Érythréens, une spécificité dans la démarche de demande de l’asile politique. Bien entendu, tout collectif ou association solidaires qui pourrait nous venir en aide est le bienvenu. Nous tenons à avoir des rapports concrets qui se tissent entre notre mouvement et les collectifs de sans-papiers pour unir notre action. Nous apprécions leur contribution. Nous disons bienvenue à toutes orientations, conseils et soutiens. Certes, ce ne sont pas les mêmes situations, ni les mêmes populations, auxquelles s’adressent les collectifs de sans-papiers. Mais en même temps, les parcours ont beaucoup de points communs, et leur expérience pour nous est une richesse.
Outre l’obtention de papiers, les revendications principales des sans-papiers sont les droits de circulation et d’installation. Vous inscrivez-vous dans le cadre de ces revendications ?
Nous avons deux revendications essentielles qui sont le droit au logement et le droit aux papiers. Quand vous voyez tous ces gens qui sont à la rue, qui n’ont pas de toit, qui rencontrent des tonnes de difficultés face à l’administration, qui subissent la discrimination par le travail auquel ils n’ont pas accès, notre première demande, c’est que s’exprime la solidarité. Nous partageons les revendications évoquées dans la question, et nous sommes aux côtés de nos amis sans papiers.
Vous avez déjà fait l’objet de 9 expulsions (!), et malgré cette répression, la lutte continue et exprime une grande combativité dans des conditions très difficiles. Durant l’été, le mouvement va-t-il pouvoir s’inscrire dans la durée ?
Nous avons l’espoir en la lutte pour faire aboutir nos revendications. Il n’y a pas d’autres solution que faire grandir la pression pour faire valoir nos droits. Les solutions temporaires ne constituent pas une réponse. Nous avons besoin de solutions pérennes et complètes. Lorsqu’un camp se vide, on sait très bien qu’il ne se vide pas complètement, et le soir même, il se remplit souvent de nouveaux arrivantEs. C’est pourquoi je suis convaincu que les institutions et l’État n’ont pas d’autres choix que d’ouvrir de nouveaux centres d’accueils pour les migrantEs qui vont venir.
Nous exigeons le respect complet de nos droits, au niveau de l’hébergement, dans nos parcours administratifs. Nous sommes des êtres humains, à part entière. Nous ne sommes pas des objets, nous avons un état civil... On ne peut pas concevoir que des gens qui posent ces problèmes soient rejetés et laissés dans le dénuement, jetés à la rue et clochardisés.
Les migrantEs qui sont actuellement au camp de Pajol, ou dans d’autres à Paris, sont en difficulté. La survie s’organise avec les moyens du bord et le soutien de la population. Les ONG sont moins présentes, et les besoins sont importants, question santé, hygiène et nourriture. La mairie de Paris qui avait installé des toilettes les a retirés. Un chien a le droit de pisser dans la rue... Et nous, on fait comment ? Il faut de toute urgence prendre des mesures, si besoin les arracher, pour qu’un minimum de dignité soit rendu aux résidents du campement, par l’accès aux toilettes et aux douches municipales. Enfin, de par nos revendications, nous ne nous opposons pas frontalement au gouvernement, nous ne faisons que revendiquer nos droits, les droits humains les plus élémentaires.
Pour terminer cet entretien, je voudrais remercier les citoyens français, les habitants de ce quartier qui sont solidaires de notre lutte.
Propos recueillis par Alain Pojolat
(Traduction simultanée par Salim B.)