L’arrivée de Manuel Valls à Matignon a presque coïncidé avec une autre nouvelle : l’annonce du procès qui se tiendra le 5 juin prochain au tribunal de grande instance (TGI) de Paris, où Manuel Valls doit comparaître comme prévenu, suite à une plainte de l’association « La voix des Rroms ».
Annoncée le 31 mars, celle-ci attire à nouveau les projecteurs sur les propos qu’avait tenus Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, le 24 septembre 2013 sur les ondes de France Inter. Le ministre, à l’époque souvent comparé à Nicolas Sarkozy, avait alors déclaré que les Roms sont « des populations qui ont des modes de vie extrêmement différents et qui sont évidemment en confrontation » (avec ceux des Français), et que « les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie ». Il avait ajouté : « J’aide les Français contre ces populations, (et) ces populations contre les Français »...Ces propos reviennent de façon claire à culturaliser, voire biologiser certaines réalités sociales. En fait, le ministre avait supposé que les groupes en question – il avait auparavant surtout évoqué les habitants des bidonvilles installés autour des grandes villes, notamment en Île-de-France – avaient « des modes de vie », présentés comme étant forcément inhérents à « ces populations ». Or, les réalités sociales auxquelles il fait en partie allusion (habitat précaire sous forme de baraques improvisées ou caravanes, « débrouille » économique, économie de survie...) sont surtout le produit de l’exclusion sociale et économique dont la majorité des Roms font l’objet. D’abord dans les pays de l’Europe du Sud-Est où ils vivaient majoritairement, puis dans le reste de l’Europe où ils arrivent depuis l’ouverture des frontières en 1989. Le constat prétendument « naturel » que les modes de (sur)vie – reflet de cette situation d’exclusion – constitueraient un trait de caractère soi-disant immuable du peuple Rom, racialise cet état de fait.
Condamnation impossible...Le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) avait déposé une plainte contre Valls devant la Cour de justice de la République le 12 novembre 2013. L’association antiraciste avait qualifié les propos d’« incitation à la haine raciale ». Or, au bout de seulement un mois, la CJR avait classé sans suite cette plainte. Le MRAP avait peu d’illusions sur le sort de sa plainte : cet organe judiciaire est majoritairement composé d’hommes et femmes politiques, déléguées par le Parlement et issuEs des grands partis PS et UMP. S’agissant de propos, actions ou comportements d’un ministre dans l’exercice de ses fonctions, la CJR était le seul et unique juge compétent.« La voix des Rroms » a choisi la plainte par « citation directe » devant le TGI. Du point de vue juridique, celle-ci n’a aucune chance d’aboutir : Valls ayant parlé en tant que ministre de l’Intérieur, le tribunal va se déclarer incompétent, car seule la CJR est compétente. Pour le MRAP et « La voix des Rroms », il s’agit surtout d’attirer l’attention de l’opinion publique sur des propos graves tenus par un ministre, devenu entre-temps chef du gouvernement.
Bertold du Ryon