Publié le Dimanche 9 février 2025 à 15h00.

Qu’est-ce que le racisme ?

[L’antiracisme est l’une de nos priorités politiques. L’activité du parti, croissante sur ces sujets depuis notre dernier congrès et la formation du groupe non-mixte racisé, a été récemment articulée à une résolution du conseil politique national, proposée par la CNIA et le groupe non-mixte racisé·es, qui a suscité d’importants débats (17 pour, 3 contre, 3 abstentions, 4 NPPV). Nous publions ici une série d’articles qui éclaircissent et approfondissent les débats de notre organisation.]

 

Le racisme est souvent réduit, dans les discours dominants, à une somme d’attitudes individuelles ou de comportements intolérants. Or, cette approche minimise la portée structurelle du phénomène et masque son ancrage historique.

Le racisme est bien plus qu’un simple préjugé : il constitue un système organisé d’oppression qui s’articule autour de mécanismes sociaux, économiques et politiques. Ce système repose sur deux piliers : l’essentialisation des groupes sociaux, qui crée et entretient des préjugés, et la systématisation des discriminations, qui reproduit des inégalités structurelles. Par ailleurs, il s’inscrit dans une histoire longue, celle du capitalisme mondial, du colonialisme et de l’esclavage.

 

Les deux jambes du racisme : Préjugés et discriminations

L’essentialisation des groupes sociaux constitue la première « jambe » du racisme. Elle repose sur la croyance selon laquelle les membres d’un groupe donné partageraient des caractéristiques intrinsèques, fixes et souvent biologiques, justifiant leur homogénéisation. Historiquement, cette construction a permis d’attribuer des traits stéréotypés à certains groupes : intelligence limitée, hypersexualité, violence ou encore propension à la soumission.

Cependant, cette essentialisation ne se limite pas aux attributs négatifs. Elle peut également inclure des stéréotypes perçus comme « positifs » : la force physique attribuée aux personnes noires, l’« industrieux » stéréotype associé aux Asiatiques, ou encore l’idée que les femmes arabes seraient « naturellement » dévouées à leur famille. Ces clichés jouent un rôle central dans la justification des inégalités. Ils enferment les individus dans des rôles et des fonctions spécifiques qui légitiment leur exploitation.

Évidemment, ces préjugés ne reposent sur aucune base scientifique. Ils sont des constructions sociales visant à différencier et hiérarchiser les groupes humains en fonction de leur utilité dans un système économique ou social donné. Comme le souligne l’historien Charles W. Mills avec le concept de « contrat racial », ces catégorisations servent à maintenir la domination d’un groupe (les Blancs) sur les autres1.

Les préjugés, bien qu’omniprésents, ne suffisent pas à eux seuls à créer un système raciste. C’est leur systématisation en discriminations institutionnelles et sociales qui transforme le racisme en un mécanisme structurel. Ces discriminations prennent des formes variées — visibles et invisibles, directes et indirectes — qui affectent tous les aspects de la vie des personnes racisées : de l’accès à l’éducation à la justice, en passant par le logement, l’emploi et la santé.

Dans le domaine de l’emploi, par exemple, il a été montré une inégalité flagrante dans l’accès au travail en France. Les candidats perçus comme « non blancs » sont moins susceptibles d’être convoqués à un entretien ou embauchés à qualifications équivalentes. Ces dynamiques se répercutent dans la répartition des emplois, où les personnes racisées sont souvent cantonnées aux postes les plus précaires et les moins rémunérés. Cette ségrégation professionnelle reflète une division raciale du travail, héritée de l’époque coloniale et ajustée aux besoins du capitalisme contemporain.

Dans le logement, les discriminations raciales renforcent une ségrégation géographique, où les personnes racisées sont sur-représentées dans des quartiers marginalisés, souvent sous-équipés en services publics de qualité. Ces territoires subissent des violences policières et institutionnelles systématiques. Un homme arabe a sept fois plus de chances d’être contrôlé par la police qu’un homme blanc en France et un homme noir dix fois plus. Ces pratiques policières, loin d’être des incidents isolés, participent d’une logique systémique qui associe certaines communautés à une dangerosité supposée.

Ainsi, le racisme n’est pas qu’une question de comportements individuels : il s’inscrit dans une structure organisée où les institutions, les lois et les pratiques sociales reproduisent des inégalités. Eduardo Bonilla-Silva parle à ce titre de « structure raciale », un système dans lequel les distinctions raciales s’insinuent dans les relations sociales et économiques à tous les niveaux, créant des avantages pour certains groupes (les Blancs) et des désavantages pour d’autres.

 

Les conséquences du racisme : des inégalités systémiques aux effets psychologiques

Le racisme produit des inégalités qui touchent toutes les sphères de la société. Elles affectent profondément les trajectoires de vie, limitant les opportunités des individus racisés et les cantonnant à des positions subalternes.

Dans le domaine de l’éducation, les enfants issus de minorités racisées sont sur-représentés dans les filières professionnelles, souvent perçues comme moins prestigieuses. Cela résulte non seulement de discriminations directes, mais aussi d’attentes moindres de la part des enseignant·es, influencés par des stéréotypes raciaux.

Dans la justice, les personnes racisées reçoivent des peines plus sévères pour des infractions similaires à celles commises par des personnes blanches. Cette disparité est aggravée par une sur-représentation des contrôles policiers dans les quartiers majoritairement habités par des populations racisées, ce qui augmente leur exposition au système judiciaire.

En matière de santé, les personnes racisées font face à des obstacles significatifs, notamment à travers une sous-évaluation de leur douleur, des biais dans les diagnostics et un accès limité aux soins de qualité. Ces inégalités se manifestent également dans les conditions de vie, avec une prévalence plus élevée des maladies chroniques et des taux de mortalité plus élevés pour certaines populations racisées.

Le racisme exerce donc une violence psychologique profonde sur les individus racisés. Frantz Fanon, dans Peau noire, masques blancs, décrit l’expérience aliénante des personnes racisées qui doivent constamment se conformer aux attentes de la société dominante tout en étant systématiquement rejetées par celle-ci2. Cela entraîne des sentiments d’infériorité, de frustration et de colère, souvent intériorisés sous forme de doutes sur leur propre valeur.

Les micro-agressions quotidiennes — des remarques soi-disant innocentes mais empreintes de stéréotypes — contribuent également à un stress chronique. Ce stress, combiné à la précarité matérielle, a des conséquences directes sur la santé mentale des personnes racisées, augmentant les risques de dépression, d’anxiété et d’autres troubles psychologiques.

Enfin, le racisme limite également les relations sociales et professionnelles, où les personnes racisées sont souvent vues à travers le prisme de leur race plutôt que comme des individus à part entière. Cette déshumanisation réduit leur individualité à une « différence » perçue.

 

Le processus de racialisation : construction et perpétuation des hiérarchies raciales

Le concept de racialisation permet de comprendre comment les catégories raciales sont créées, imposées et reproduites dans les interactions sociales et les institutions. Contrairement à une vision essentialiste, la racialisation ne découle pas de caractéristiques objectives ou biologiques, mais d’un processus social par lequel certains groupes sont définis comme fondamentalement différents. Cette différenciation sert à justifier leur exclusion, leur exploitation ou leur marginalisation.

Frantz Fanon souligne que la racialisation est une dynamique relationnelle : il n’y a pas de « Noirs » sans « Blancs » pour les désigner ainsi. Ce processus produit des catégories rigides, où certains groupes sont infériorisés et construits comme subalternes.

Parallèlement, la blanchité fonctionne comme une norme invisible, exemptant les Blanc·hes de la racialisation. Les Blanc·hes ne se perçoivent pas comme racialisés, mais comme universels et neutres. Cette invisibilité de la blanchité masque les privilèges matériels et symboliques qui y sont associés, renforçant leur position dominante dans la hiérarchie sociale.

Le concept de privilège blanc, souvent mal compris, ne signifie pas que les Blanc·hes ne subissent pas de difficultés ou d’oppressions, mais que la couleur de leur peau ne constitue jamais un obstacle supplémentaire. Ils bénéficient d’un système raciste qui perpétue leur position de pouvoir, même de manière implicite.

Le privilège blanc ne se limite pas à une simple question de perception ou d’attitudes. Il est profondément enraciné dans les structures économiques du capitalisme. Historiquement, le racisme a permis de justifier la surexploitation des groupes racisés tout en réservant les positions les moins précaires et les mieux rémunérées aux Blancs.

Au cœur de cette division raciale, il y a :

— une surexploitation des racisés : les personnes racisées sont systématiquement assignées aux emplois les plus pénibles, précaires et mal rémunérés. Ces postes, souvent dépourvus de droits syndicaux ou de protections sociales, maximisent les profits des employeurs tout en maintenant une hiérarchie économique favorable aux Blancs. Par exemple, les travailleurs agricoles ou domestiques, majoritairement racisés, sont essentiels au fonctionnement du système économique, mais restent invisibles et sous-payés ; 

— une  sous-exploitation des blanc·hes : en parallèle, les emplois plus stables, mieux rémunérés et socialement valorisés sont historiquement réservés aux travailleurs blancs.

Cette dynamique garantit en moyenne un statut économique supérieur aux Blancs, y compris à l’intérieur des classes populaires, et crée une illusion de prospérité relative, même en situation de précarité.

Ce privilège blanc se manifeste à travers des bénéfices symboliques. La blanchité est construite comme la norme universelle, incarnant la neutralité et l’humanité « idéale ». Cela confère aux Blancs une reconnaissance implicite dans les interactions sociales, les institutions et la culture dominante. Les personnes blanches ne sont pas racialisées dans les discours publics ; elles sont perçues comme neutres, tandis que les autres groupes sont définis par leur altérité.

La culture dominante reflète et valorise les expériences, les histoires et les références des Blancs, reléguant les autres au statut de marginalité ou d’exotisme.

Ainsi, le privilège blanc crée une double réalité : d’une part, il garantit un accès facilité à des opportunités économiques et sociales ; d’autre part, il offre un sentiment de supériorité culturelle et morale qui légitime les inégalités systémiques.

 

Racialisation et capitalisme : une interdépendance historique

Le processus de racialisation est indissociable du capitalisme mondial. Dès ses origines, le capitalisme a exploité les catégories raciales pour justifier l’esclavage, la colonisation et l’extraction des ressources des pays du Sud global. Ces pratiques ont non seulement enrichi les puissances coloniales, mais aussi créé des hiérarchies raciales qui structurent encore le système économique global.

Le racisme a permis de légitimer la surexploitation de certains groupes sociaux au profit du capital. Cette dynamique se poursuit aujourd’hui.

Lorsqu’il y a une logique à somme nulle, les avantages matériels et symboliques conférés aux Blancs sont directement liés à la marginalisation des racisé·es. En d’autres termes, l’amélioration des conditions de vie et de travail des personnes racisées peut représenter une perte relative pour les Blancs.

Cette réalité explique pourquoi certaines franges des classes populaires blanches peuvent être réticentes à soutenir les luttes antiracistes : elles perçoivent à tort ces revendications comme une menace pour leur propre statut social.3

 

Déconstruire le racisme et les oppressions pour construire une société égalitaire

Le racisme est un système profondément enraciné qui repose sur des dynamiques interconnectées de préjugés, de discriminations et de racialisation. Il ne peut être combattu efficacement sans une prise de conscience collective de ses mécanismes. Cela implique de reconnaître l’existence du privilège blanc, de dénoncer les discriminations systémiques et de remettre en question les dynamiques de pouvoir qui sous-tendent nos institutions.

Cependant, comme toute construction sociale, le racisme peut être déconstruit. En intégrant une approche intersectionnelle et en articulant la lutte antiraciste avec d’autres luttes (féministes, écologistes, anticapitalistes), il est possible de remettre en question l’ordre établi et d’ouvrir la voie à une société véritablement égalitaire. Pour cela, il est essentiel d’inclure les perspectives des personnes racisées, de reconnaître leurs oppressions et de reconnaitre des moyens d’agir pour transformer le système.

 

Au-delà du racisme : Une lutte intersectionnelle contre toutes les oppressions

La lutte antiraciste ne peut être pleinement efficace que si elle est articulée avec d’autres combats contre les oppressions systémiques, notamment le sexisme, le validisme et l’homophobie. Ces oppressions, bien qu’apparaissant distinctes, partagent des mécanismes communs avec le racisme : elles légitiment l’inégalité, divisent les opprimés et renforcent les structures de pouvoir.

En intégrant une approche intersectionnelle, le mouvement antiraciste peut développer des solidarités entre différents groupes marginalisés, en montrant que leurs luttes sont interconnectées et construire un mouvement de masse capable de s’attaquer à la racine des inégalités : le système capitaliste lui-même.

En fin de compte, la lutte contre le racisme ne concerne pas seulement les personnes directement affectées : elle est une condition nécessaire pour l’émancipation collective et la justice sociale globale.

 

Une lutte collective pour une société égalitaire

Le privilège blanc, à la fois matériel et symbolique, est un pilier essentiel du racisme systémique. Son rôle dans la division raciale du travail et dans la construction des hiérarchies sociales implique que la lutte antiraciste ne peut être dissociée d’une lutte contre le capitalisme.

Loin d’être une menace pour les travailleurs blancs, les luttes des racisés représentent une opportunité de remettre en question un système économique qui exploite tous·tes les opprimé·es. En s’attaquant à la surexploitation des travailleur·ses racisé·es, ces luttes ouvrent la voie à une transformation radicale qui profite à l’ensemble des classes populaires.

C’est donc à travers une mobilisation collective, intersectionnelle et anticapitaliste que l’on pourra déconstruire les privilèges, abolir les hiérarchies raciales et construire une société véritablement égalitaire. 

  • 1. Charles W.. Mills Le contrat racial. Éd. Mémoire d’encrier, 1997.
  • 2. Franz Fanon Peau Noire, Masque Blancs. Éd. Seuil, 1952.
  • 3. Claire Cosquer, Solène Brun La domination blanche Librairie des Femmes, 2024.