Au nombre des dommages collatéraux, si l’on ose dire, des événements terribles de la fin 2015 et du tombereau de mesures répressives qui les ont suivis, on notera le passage à la trappe de thématiques sur lesquelles il était déjà bien difficile de mobiliser. L’état d’urgence ne doit pourtant pas nous faire oublier ces combats...
Un tout récent rapport issu d’un travail commun de La Ligue des droits de l’homme et de l’European Roma Rights Center sur la « situation, inhumaine, indigne et dégradante » vécue par grand nombre de Roms (ou personnes désignées comme telles) nous le rappelle opportunément.
Ce rapport s’intéresse essentiellement aux évacuations forcées des lieux précaires où ces personnes s’étaient établies : le recensement qu’il en effectue est accablant. Il aboutit au constat qu’en 2015, 60 % (plus de 11 000 personnes) des occupants de bidonvilles, puisque c’est bien ce dont il s’agit, ont été victimes de ces évacuations brutales, quand elles n’ont pas été tout simplement chassées par un incendie de leur « lieu de vie »...Bien sûr, les conditions d’insalubrité et de péril des lieux occupés ont sans difficulté fourni un prétexte aux mairies ou aux préfectures pour procéder à ces évacuations (une simple menace ayant parfois suffi à obtenir le départ des occupants). Toutefois, le plus souvent, les interventions policières découlaient d’une assignation devant les tribunaux par les propriétaires des terrains.
Mépris et indifférence
Le cœur du scandale n’est sans doute pas là, mais dans le caractère exceptionnel des propositions de relogement, ne serait-ce que temporaire... « Sur les 111 évacuations effectuées par les autorités, des solutions d’hébergement temporaires n’ont été proposées que 29 fois. À la suite des 82 autres évacuations, les familles ont été tout simplement mises à la rue par les forces de l’ordre. Durant les cinq évacuations faisant suite à un incendie, il y a eu deux solutions d’hébergement d’urgence mises en place », indique le rapport. Tout le mépris et l’indifférence dont témoigne la politique des pouvoirs publics à l’égard des populations concernées, en un mot comme en cent, des pauvres, est dans ces chiffres.
Cette réalité s’impose davantage encore si l’on prête attention au fait que terrains publics et privés se répartissant à peu près à parts égales, ce sont dans 80 % des cas les terrains publics qui font l’objet d’une évacuation. Et ceci alors même que celle-ci n’est pour ainsi dire jamais accompagnée d’un quelconque projet pour le terrain en question (projet susceptible de sauver les apparences). En l’occurrence, la défense souvent invoquée de la sacro-sainte propriété privée n’est qu’une vaste blague ! En définitive, à tous les niveaux d’intervention, c’est bien l’État qui montre ses muscles, c'est toujours aux mêmes catégories de population qu’il impose sa loi.Tout cela saute suffisamment aux yeux pour que plusieurs instances tant nationales (Défenseur des droits) qu’internationales s’en soient émues : décidément, le carnet de notes du pays des droits de l’homme n’est pas très bon par les temps qui courent. C’est ainsi que le haut commissaire des Nation unies aux droits de l’homme s’est inquiété de l’absence de garantie en matière d’inscription dans les écoles pour les enfants expulsés et, plus généralement, a pointé « une politique nationale systématique d’expulsions de force des Roms ».Si l’État français conduit une guerre déclarée au terrorisme, il n’en poursuit ainsi pas moins sa guerre honteuse contre l’étranger et contre les pauvres. Dans ce contexte tendu, ne nous laissons donc ni distraire ni museler.
François Brun