Publié le Vendredi 8 avril 2016 à 08h20.

MigrantEs : Carrefour ou citadelle ?

Les migrantEs connaissent mieux la carte de France que bien des Français. Connaissez-vous Ouistreham, Guilberville ou Barneville-Carteret ? Outre Dieppe, Dunkerque ou Cherbourg, ces villes du littoral deviennent des lieux d’installation et de tentatives de traverser la mer.

Cet afflux est notamment la conséquence prévisible de la destruction du camp de Calais. Sur tout le littoral, des migrantEs se regroupent, dans des conditions pires qu’à Calais. Et les réponses sont partout les mêmes : expulsions, caméras, barbelés et flics. à Dieppe, les flics ont démantelé le vendredi 1er avril un campement sur demande du président de la région. Soutenu par le maire communiste... à Cherbourg, le dispositif est comparé à une prison de haute sécurité.

Après la Méditerranée et la mer Egée, la Manche risque de devenir un cimetière. Surprise ? Le préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord, l’amiral Pascal Ausseur, constate que depuis la fermeture d’une partie de la jungle de Calais, « les migrants cherchent d’autres points de passage pour se rendre en Angleterre ». Certains tentent de traverser la mer dans des embarcations de fortune, alors que la Manche est particulièrement dangereuse en raison de la température de l’eau et du trafic maritime. C’est la logique des frontières. à Calais, Ali, 22 ans, est mort jeudi 31 mars sur l’autoroute percuté par un camion qui ne s’est même pas arrêté. Samedi 2 avril, un jeune homme venant du camp de Grande-Synthe est mort du côté anglais dans l’accident du camion.

« Carrefour ou citadelle ? » est la question que pose Yolande Moreau en introduction d’un documentaire qu’elle vient de réaliser. Frontières ou circulation ? C’est la question que devraient poser tous ceux qui accusent les migrantEs et devraient plutôt s’attaquer à la logique répressive et nationaliste du pouvoir.

Quelle logique pour la solidarité ?

à Paris, pour la seconde fois ce mois-ci, un campement a été évacué mercredi 30 mars sous le métro à Stalingrad. Plusieurs dizaines de migrantEs sont restés sur le carreau. Innovation, une trentaine d’entre eux ont été raflés le lendemain par la police accompagnée d’employés d’Emmaüs, sans doute pour leur faire croire qu’ils partaient vers des centres d’hébergement. En réalité vers des commissariats et pour une partie vers le centre de rétention. Intimidation...

Cela s’est produit la veille de l’installation de Nuit Debout place de la République. Ce que les autorités craignaient le plus était la jonction entre ce mouvement d’occupation des places et l’installation de centaines de migrantEs. Jonction des causes et jonction des expériences, et extension des revendications pour les unEs et les autres. Alors que le mouvement pose la question du pouvoir en tentant de se réapproprier l’espace public, des grilles ont été installées à Stalingrad pour prévenir un nouveau camp. Ces frontières physiques qui s’installent dans nos géographies quotidiennes visent aussi à s’installer dans nos cerveaux...

Mais c’est aussi le mouvement de solidarité qui est à un carrefour. Pour refuser de se laisser contaminer par la logique paternaliste de l’aide et de la cogestion avec des autorités qui n’ont jamais eu l’intention d’accueillir les migrantEs, il n’y a qu’une voie possible : favoriser tout ce qui permet aux migrantEs de s’organiser et de lutter pour leurs droits. Pour faire la jonction avec ceux et celles qui veulent faire tomber les citadelles.

Denis Godard