C’est pourtant une région plutôt gangrenée par le Front national où domine la droite la plus réactionnaire. Mais c’est dans cette région que les lecteurs et lectrices d’un quotidien local, Nice-Matin, ont décidé de désigner Cédric Herrou, inculpé pour son aide aux migrantEs, comme personnalité de l’année. La Roya nous montre que tout est encore possible.
Il ne s’agit pas tant de ce qui est le plus médiatisé, les cas de ces « justes » qui passent en procès pour « délit de solidarité », Cédric Herrou ou Pierre-Alain Mannoni. Ceux-là sont la pointe immergée d’un iceberg : la coopération de dizaines voire de centaines d’habitantEs de la vallée de la Roya, dans les Alpes-Maritimes, le long de la frontière franco-italienne, pour aider au passage et organiser l’accueil de migrantEs pourchassés par la police des frontières et la gendarmerie. C’est cette solidarité déterminée qui a gagné l’audience de plusieurs milliers d’habitantEs de la région.
C’est d’abord de manière « naturelle » et discrète que la solidarité s’est mise en place. Cédric Herrou n’a lui-même rejoint l’association « Roya citoyenne » qu’après avoir été arrêté une première fois l’été dernier. Dans cette vallée et ses villages, les SMS tournent, des migrantEs sont répartis dans des habitations, le temps de se remettre d’aplomb, d’être soignés, d’obtenir des informations et des conseils. Des maraudes se tiennent et des repas sont distribués à Vintimille. Les passages sont organisés, pour franchir la frontière mais aussi pour sortir de la vallée pour « continuer le voyage » en évitant les barrages policiers et l’expulsion immédiate vers l’Italie.
Face aux réacs racistes de tout poil, la Roya réactive ainsi une vieille tradition pour cette terre de passage où l’établissement des frontières, depuis la seconde moitié du 19e siècle, n’a cessé de fabriquer des clandestins… et des réseaux et des passeurs. Migrations économiques en provenance de l’Italie, mais aussi politiques dans les années 1920-1930 avec les antifascistes et les juifs. Une tradition de résistance aussi pendant la Seconde Guerre mondiale. Une tradition de « frontière bafouée » du nom d’une étude historique de la région parue en 1999.
Faire tourner le vent dominant
La médiatisation actuelle, autour des procès qui ont eu lieu, est le résultat d’une stratégie pour assumer publiquement les actions de solidarité, aussi illégales soient-elles. Ainsi Cédric Herrou a été arrêté suite à l’occupation, en octobre, d’un local désaffecté de la SNCF pour héberger des migrantEs, action décidée collectivement pour attaquer la politique des autorités. Parce que, sinon, la solidarité est un trou sans fond qui risque d’épuiser les énergies.
Et la Roya ne pourra tenir seule. La chasse aux migrantEs et la répression envers les personnes solidaires continue. Le mercredi 4 janvier, alors que des centaines de manifestantEs sont venues soutenir Cédric Herrou au tribunal, le procureur a requis huit mois de prison avec sursis. Le vendredi, Pierre-Alain Mannoni a été relaxé. Mais dès le vendredi après-midi, 4 autres habitantEs ont été arrêtés pour transport de migrantEs. Relâchés après 24 heures de garde à vue, leur procès aura lieu en mai.
La lutte déterminée aux côtés des migrantEs peut gagner en audience. Voilà ce que montre la Roya. Quelles que soient leurs limites et leur démagogie, les récentes déclarations d’un Macron opposant la politique de Merkel à celle de la France (à laquelle il a contribué lorsqu’il était ministre) ou celles de Hamon défendant des visas humanitaires comme seule solution contre les morts en Méditerranée, et même le mensonge de Valls prétendant qu’il avait abrogé le « délit de solidarité », montrent au moins qu’il est possible de faire tourner le vent dominant. Raison de plus pour multiplier les Roya localement. Raison de plus pour faire monter la perspective du 19 mars, journée de mobilisation européenne contre le racisme, la politique des frontières et les violences policières.
Denis Godard