Publié le Vendredi 7 novembre 2014 à 08h00.

Roms : “Regarder ces immigrants d’abord comme des paysans sans terre et des ouvriers sans emploi”

Entretien. Véronique Decker est directrice d’école à Bobigny (93). Cette école scolarisait les enfants des familles de Roms récemment expulsées du campement des Coquetiers.

La menace du démantèlement du bidonville pesait depuis longtemps. Pourquoi maintenant ?La nouvelle municipalité avait au programme la promesse d’expulsion des bidonvilles. Elle a donc pris un arrêté municipal, alors que la justice avait donné raison aux occupants sans titre.

Il y avait 90 familles dans ce bidonville. Où sont-elles aujourd’hui ?La préfecture a fait un « diagnostic social » le 5 août. Elle a trouvé 200 personnes, alors qu’il y en avait 300, 50 enfants scolarisés,alors que nous en avions 80 en septembre... Le préfet a refusé de travailler sur le réel, et n’a pris en compte que les familles des 50 enfants de sa liste. Les personnes âgées, les parents de bébés, les jeunes adultes, n’ont pas été pris en compte. Tout a été préparé sans les habitants, sans les associations, et les « Roms » ont été dispersés au bon gré des décisions d’Adoma qui a réparti des bons d’hôtel, des « résidences Adoma » en province (ex-foyers Sonacotra), et rien du tout pour 60 % des habitants.Les militants associatifs ont donc marché toute une journée au côté des familles qui n’avaient rien, mais qui sont restées groupées. Nous avons obtenu que des hébergements leur soient aussi proposés. Mais rien n’est assuré dans la durée, même pour les bébés ou les personnes âgées ou malades.Sur ce terrain, il y avait des enfants, de la maternelle au lycée. C’était la preuve que lorsque les conditions (même très précaires) de stabilité et d’inscription à l’école sont réunies, les parents acceptent de scolariser les enfants. Je pense qu’en cette rentrée, la plupart des 80 enfants ne sont plus scolarisés, car les hôtels sont trop loin et les dossiers scolaires n’ont pas été transférés.

Les démantèlements des bidonvilles roms continuent dans toute l’Île-de-France. La multiplication des démantèlements disperse les populations roms, met à néant la scolarisation, ne permet pas que des liens avec les soutiens s’établissent de façon durable. Comment vois-tu cette politique délibérée ?Ces expulsions de bidonvilles habités par des immigrants de Roumanie et de Bulgarie sont l’expression de la haine des pauvres. Il faut en finir avec le racisme anti-rom et regarder ces immigrants d’abord comme des paysans sans terre et des ouvriers sans emploi. Le racisme social à leur encontre est très grand dans leurs pays d’origine. Nous assistons à la création d’une sous-humanité, qui aurait des sous-droits. Tous les courants politiques, du Front de gauche à l’extrême droite, assument un racisme social anti-rom extrêmement violent et sans détours : interdiction aux enfants d’être inscrits à l’école, refus de l’accès à la cantine, refus des CCAS de prendre les domiciliations, d’instruire des DALO. Plus personne ne semble voir que ce qui est en jeu, c’est le droit social de tous. Pourtant, ce qui s’effondre pour les Roms s’effondre rapidement pour les autres. Le 115 résonne dans le vide pour bien plus de gens que les seuls Roms, l’école refuse bien plus d’enfants que les enfants roms, et la brèche ouverte laisse passer l’eau en éclaboussant tout le monde. Il se passe quelque chose d’extrêmement grave, et c’est pour cela que militer auprès des Roms n’a rien d’un militantisme humanitaire.Bien sûr, il y a une politique d’État, portée par la droite, puis par le PS, dans une continuité libérale, raciste, et qui ouvre à une banalisation des idées du FN. Mais ce qui est grave, c’est le basculement d’une partie de la gauche dite « radicale » dans une politique de la race. Ainsi, il y a des parrainages d’enfants sans-­papiers par des maires... qui refusent d’inscrire les enfants roms à l’école. Le Front de gauche n’a aucune critique de ses élus ouvertement racistes anti-Roms. Pourtant, les Roms sont des prolétaires, pas des rentiers. Ils vivent de leur force de travail et donc doivent être considérés comme de notre côté. Certes, parfois leur prolétariat ressemble plus aux descriptions de Dickens qu’à l’idée qu’on se faisait des lendemains qui devaient chanter...On nous dit que les communes du 93 sont pauvres et ne peuvent pas accueillir les Roms. Mais interdire l’accès à l’eau, demander le concours des forces de l’ordre pour chasser les gens, ce n’est pas construire une politique qui permette de voir que les Roms sont des prolétaires.Même si l’Europe a plus de responsabilités que l’État français, et que l’État en a bien plus que la commune, car les moyens qui pourraient être mobilisés ne sont pas les mêmes, il y a le sens de la lutte. Ce n’est pas pareil d’inscrire les enfants à l’école et d’exiger des moyens, des fonds sociaux, que de refuser l’accès aux droits sociaux, à la domiciliation, à la scolarisation, au centre de santé... Il y a des luttes qui construisent une compréhension du monde comme un monde de classe, et des luttes qui organisent la victoire de Marine Le Pen...

Propos recueillis par JMB